« La plus grande campagne de l’histoire du mouvement étudiant » promise par les Fédérations étudiantes n’a pas eu lieu. La grève générale promise par l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ) non plus. Au crépuscule d’un automne chaud avorté dans le mouvement étudiant, peut-être serait-il le temps de se demander, au-delà des mythes en vogue dans ce milieu, à quoi sert l’école et, surtout, à qui?
L’école produit de la main d’œuvre
L’un des mythes libéraux les plus couramment accepté est que l’école doit d’abord et avant tout produire des citoyenNEs à l’esprit critique et, accessoirement, leur apprendre un métier. Or, le néolibéralisme a ouvertement attaqué ce mythe depuis une vingtaine d’années et a donné à l’école une finalité purement utilitariste : la production d’une main d’œuvre plus ou moins qualifiée, selon les besoins et au rythme du marché. Autrefois, le but de l’éducation était de transmettre des connaissances aux étudiantEs. Aujourd’hui, on parle d’acquérir des compétences. La différence est de taille: les connaissances peuvent- en autant que les gens le veuillent bien- être le socle sur lequel se bâti une certaine autonomie intellectuelle tandis que les compétences ne brisent absolument pas le cycle de dépendance vis-à-vis des maîtres (au contraire).
L’école reproduit les inégalités
Un autre mythe libéral couramment accepté est que l’école doit favoriser l’égalité des chances, indépendamment des classes sociales d’origine des étudiantEs. Encore là, le néolibéralisme, en désocialisant la responsabilité de l’éducation pour en faire porter les coûts de plus en plus sur les épaules des individus (et de leur famille), a mis à mal ce mythe. Autrefois inféodée à l’Église et/ou à l’État, l’école était relativement autonome du marché, alors qu’aujourd’hui, avec le glissement utilitariste, elle est ouvertement à la remorque de ce dernier. À la longue, l’éducation est devenue une marchandise comme les autres et, comme toutes les marchandises, elle a un prix que tout le monde ne peut pas se payer. Avec les hausses successives des frais de scolarité depuis 1989 (près de 400% au total), l’accessibilité de l’éducation supérieure a été considérablement entamée. Il y a 15 ans, l’écart d’accessibilité à l’éducation supérieure entre les rejetons des différentes tranches de revenus était de 1%. Aujourd’hui, cet écart est passé à 8%. Une autre façon de faire porter le fardeau de l’éducation sur les épaules des individus est l’explosion de l’endettement étudiant, qui est essentiellement la réalité des jeunes des classes ouvrière et populaire. Plus bas sont les parents dans l’échelle sociale, plus élevé sera l’endettement final. À 30 000$ la maîtrise, sans parler des dix années de vaches maigres alors qu’il aurait pu avoir une job syndiquée avec un DEP ou une technique, mettons que « l’égalité des chances » coûte cher au jeune originaire d’Hochelaga ou de Limoilou.
L’école reproduit les classes sociales
L’école n’existe pas dans un vacuum. Elle est traversée par les mêmes contradictions de classes, de genres, en un mot de pouvoir, que le reste de la société. En fait, l’école a une fonction de reproduction sociale; elle est au service de l’élite et non de la communauté. Le reconnaître n’affranchit pas l’étudiantE de sa responsabilité de se battre pour améliorer ses conditions de vie, bien au contraire. Il faudra simplement reconnaître également que pour changer l’école, on doit aussi changer la société. Et que pour participer à ce changement, les étudiantEs devront trahir l’élite et mettre leurs connaissances (et leurs compétences!) au service du peuple.
Qui «représente» la jeunesse?
Il ne fait aucun doute que le mouvement étudiant représente le secteur le mieux organisé de la jeunesse. Mais de là à affirmer, comme le faisait la FEUQ dans sa pub sur les autobus, que le mouvement étudiant EST la jeunesse? Il n’y a quand même que 25% des jeunes québécoisEs qui fréquenteront un jour l’université alors que 60% vont « faire » le cégep. C’est beaucoup de monde, mais c’est loin de représenter toute la jeunesse. À la limite, le mouvement ouvrier compte plus de « jeunes » dans ses rangs que les organisations étudiantes. Par exemple, la FTQ syndique à elle seule 150 000 « jeunes », soit 5 000 personnes de plus que la FEUQ. La différence c’est qu’ils et elles ne sont pas organiséEs en tant que « jeunes » mais en tant que salariéEs, une condition beaucoup plus proche de la réalité de l’immense majorité des jeunes que le fait de fréquenter l’université. On aura beau dire, personne ne peut prétendre parler au nom de la « jeunesse », ce concept abstrait qui regroupe autant l’itinérant qui fait du squeegee au coin d’Ontario/Papineau que l’autre qui étudie pour devenir gestionnaire international à quelques coins de rue de là.
(publié dans le journal Le Trouble (automne 2004)
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