Solidarité de classe
“Des gens raisonnables”... poussés à bout!
Le Syndicat national des employés de garage du Québec (SNEGQ) n'est pas reconnu pour être un syndicat particulièrement combatif. Ce n'est vraiment pas le genre à tomber en grève à tout bout de champ. En 1972, il faisait partie de ceux qui avaient quitté la CSN pour fonder la Centrale des syndicats démocratiques (CSD) parce que la première était jugée “trop politique”. Le SNEGQ prône des relations industrielles “harmonieuses” et est partisan de la “négociation de bonne foi”. D'ailleurs, depuis 1982, le syndicat a réussi le tour de force d'éviter tout conflit de travail tout en améliorant grandement la qualité de vie de ses membres (introduction de la semaine de 36h sur 4 jours, notamment). Bref, les employé-e-s de garage sont “des gens raisonnables”.
Or, même “les gens raisonnables” savent reconnaître une attaque frontale quand ils en voient une. L'association patronale est arrivée à la table de négociation avec des demandes inacceptables comme l'abandon de la semaine de 4 jours. "Ils veulent nous soumettre aux lois du marché, avoir un horaire flexible, plus facile à gérer pour eux mais qui rend la vie familliale impossible" indique Marc Auger, le président du syndicat. "Ce que la partie patronale propose c'est de revenir à une semaine de 5 jours, avec des congés flottants en milieu de semaine!" Évidement, les employé-e-s ne veulent rien savoir. "C'est là-dessus que ça accroche" explique le président du syndicat, "on a même pas encore parlé des questions monétaires tout comme de 75% de la convention collective". Insulte suprême, les patrons sont arrivés à la table de négociation avec ces demandes et un ultimatum : lock-out le 11 décembre s'il n'y a pas de réglement. “C'est pas une façon de négocier!” s'exclame le syndicaliste et, effectivement, pour la “bonne foi”, on repassera.
Prenant acte de la stratégie patronale de confrontation, le syndicat se prépare à un long conflit. Le 2 novembre, les membres ont voté pour la grève générale à 98%. Des ententes ont été conclues avec plusieurs autres syndicats CSD et le SNEGQ se dit prêt à tenir jusqu'au printemps s'il le faut. “On a une allocation de 230$ par semaine”, explique un piqueteur devant le concessionnaire Sainte-Foy Chrysler, “c'est beaucoup mieux que les 25$ qu'on avait en 1982”. Actuellement, ce sont les concessionnaires qui ont le gros bout du bâton, “en janvier et février, ils font vivre leurs business avec les garages” explique le président du syndicat. “S'ils pensent nous casser avec un lock-out avant les fêtes, ils se trompent” explique Marc Auger “on n'est plus en 1930, les gens vont pas jouer leurs avenir sur des cadeaux de Noël!”
Quand on pousse des “gens raisonnables” à bout, ça peut être laid. Depuis 1982, le syndicat a poussé pour la négociation, mais les 850 syndiqué-e-s refusent très majoritairement de subir un recul sur la qualité de vie. “Les métiers reliés à la mécanique demeurent physiquement difficiles, en dépit des améliorations technologiques et ils sont soumis à d'importantes pressions reliées à la concurence féroce du marché. Notre principale préoccupation consiste à éviter que nos membres s'usent prématurément” insiste le président du SNEGQ. On a très mal pris l'ultimatum chez les syndiqué-e-s. Marc Auger déclarait d'ailleurs en conférence de presse: “nous sommes prêt pour un long conflit et lorsque viendra le printemps [et que le rapport de force changera de camp], notre stratégie de préservation des acquis pourrait se transformer en demandes” (traduction en bon français: “t'as voulu me faire chier...”).
Un conflit de classe
Le conflit prend une connotation particulière --classe contre classe dans l'industrie-- à cause d'une tradition syndicale singulière (le catholicisme social). En effet, Québec est la dernière région où l'industrie est gérée par un syndicat industriel unique (1) face à une association patronale unique. Résultat, le lock-out actuel touche 850 ouvriers, soit 80% des employé-e-s de garage de la région! Ce qui veut dire qu'une défaite ou une victoire du syndicat aura donc une incidence directe sur l'ensemble de l'industrie et sur le climat général des luttes syndicales. L'élite locale l'a bien compris, un juge accordait aux patrons, une semaine après le début du conflit, une injonction limitant à 10 le nombre de piqueteurs par entrée de concessionnaires. La représsion s'est également abattue préventivement sur les syndiqué-e-s de deux gros concessionnaires pour des allégations non-prouvées de "violence", de "vandalisme" et de "sabotage".
Le syndicat ne demande pas grand chose: respecter les lignes de piquetage (pourquoi ne pas s'arrêter cinq minutes pour jaser avec les syndiqués?) et klaxonner pour marquer notre solidarité. Pourtant, plusieurs progressistes font la grimace quand on parle de l'affiliation CSD des employé-e-s de garage (vieilles rancunes...). Mais sérieusement, y'a-t-il vraiment à choisir entre un syndicat CSD qui défend ses membres en lock-out et la CSN d'aujourd'hui qui joue à fond la carte de la concertation et de la collaboration? Pour notre part, nous avons choisi la camp de la classe ouvrière et nous soutiendrons toute lutte juste, peu importe l'affiliation syndicale des combattant-e-s.
Québec, décembre 2002
Collectif anarchiste La Nuit (NEFAC)
Basé sur une entrevue réalisée par un membre de La Nuit à l'émission de radio Au ras des paquerettes (CKRL MF) et sur les communiqués du syndicat.
(1) Le syndicat accueille même en son sein, dans les plus gros concessionnaires, des employé-e-s de bureau.
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