lundi 16 juillet 2007

«Locataires en colère! Locataires solidaires!»

Au delà des slogans, quelles pistes pour le mouvement?



Depuis quelques années, le mouvement pour le droit au logement a connu une forte progression au plan de la visibilité. Avec une crise du logement qui n’en fini plus de finir, les groupes membres du FRAPRU (1) et du RCLALQ (2) ont multiplié les interventions publiques et les actions en tous genres. Les médias sont au rendez-vous, mais peut-on en dire autant des locataires? De l’avis de chacun/chacune, la mobilisation reste difficile. Si les moyens d’actions prennent parfois une tournure un peu plus offensive, les revendications mises de l’avant, elles, ne parviennent pas à sortir des sentiers battus et restent souvent platement réformistes. Coincé entre l’arbre et l’écorce, le mouvement pour le droit au logement piétine… Peut-on sortir de cette position ambiguë sans adopter pour autant une position complètement « déconnectée » du contexte social actuel?

La publication récente du livre de François Saillant sur les 25 ans de la Régie du logement nous donne l’occasion de réfléchir sur ces questions. La thèse présentée par le coordonnateur du FRAPRU pourrait se résumer ainsi : la Régie du logement, loin d’être un « chien de garde » efficace du droit au logement, n’a pas le mordant nécessaire pour remplir de façon adéquate le rôle et les responsabilités que l’État lui a confié. Il y a une trentaine d’année, l’État québécois a reconnu sa responsabilité en matière de logement. François Saillant cite des extraits du Livre blanc sur les relations entre locateurs et locataires publié en 1977 par le gouvernement du Parti Québécois, document qui servira à orienter le travail de la Régie du logement : «Quelles que soient les conditions de vie des groupes ou des individus, le logement représente pour tous un bien essentiel au maintien de la vie ». Le livre blanc allait beaucoup plus loin encore, en reconnaissant que « l’État a un rôle important à jouer pour assurer que chaque citoyen puisse se loger convenablement ». Il ajoutait qu’une partie de ce rôle consiste à garantir « des relations harmonieuses mais également équitables pour tous, lorsque l’occupant d’un logement est locataire ». Faisant allusion aux milliers d’évictions pour non-paiement de loyer, Saillant souligne à juste titre que la Régie du logement est devenue au fil des ans une vulgaire « agence de recouvrement » au service des propriétaires. L’auteur résume bien les principales critiques adressées par les locataires face au travail de la Régie : la portée limitée de son champ d’action; la disparité entre les recours des propriétaires et ceux des locataires; la longueur des démarches; la complexité de se défendre seul; la prépondérance du droit de propriété sur le droit d’être logé. Loin de se résorber, une « iniquitée » s’est creusée entre les propriétaires et les locataires. Il faudrait revoir le fonctionnement de la Régie pour lui donner les moyens d’atteindre les objectifs définis dans le Livre blanc. Vraiment ?

Ne pas confondre la notion d’équité avec celle d’égalité

Lorsque l’État québécois donne le mandat à la Régie du logement de garantir des relations « équitables » entre locateurs et locataires, il ne sous-entend pas de mettre sur un pied d’égalité les deux parties. En fait, l’État prend acte de leur « puissance inégale ». Les propriétaires ne renonceront jamais à leur droit de propriété, et ce n’est pas la Régie du logement qui va changer quoi que se soit à la situation. Néanmoins, puisque le logement est un besoin essentiel, il est souhaitable de définir un compromis « acceptable » entre les deux parties de manière à préserver un semblant « d’harmonie » sociale. L’équité vise à établir un équilibre entre les intérêts de chacun (pour le propriétaire, être payé, pour le locataire, avoir un logement convenable) en tentant de prévenir « de manière impartiale » les « abus de droit » et la « mauvaise foi » qui pourrait favoriser indûment l’une des deux parties dans le processus de location

Pour l’État, parler d’équité plutôt que d’égalité n’est pas un choix banal. Ce concept restreint considérablement le champ des possibles. Sans qu’il s’agisse d’un choix « conscient » (du moins je l’espère!), le mouvement se retrouve piégé par cet horizon limité. En nous inscrivant de facto dans cette logique, nous sommes poussé vers un discours qui dénonce les « abus » des propriétaires sans jamais remettre en cause la légitimité du mode d’exploitation capitaliste. Ainsi, on parlera de mettre un terme aux « hausses abusives » de loyer plutôt que de faire campagne pour leur abolition pure et simple… Commode d’un point de vue stratégique (nous n’avons pas à nous justifier face à « l’opinion publique »), mais contre-productif si l’on se place dans le camp du changement social. En fait, nous nous tirons dans le pied en adoptant cette ligne, dans la mesure où nos interventions auprès des locataires renforcent le sentiment que nous pouvons, en dernière analyse, obtenir une plus grande justice à travers le processus juridique de la Régie, même si nous savons très bien qu’il ne s’agit pas d’un outil d’émancipation. Avec ou sans Régie du logement, une inégalité profonde subsiste entre ceux et celles qui possèdent la richesse foncière et celles et ceux qui doivent payer pour satisfaire leurs besoins les plus fondamentaux. Est-ce à dire que nous devrions revendiquer son abolition pure et simple, comme le font les associations de propriétaires?

Il est sans doute possible de revendiquer une plus grande « équité » sans mettre aux poubelles une perspective égalitaire. Nous n’obtiendrons pas l’égalité en la
« revendiquant » (comme on peut revendiquer un contrôle obligatoire des loyers). Nous y parviendrons en abolissant le régime de propriété privée. Pour être en mesure d’y arriver (et de gagner des batailles chemin faisant), nous devons nous organiser de manière différente. Pour l’instant, les comités logement fonctionnent souvent comme des outils d’information alternative (3) et, de façon ponctuelle, de mobilisation collective. Sans mettre de côté toutes les revendications face au gouvernement (4), ni le mandat d’information sur les recours à la Régie (qui demeurent importants à comprendre, ne serait-ce que pour éviter de se faire fourrer davantage), il nous faut accorder une plus grande importance à une critique en profondeur du marché locatif privé et du rôle de l’État dans la reproduction de ce système d’exploitation. Au delà des lieux communs ou de la langue de bois, il y a lieu de réactualiser cette approche de manière à l’ancrer plus profondément dans le vécu quotidien des locataires.


S’organiser autrement?

On doit constater que les recours à la Régie font en sorte d’individualiser plutôt que de collectiviser les luttes. En ce sens, le système de « justice » est à l’image de la société capitaliste et de l’idéologie libérale. Il suffit d’avoir tenté des recours collectifs devant la Régie du logement pour se rendre compte que les associations de locataires d’immeuble n’ont aucune légitimité devant ce tribunal. Contrairement à ce qui prévaut dans le monde du travail, les propriétaires n’ont pas non plus l’obligation de négocier avec elles. La création de telles associations est pourtant essentielle si nous souhaitons voir la lutte être prise en charge par les locataires eux et elles-mêmes. Là où elles existent, les associations jouent parfois un rôle de premier plan dans l’affirmation d’un contre-pouvoir, certes embryonnaire mais néanmoins efficace, face aux diktats des proprios.

Le mouvement pour le droit au logement pourrait aller beaucoup plus loin dans l’organisation rue par rue, bloc par bloc, propriétaire par propriétaire, pour favoriser la création de comités auto-organisés de locataires fédérés entre eux à travers des associations au niveau du quartier ou de la municipalité. Les comités logement actuels peuvent jouer un rôle premier plan dans cette stratégie d’organisation de type « syndicale », tout particulièrement lorsque la taille des immeubles permet difficilement la création d’une association.

Si le fait de prendre conscience de ses « intérêts » à court terme (ex : payer le moins cher possible pour des logements dans le meilleur état possible) va généralement de soi pour celles et ceux qui choisissent de se regrouper, on ne peut en dire autant des intérêts à long terme des locataires (se débarrasser des propriétaires et socialiser les logements). Pour reprendre des catégories élaborées par d’autres, le passage d’une conscience « trade-unioniste » vers une conscience « révolutionnaire » n’est pas une mince tâche. Bien des étapes doivent être franchies avant que cette transition soit envisageable concrètement. À l’heure actuelle, les locataires sont pour la plupart prisonnier-e-s de la précarité de leur statut. De plus en plus pauvres, bien des locataires sont pris à la gorge par les hausses de loyer à répétition, sont victimes de harcèlement, vivent sous la menace des reprises de possession ou des évictions pour non-paiement de loyer. Qui plus est, la relation entre propriétaire et locataire, tout comme celle entre patrons et salarié-e-s sur un lieu de travail non-syndiqué, reste avant tout individuelle. Difficile de créer un vrai rapport de force dans ces conditions. Il faut commencer par donner confiance aux locataires dans leur propre pouvoir d’action. Pourquoi ne pas consacrer davantage de temps à la mobilisation et au soutien des locataires qui souhaitent s’organiser? Ce choix, plus facile à dire qu’à faire, aura d’autres retombées positives, dont celle de freiner la bureaucratisation croissante de nos associations. Notre pratique et nos revendications doivent nous permettre d’ouvrir cette porte, mais également nous amener à une remise en cause du pouvoir des propriétaires, de l’État et du système de justice en proposant les contours d’un projet de société égalitaire, solidaire et libertaire.

Michel Nestor
(Québec)

Notes:

(1) Front d’action populaire en réaménagement urbain
(2) Regroupement des comités logement et association de locataires du Québec
(3) Bien des locataires confondent le travail des comités logement avec celui… de la Régie du logement!
(4) N’étant pas un partisan de la politique du « pire », je pense qu’il faut défendre avec acharnement les rares droits que nous avons face aux attaques de l’État et des associations de propriétaires. De même, je pense qu’il faut voir d’un bon oeil les mesures qui peuvent entraver la capacité des proprios à faire toujours plus de profits (ex : contrôle obligatoire des loyers) ou celles qui nous permettent de respirer un peu plus librement du point de vue financier (les logements sociaux).

(Publié pour la première fois dans le numéro 6 de Ruptures, mai 2006)

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