lundi 16 juillet 2007

Une défaite amère

Voici une entrevue réalisée avec Éric Maltais, un militant de la NEFAC qui travaille comme préposé aux bénéficiaires dans un grand hôpital de la région de Québec. Éric est impliqué dans son syndicat depuis quelques années. Il nous livre ses réflexions concernant la dernière ronde de négociation dans le secteur public.

Propos recueillis par Michel Nestor

Quel climat régnait dans ton milieu de travail avant le début des moyens de pression?

Pendant deux ans, on s’est dit : « ils ont abrogé l’article 45, ils ont fusionné nos unités syndicales, on va se venger à la prochaine négociation ». Mais rendus au moment décisif, les gens n’étaient pas si mobilisés que ça. Au cours des vingt-quatre derniers mois, il s’est passé un paquet de choses : d’abord, la fusion des établissements, puis une campagne de maraudage qui a duré pendant des mois et coûté des millions de dollars aux centrales. Tout cela a rendu difficile la construction d’un nouveau syndicat à l’hôpital. Dans ces conditions, c’est compliqué de se mobiliser. Pour bâtir un rapport de force, il faut qu’il y ait un climat propice dans les milieux de travail. Et ce climat-là, il n’existait pas. Il y a aussi plein d’autres facteurs qui entrent en ligne de compte : le manque de solidarité, le vent de droite qui alimente une critique réactionnaire du syndicalisme, l’individualisme ambiant. Tout ça a un impact direct sur la lutte.

Cette lutte, comment s’est-elle déroulée?

Deux blocs monolithiques d’intérêts se faisaient face: les syndiqué-e-s, qui à mon avis portaient des demandes salariales raisonnables, et l’État qui veut couper dans son budget coûte que coûte, et qui ri en pleine face de ses employé-e-s. Malgré une plus grande unité organisationnelle, on s’est à nouveau cassé la gueule. À mon avis, la direction syndicale savait qu’on allait se faire planter, mais elle a quand même appelé le monde à la grève en organisant des assemblées et en créant un front commun. Maintenant, 80% des conventions collectives sont négociées dans les établissements. Il n’y a pas eu de mandat de grève là-dessus, c’est vraiment merdique (de toute façon avec la loi 142, tout moyens de pression est devenu illégal!). La décentralisation a entraîné un nivellement vers le bas des conditions de travail là où les exécutifs syndicaux sont faibles. Les boss sont au courant de ça et ils vont en profiter. Ce qui est négocié au plan national, c’est le salarial. Et c’est facile de manipuler l’opinion publique en la bourrant de chiffres qu’elle ne comprend pas. Les conditions de travail ont finalement été imposées par une loi spéciale, une fois de plus. La plupart des gens impliqués dans le syndicat savaient que cette fin était prévisible. Une nouvelle stratégie aurait due être élaborée à partir du moment où on était conscient qu’on allait se faire avoir. C’est la pierre angulaire de la contradiction du syndicalisme actuel. La dernière journée de grève nationale a été tenue alors que les journaux annonçait : « le décret s’en vient ».

La défaite s’explique en partie par un manque de radicalité dans l’action. À l’hôpital, maintenir les services essentiels, c’est 90% d’effectif sur le plancher. C’est plus de travailleurs/euses sur le plancher qu’en été! Quand on était en grève, l’employeur nous amputait 45 minutes de salaire sur nos paies. Cet argent-là, il l’a mis dans les poches ! Il y a eu trois journées de grèves légales. Mine de rien, assurer les services essentiels demande un boulot considérable pour le syndicat, et c’est bien moins efficace que si tout le monde sort en même temps. Dans ces conditions-là, la grève donne quoi?

Qu’est ce qui explique que les syndiqué-e-s soient resté-e-s dans le cadre de la légalité?

Pourquoi on n’est pas allé plus loin? Les gens ont la chienne des amendes, de la prison. Il y a eu des appels assez radicaux en assemblée et sur les lignes de piquetage, mais que personne n’a maintenu une fois rendu dans l’action. Les exécutifs en place ont suivi les mots d’ordre du front commun. Dans la région, ils ne sont pas allés plus loin. Plusieurs assemblées ont même refusé d’adopter le plan d’action du front commun. Alors qu’il y a deux ans, on a organisé des actions directes, cette fois-ci, il y a eu beaucoup moins d’initiatives autonomes. On a quand même fait quelques bons coups, comme un blocage de la cafétéria qui a fait perdre pas mal de fric à l’hôpital. Mais rien de comparable au blocage du port de Québec.

Quel bilan tires-tu de cette mobilisation?

Je suis excessivement amer face à tout ça et je ne suis pas le seul. Les syndicats se sont cognés à un mur. Les personnes qui savaient que le décret s’en venait ont préféré signer des ententes à rabais au lieu de retourner à la base. Les syndicats qui n’ont pas signé avec le gouvernement n’ont pas adopté en assemblée générale des mandats qui défiaient la loi spéciale. Pendant qu’ici, on a mené une lutte dans la résignation, en France, la lutte contre le contrat de première embauche (CPE) s’est faîte avec la rage au ventre. C’est frustrant quand on compare les deux situations.

(Publié pour la première fois dans le numéro 6 de Ruptures, mai 2006)

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