dimanche 15 juillet 2007

Le gouvernement tente une expérience socio-politique: casser le syndicalisme au Québec

À lire les journaux ces jours-ci, c'est à se demander si le nouveau gouvernement libéral n'est pas en train de réaliser une expérience socio-politique grandeur nature. La question de recherche pourrait se lire comme suit: "qu'est-ce qui arrive si on attaque de front le syndicalisme le plus présent d'Amérique du Nord?" L'hypothèse de recherche, à voir les projets de loi à l'étude actuellement, pourrait être: "rien de sérieux qui nous empêche de le faire."


Il y a belle lurette que le "syndicalisme de combat" a été remplacé par la "concertation" comme idéologie officielle du syndicalisme d'ici. L'extrême flexibilité du syndicalisme québécois lui aura sans doute permis de conserver son taux de pénétration de 40% dans la main-d'oeuvre, une densité que les syndicalistes canadiens et américains n'imaginent même plus dans leur rêve les plus fou. Sauf que, même extrêmement concilliant et gentil, c'est aujourd'hui l'existence même du syndicalisme et des dernières protections sociales (loi anti-scab et encadrement de la sous-traitance par l'article 45) qui nuit aux patrons et qui est dans la ligne de mire. Les patrons ne veulent plus de concessions des syndicats, ils ne veulent plus de syndicats, point.

On peut penser ce qu'on veut de la combativité du syndicalisme québécois, il n'en demeure pas moins que depuis quelques années se sont développées des luttes très dures dans le privé sur des demandes de concessions qui seraient sans doutes passées comme du beurre dans la poelle ailleurs sur le continent. Ces luttes, je pense à Vidéotron entre autre mais pas seulement, ont menées à des victoires réelles et hautement symboliques. On peut penser ce qu'on veut de l'issue du lock-out à Vidéotron, reste que les technicien-ne-s travaillent encore là et que Peladeau n'a pas réussi à imposer leur vente à un sous-traitant. On aura beau tourner la question dans tous les sens, Henri Massé ne réussira jamais à convaincre un seul patron du continent que c'est bon pour les affaires et que ça ne nuit pas à la "compétitivité" du Québec sur le marché international...

La Parti libéral a été élu à un moment clé du calendrier syndical: à la veille d'une ronde de négociations dans le secteur public et du rêglement du dossier de l'équité salariale. Il semble que le nouveau gouvernement pense casser le syndicalisme auquel font face les patrons dans le privé en cassant les syndicats auquel il fait lui-même face en tant que patron. Historiquement, le syndicalisme du secteur public est à la fois la locomotive du syndicalisme québécois et son château fort. Quoi de mieux pour envoyer un message clair que d'attaquer de front cette portion du mouvement syndical? Dès la campagne électorale, le Parti libéral a envoyé un message qui n'a peut-être pas été perçu clairement par les organisations syndicales mais qui était quand même là, écris noir sur blanc dans le programme du parti : Le PLQ n'a même pas prévu de sommes dans son cadre financier pour rêgler le dossier de l'équité salariale et donner des augmentations de salaires aux 450 000 employés de l'État. Mettons que ça augurait mal.

S'il ne s'agissait que de cela, ce serait déjà gros, mais il y a pire. Deux des premiers projets de loi de ce gouvernement visent à contenir la syndicalisation dans le secteur public et para-public. Déjà, interdire la syndicalisation de travailleuses périphériques au secteur public (les responsables de services de garde en milieu familial et leur équivalent dans la santé et les services sociaux) c'est quelque chose, mais il ne faut pas oublier que, pour ce faire, le gouvernement entend désacréditer des syndicats qui avait déjà été reconnus légalement. C'est hautement symbolique puisque la dernière fois qu'un gouvernement québécois a désacrédité des syndicats, s'était sous Duplessis avec la "loi du cadenas".

D'autre part, le gouvernement entend affaiblir encore plus la protection contre la sous-traitance qui existe dans l'article 45 du code du travail. L'article 45 est loin d'être le "bout du cul de la marde" que dénoncent les patrons. Ce qu'il dit est fort simple: quand un patron se départi de sa production en tout où en partie, l'accréditation syndicale et la convention collective suivent les employé-e-s pour une période d'au plus 12 mois. Autrement dit, les syndiqué-e-s ont une garantie légale qu'on ne peut pas détruire leurs conditions de vie du jour au lendemain avec la sous-traitance, ils et elles ont donc quelques mois pour se revirer de bord. Parce que ne nous leurrons pas, le but de la sous-traitance est de faire baisser les coûts de production, ce qui ne peut se faire qu'en déterriorant les conditions de travail des syndiqué-e-s, en les appauvrissant. Évidemment, les syndicats ruent dans les brancards.

Mais le gouvernement a tout prévu dans son expérience. Il a décidé de montrer qui était le patron en choisissant de s'attaquer de front à l'un des bastions du secteur public: la santé et les services sociaux. Et il n'y va pas de main morte. Son plus récent projet de loi prévoit d'abolir le syndicalisme industriel dans la santé en cassant les "syndicats généraux" de la CSN et de la FTQ en cinq syndicats de métiers. D'autre part, il modifie la loi sur les négociations collectives pour décentraliser l'organisation du travail (donc la sous-traitance) et ramener ça au niveau des établissements. Pire, le gouvernement retire aux syndiqué-e-s le droit de grève sur les enjeux locaux... L'implication de la manoeuvre est assez simple: on isole les empoyé-e-s qui feront les frais de la sous-traitance et on leur interdit de se défendre si on les vends au privé.

Il me semble évident que, tout comme certains "révolutionnaires", le gouvernement fait le pari que le syndicalisme québécois est aujourd'hui une coquille vide, que l'appareil syndical est complètement divorcé de sa base et que de toute façon les bureaucrates n'oseront jamais enclencher le type de bataille nécessaire pour faire face à l'ampleur de l'attaque. Bref, le gouvernement pense sans doute qu'il va gagner l'épreuve de force qui s'engage, autrement il n'irait pas de l'avant. Les syndicats oseront-ils utiliser leur pouvoir potentiel dans la bataille qui s'engage? Iront-ils jusqu'à la grève? Et si oui, est-ce que les syndiqué-e-s et la population vont les suivre?



(publié pour la première fois dans Le Trouble à l'hiver 2003)

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