samedi 14 juillet 2007

Déportation de Mohamed Cherfi: Immigration Canada se venge sur un militant

Mohamed Cherfi, un sans-statut algérien, a été déporté aux États-Unis vendredi le 5 mars. Son sanctuaire dans l'Église Unie Saint-Pierre de Québec a été violé lorsqu'une dizaine de policiers sont entrés pour l'arrêter. Moins de 5 heures plus tard, son avocat apprenait, par une journaliste, qu'il avait été déporté aux États-Unis, d'où il risque d'être rapidement expulsé vers l'Algérie.

Plus de 50 000 personnes ont été déportées depuis que Mohamed Cherfi est arrivé au pays en 1998. La raison pour laquelle nous entendons davantage parler de la déportation de ce sans-statut algérien, c'est qu'il a refusé d'accepter passivement son sort en décidant de se battre, non seulement pour lui mais aussi pour tous ses compagnons d'infortune. C'est aussi l'une des principales raisons qui a mené à sa déportation sauvage et très rapide, malgré la protection d'une église. Mohamed Cherfi fait peur aux autorités québécoises et canadiennes.


Mohamed Cherfi, un sans-statut algérien, a été déporté aux États-Unis vendredi le 5 mars. Son sanctuaire dans l'Église Unie Saint-Pierre de Québec a été violé lorsqu'une dizaine de policiers sont entrés pour l'arrêter. Moins de 5 heures plus tard, son avocat apprenait, par une journaliste, qu'il avait été déporté aux États-Unis, d'où il risque d'être rapidement expulsé vers l'Algérie.

Plus de 50 000 personnes ont été déportées depuis que Mohamed Cherfi est arrivé au pays en 1998. La raison pour laquelle nous entendons davantage parler de la déportation de ce sans-statut algérien, c'est qu'il a refusé d'accepter passivement son sort en décidant de se battre, non seulement pour lui mais aussi pour tous ses compagnons d'infortune. C'est aussi l'une des principales raisons qui a mené à sa déportation sauvage et très rapide, malgré la protection d'une église. Mohamed Cherfi fait peur aux autorités québécoises et canadiennes.

Le jeune professeur de français est arrivé au Québec, via les États-Unis, en 1998. Il fuyait alors un pays ravagé par une très sanglante guerre civile (150 000 morts, 7 000 disparus) à laquelle il avait refusé de participer. Dans un pays en guerre, Mohamed Cherfi est un objecteur de conscience, ce qui lui laissait peu de choix. Il a choisi l'exil. En arrivant ici, Mohamed Cherfi demande le statut de réfugié à titre d'objecteur de conscience, ce qui lui est refusé par les autorités canadiennes. Ce refus ne l'oblige pas à quitter le pays puisqu'à l'époque, il y a un moratoire sur les déportations des réfugiéEs algérienNEs à cause de la violence du conflit.

Jusqu'ici, rien ne distingue fondamentalement le parcours de Mohamed Cherfi de celui de milliers d'autres réfugiéEs. C'est lorsque le moratoire sur les déportations vers l'Algérie est levé, en 2002, que son parcours se singularise. En effet, le Comité d'action des sans-statut (CASS), une organisation d'entraide communautaire à laquelle il participe, se mue alors en organisation de défense de droits et entame une longue lutte pour la régularisation de tous les sans-statut algérienNEs. Mohamed Cherfi devient alors l'un des animateurs de la lutte du CASS et l’un des principaux porte-parole médiatique.

La lutte des sans-statut algérienNEs ne se fait pas en vase clos. Le CASS et ses portes-parole s'intègrent très bien dans le paysage de la gauche sociale montréalaise. Le CASS reçoit l'appui militant de groupes plus radicaux comme la CLAC et No one is illegal! mais aussi du Conseil central du Montréal Métropolitain de la CSN et de la Ligue des droits et libertés. On croise des militantEs de tous les horizons dans les nombreuses manifestations du CASS.

En octobre 2002, la lutte du CASS s'intensifie quand une famille de sans-statut algériens, les Seddiki-Bourouissa, reçoit l’un des premiers ordres de renvoi en Algérie. Ces derniers trouvent alors refuge dans une église protestante de Montréal. Évidemment, les autorités ne veulent rien savoir d'une solution globale de style «amnistie générale pour les sans-statut» (ce serait envoyer un bien mauvais message aux autres communautés de réfugiéEs en lutte). À force de pressions et de solidarité, le CASS gagne toutefois une procédure spéciale d'examen des demandes d'algérienNEs pour motifs humanitaires.

Mohamed Cherfi se donne entièrement dans l'accompagnement des sans-statuts algérienNEs. Il contacte les sans-statut pour les informer de la situation, leur explique la procédure, aide à remplir des formulaires, trouve des avocats, accompagne les gens aux bureaux d'Immigration Canada, etc. La procédure est complexe et repose, entre autre, sur un critère flou «d'intégration». Officiellement, l'implication communautaire et le bénévolat sont pris en compte dans les critères «d'intégration» mais, dans les faits, intégration signifie travail salarié pour les fonctionnaires. Le travail que fait Mohamed Cherfi depuis 2 ans, qui s'apparente pourtant à la job de dizaines de milliers de permanentEs syndicaux et communautaires, n'est pas rémunéré...

La demande de régularisation du statut de Mohamed Cherfi a été refusée par Immigration Canada, comme celle de 10% des demandeurs algérienNEs, pour «défaut d'intégration». Le fait est que «ces gens-là» ne cadrent pas avec l'image de l'immigrantE parfait pour l'État. Ils ne sont ni riches, ni investisseurs, ni spécialisés dans un domaine économique de pointe, ce qui ne fait pas d'eux le genre de «candidatE à l'immigration» recherché par l'État. «Ces gens-là» ne sont pas soumisES et ne se fondent pas dans le paysage, ils sont fiers, sûr de leur droits et prètEs à se battre pour les faire respecter. Ce qui rend Mohamed Cherfi et les autres militantEs du CASS si sympathique aux yeux de tout un mouvement social est précisément ce qui fait peur à l'État et a motivé sa déportation.

La déportation de Mohamed Cherfi est une décision politique que les décideurs refusent obstinément d'assumer, se cachant derrière la raison bureaucratique et légaliste. Tous les élus en poste se lavent les mains de ce qui se passe et du sort du sans-statut. Le maire de Québec refuse de reconnaître que «sa» police a consciemment violé un sanctuaire pour le compte d'Immigration Canada sous un faux prétexte. Les ministres québécois refusent de reconnaître que le mandat d'arrestation émis pour permettre l'arrestation de Mohamed Cherfi par la police municipale était bidon et visait simplement à faciliter la déportation du militant. Les ministres fédéraux refusent de reconnaître que leurs services ont orchestré l'opération pour se débarrasser d'un homme dérangeant qui leur faisait peur. Tout le monde se renvoit la balle, personne ne veut assumer ce geste lourd de conséquences (après tout, quelqu’un risque sa vie dans tout ça).

Il n'est pas encore trop tard pour agir. Malgré leurs dénégations respectives, tant les ministres provinciaux que fédéraux ont le pouvoir d'agir et de faire rapatrier Mohamed Cherfi pour des motifs humanitaires. Un mouvement d'opinion s'est dressé très rapidement après la déportation, en gardant la pression et en mettant les ministres dans l'eau chaude jour après jour, nous pouvons changer la situation. La lutte a permis de gagner la régularisation de 90% des sans-statut algérienNEs, la lutte peut gagner la régularisation du 10% restant. Il ne faut pas permettre à Immigration Canada de se venger sur les militantEs du CASS de la victoire qu'ils et elles leur ont arrachés de haute lutte.

[Encadré]

Réfugiés, apatrides et immigrants:
Les nouveaux damnés de la terre

Poussés par un système profondément inhumain et injuste, plus de 250 réfugiéEs en instance de déportation ont dû trouver refuge dans une église et user de la tactique du sanctuaire dans la dernière décennie au Canada. Et il ne s'agit là que de la pointe de l'iceberg, l'État déportant à peu près 10 000 personnes par année.

Les procédures d'immigration au Canada sont profondément viciées et injustes. En plus de ne favoriser que les candidatures d'immigrantEs «répondant aux besoins de notre économie», les réformes successives ont complètement chamboulé le système jusqu'à le rendre complètement caricatural et arbitraire. Premièrement, la procédure est longue, très longue. Un demandeur de statut de réfugié peut attendre jusqu'à huit ans avant d'avoir une décision finale sur son cas. Il est clair qu'un délai aussi long donne assez de temps à quiconque de refaire sa vie et de plonger des racines profondes dans la «société d'accueil». Refuser quelqu'un dans ces conditions-là est inhumain. Deuxièmement, quand on parle de décision «finale», on veut vraiment dire finale. Il n'y a en effet plus de possibilité d'appel. On parle ici souvent de décision de vie ou de mort sans possibilité d'appel. Troisièmement, il est prouvé que le système est très discriminatoire et hautement xénophobe. Ainsi, selon que l'on soit originaire d'Europe ou du Maghreb, la procédure québécoise de sélection prend entre trois et six mois ou six ans.

La question de l'immigration est un formidable révélateur de la xénophobie et du racisme d'une société. Il nous semble évident que derrière toutes les considérations économiques se cache une xénophobie fondamentale. À cela se rajoute la peur des hommes arabes, constamment alimentée par l'hystérie sécuritaire actuelle. À l'heure où le capital circule de plus en plus librement autour du globe, en saccageant tout sur son passage, les réfugiéEs sans-statut, les apatrides et les immigrantEs illégaux sont les nouveaux damnés de la terre. À la merci du capital et sans droits dans leur pays d'origine, la clandestinité et la précarité les placent dans la même situation ici aussi. La liberté absolue de circulation des personnes et la régularisation de tous les sans-statut nous semblent des revendications justes qu’il faut opposer à la xénophobie ambiante et à la logique étatique.



(publié pour la première fois dans le premier numéro de Cause commune en avril 2004)

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