Les forces en présence à Québec
Le paysage politique québecois ne comporte pas de parti mainstream se réclamant de l’extrême droite, tel le Front National français ou son équivalent britanique. Il est plutôt composé d’un ensemble de groupuscules allant du groupe de pression contre l’avortement jusqu’au gang de rue en passant par de petites organisations politiques. Notre travail à davantage porté sur ces deux dernières formes d’organisations, plus précisément sur le Mouvement de Libération Nationale du Québec (MLNQ), Québec Radical (QR), sur ce que nous identifions comme étant le Front Paien du Vinland (FPV) et sur un gang de boneheads et de nazi-punk du centre-ville.
Nos premiers « contacts » avec les fafs
C’est vers la fin de l’été 2002 que nous nous sommes apperçus de la nazification croissante d’une partie de la scène punk de Québec. Pour certains individus, les badges « fuck authority » avait été remplacés par des insignes sudistes, les lacets blancs avait prit place sur les bottes de combat. Pour d’autres, la boule à zéro avait prit le dessus sur le mohawk, les bombers aux couleurs du troisième reich étaient redevenus acceptables. Des militants de gauche ont commencé à se faire harceler au centre-ville et un individu à la peau noire a été violemment battu par le chef idéologique de cette déviation. À première vue, il nous manquait des éléments pour comprendre la dynamique. Nous devions tout d’abord rassembler des informations sur les individus qui à notre sens étaient les pilliers de ce changement.
Au même moment, un groupe de jeunes fascistes sévissaient dans la banlieue ouest. Les informations que nous avions reçues précisaient que différents membres d’une organisation raciste festoyaient dans une ambiance de cérémonie odinique et de bras tendus au cœur d’un boisé en bordure de la ville à chaque vendredi soir. Nos effectifs de l’époque ne permettant pas d’aller vérifier directement sur le terrain, une enquête auprès de jeunes trainant en bordure du lieu où se tenait l’événement nous a permis de corroborer nos informations. Le 3 décembre 2002, soit quelques mois après cette escapade nocturne en banlieue de la ville, des étudiantEs du Cegep F.X. Garneau nous invitent à présenter une conférence sur la question du racisme et de l’extrême droite dans les murs de l’institution. Quelle n’est pas notre surprise de voir arriver aux portes de la conférence une dizaine de néo-nazis venant de toute évidence nuire à la bonne tenue de l’événement. Après empoignade, les jeunes racistes ont du retourner bredouille dans leur banlieue bourgeoise.
Rapidement, nous sommes confrontés à un troisième groupe organisé. Ce dernier s’est tout d’abord manifesté à l’occasion d’une manifestation en support aux victimes du réseau de prostitution juvénile, scandale qui a fait couler beaucoup d’encre dans notre petite ville, en plus d’alimenter les tribunes racistes. Le centre-ville à été tapissé de plusieurs centaines d’affiches dénonçant la culture hip hop comme étant dangeureuse pour la jeunesse blanche. Lors de cette manifestation, trois membres de notre collectif se sont déplacés sur place pour se rendre compte de la nature du groupe qui appelait à manifester. Nous étions loin de nous douter qu’une douzaine d’individus brandissant des croix celtiques et des bannières anti-immigration seraient au rendez-vous. Un groupuscule « nationaliste révolutionnaire », récupérant l’événement du procès de George Radwanli (2) organisait cette action pour faire de la propagande anti-immigration. Après avoir ramassé leurs tracts et fait une séance de photos en règle, nous avons rebroussé chemin, nos effectifs militants n’étant pas suffisant pour les confronter.
Suite à des informations divulguées sur internet, nous étions en mesure de mobiliser pour une contre-manif lors d’une autre de leur sortie le 25 avril 2003. La fragilité des informations que nous avions en main nous a rebuté à appeler à une manif large. Nous étions donc une quinzaine à venir confronter les fascistes. Tracts à la main et bannière au vent, nous sommes parvenus à interrompre leur petit party médiatique, ce qui ne tarda pas à dégénérer en affrontement physique.
Au cours de la même période, nous sommes également intervenus contre le Mouvement de Libération Nationale du Québec. (MLNQ). Nous avions ce groupe à l’oeil depuis quelques années, mais sans avoir d’analyse et de stratégie précises sur la question. Avec le collectif Bête Noire, nous en sommes venus à adopter et à publier une position commune sur l’expulsion du MLNQ des mouvements sociaux : « nous ne voulons plus voir les membres de ce groupe lors de manifestations syndicales, car nous savons que leur intêret dans ces luttes est de faire grandir la haine envers le travailleur ou la travailleuse immigrante et non envers les patrons (québécois ou autres). De même que nous ne voulons plus les voir dans les luttes contre la ZLÉA (3), car nous savons qu’ils cherchent plus à refermer le Québec sur lui même que de développer la solidarité entre les peuples de l’Amérique. Et s’ils ont de la misère à comprendre nos mots, nous leur feront comprendre autrement! » (4)
L’une des stratégies d’implantation du MLNQ est d’aller dans les manifestations, drapeaux à la main, et d’y distribuer leur propagande. À chaque année, le MLNQ organise également une manifestation à Québec le 1er juillet pour protester contre la fête du Canada. Cet événement mobilise environ une centaine de militantEs et de sympatisantEs du Mouvement. Le 1er juillet 2003, une poignée de libertaires se sont réunis pour confronter les fascistes sur le terrain, ce qui s’est soldé par des empoignades et de vives engueulades en face du Château Frontenac. Lors de cet événement, des personnalités publiques étaient présentes, tels le cinéaste Pierre Falardeau et le chef du mouvement, Raymond Villeneuve, qui sont tous deux connus pour leurs positions xénophobes. Lors des manifestations contre le gouvernement Charest le 14 avril dernier, notre groupe a su mettre en application cette tactique, tout comme d’autres militantEs antifascistes dans d’autres villes au même moment.
Réflexion et enchaînement
C’est à la suite de la contre-manif au Palais de Justice que la question de l’organisation antifasciste s’est posée. D’un côté venait la proposition de mettre sur pied ce qui devait être une organisation de masse antifasciste, où des gens de différents horizons politiques pourraient participer. Cette organisation, aux bases politiques minimales, viserait à introduire un sentiment combatif dans les différentes scènes musicales et politiques. Une seconde proposition visait à investir ces mêmes scènes musicales et culturelles du point de vue de la fédération sur la question de l’antifascisme, et cela sur nos propre bases. C’est dans cette perspective que nous avons commencé notre intervention sur le front antifasciste. Il fallait d’abord étudier les causes de cette sortie en force de l’extrême droite. Dans un contexte de globalisation du capital, de crise du logement, de montée du terrorisme et de guerre en Irak, le procès du Wolf Pack (5) fournissait aux racistes un autre cheval de bataille. L’arrivée au pouvoir des libéraux de Jean Charest donnait également des armes aux groupuscules ultra-nationalistes. Par l’entremise de nos liens avec la section locale du RASH (6), nous avons pu créer des contacts avec les différentes scènes punk, hardcore, ska et hiphop. Une telle activité n’était toutefois pas suffisante pour enrayer le problème. Pour y arriver, nous avons choisi d’appliquer l’un des principes d’ARA (7) (« We go where they go »), soit de tenir la rue et confronter toute expression du racisme et de pratiques fascistes. C’est une tactique efficace pour briser l’anonymat des individus qui expriment leur appartenance à l’extrême droite.
Notre schéma d’intervention pourrait se traduire en quatre étapes : identification de la problématique et mesure de nos capacités à intervenir, collecte d’information via internet ou de personne à personne (appartenance à un groupe, liens avec d’autres, lieu d’activité, lieu de résidence d’individus), dénonciation de la situation via notre presse ou par d’autres moyens à notre disposition, mise en place d’un plan d’action. Cette stratégie nous a permis entre autre de faire annuler des concerts de groupes à caractère raciste et d’expulser des contingents ultra-nationalistes hors de plusieurs manifestations. Vis-à-vis le FPV, nous avons également signifié notre présence dans des lieux où le groupe se réunissait par différents moyens, dont plusieurs séances de graffitis.
Critique et auto-critique
L’un des premiers éléments d’auto-critique est de souvent voir le problème plus gros qu’il n’est en réalité. Les suites de la confrontation au Palais de Justice nous ont démontré que ce n’est pas parce qu’un groupe à une belle propagande, un beau site internet et un discours « cohérent » qu’il est capable de mobiliser plus de dix personnes. Pour intervenir sur ce front, il n’est pas nécessaire de s’organiser de façon « paramilitaire ». Une seconde critique vient du fait que les seuls individus motivés à intervenir le front antifasciste ont en général le même profil, c’est à dire des jeunes hommes blancs au crâne rasé (des skins quoi!). L’action antifasciste est souvent perçue comme une affaire de gros bras. Ce préjugé vient en soit nous nuire dans notre volonté d’élargir la lutte. À l’inverse, la pratique de l’éducation populaire dans des millieux précis nous a permis de créer des liens avec des gens ayant un profil différent du nôtre et de les voir réagir face à des manifestations de l’extrême droite dans leurs milieux. À la demande d’associations étudiantes et de groupes communautaires, nous avons organisé des ateliers sur la question du racisme et de l’intolérance au cours desquels la question de l’auto-organisation a été posée. Quoi qu’il en soit, très peu de femmes participent aux actions que nous organisons, un nombre encore plus restreint choisissent d’adhérer à notre organisation.
Une autre critique que nous pourrions faire de nos pratiques est de se cantonner presque uniquement dans la lutte antifasciste, ce qui minimise notre implication dans une lutte beaucoup plus globale, celle contre le racisme et pour l’immigration. La région de Québec n’étant pas comparable à Montréal en ce qui a trait à la diversité culturelle, très peu de luttes sont menées sur la question des réfugiés et des « illégaux », mise à part la récente saga entourant la déportation de Mohamed Cherfi. Pour diverses raisons plus ou moins valables, nous n’avons pas participé pleinement à la campagne de soutien à Cherfi. Notre appui direct (qui s’est traduit par une soirée bénéfice, l’envoi de lettres d’appuis, la production d’articles et d’entrevues radiophoniques, une participation aux manifs) reste encore assez limité.
En définitive, il est difficile de mesurer si notre campagne antifasciste a pu aider à combattre les préjugés racistes dans les groupes et les quartiers où nous intervenons. Or, il nous apparaît clairement que l’atteinte de ce but ultime doit être un objectif pour toutes les organisations anarchistes. C’est même l’une des conditions essentielles si l’on veut forger une véritable conscience de classe capable de contre-balancer l’hégémonie de la bourgeoisie et de ses alliés racistes au sein de la société.
RedRoady
Notes:
1) Nazi au crâne rasé,
2) Présumé opérateur d’un réseau de prostitution juvénile dans la région de Québec
3) Zone de libre-échange des Amérique
4) La déroute inévitable du nationalisme, position du Groupe anarchiste Bête Noire sur le nationalisme québécois
5) Groupe composé majoritairement d’hommes d’origine antillaise ayant opéré un réseau de prostitution juvénile dans la region de Québec,
6) Red and Anarchist Skinhead
7) Anti-Racist Action
(publié pour la première fois dans le numéro 4 de Ruptures, mai 2004)
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