dimanche 15 juillet 2007

Retour vers le passé : Portrait de l’extrême droite au Québec

Faire le portrait de l’extrême droite québécoise n’est pas une tâche facile. Souvent marginale et peu médiatisée, on ne voit qu’une infime partie de ses activités, tant son expression publique reste limitée. Contrairement à la situation prévalant dans bon nombre de pays occidentaux, l’extrême droite québécoise a peu de relais officiels clairement identifiables dans les institutions politiques, culturelles et économiques. Finalement, ce courant se décompose en une myriade de chapelles et de groupuscules souvent opposés les uns aux autres sur des points de détails.

Nous tenterons de mettre à jour ces différences en subdivisant l’extrême droite en deux courants de fond (national-catholique et national-révolutionnaire), que nous traiterons successivement. Bien entendu, des individus et des groupes servent de passerelles entre les différentes mouvance. Nous évoquerons leur importance en temps et lieux.

Les ultra-nationalistes catholiques

Liés de près aux éléments les plus réactionnaires de l’église catholique, ce courant est présent depuis très longtemps au Québec. Ses principaux porte-parole ont en commun un rejet de la modernité et de ses valeurs. Leur nostalgie du Canada Français d’avant la « Révolution tranquille » les amène à combattre pour un monde ordonné par l’autorité divine, où chacunE retrouverait sa place d’antan. Foncièrement patriarcal, homophobe et inégalitaire, le courant national-catholique a perdu beaucoup de plumes au cours des dernières années. Constatant le cul-de-sac dans lequel ils s’embourbent, plusieurs groupes décident à l’automne 2001 de mettre sur pied un nouveau parti politique : le Parti Démocratie Chrétienne du Québec. Ses membres viennent des rangs du Centre d’information nationale Robert-Rumilly (CINRR), de la Campagne Québec-Vie et de la Société des missionnaires laïcs (SML). Avant de parler de ce parti politique provincial, présentons brièvement quelques-uns de ses membres fondateurs.

Le Centre d’information nationale Robert-Rumilly

Créé en 1990, le CINRR regroupe les éléments les plus militants des fascistes catholiques. Son nom rappelle la mémoire de Robert Rumilly, un historien ultra-nationaliste d’origine française arrivé au Québec dans les années 1930 (1). Le programme du CINRR place clairement ce groupe à l’extrême droite de l’échiquier politique : « L’État a la mission spi- rituelle de défendre et de promouvoir les caractères chrétiens, occidentaux et français de la nation et aussi de lutter contre le mondialisme qui, sous couvert d’antiracisme, de pacifisme et de tolérance, vise l’uniformisation planétaire, la mort des nations et la fin de la mission spirituelle de l’Occident » (2). Plusieurs de ses membres (dont le chanoine Achille Larouche, le père spirituel du CINRR) ont notamment participé à diverses campagnes contre la laïcisation du système éducatif à travers le Regroupement provincial des parents catholiques et le Regroupement scolaire confessionnel. Revendiquant plus de 500 membres à travers le Québec (un chiffre sans doute exagéré), le CINRR s’est dissout à l’intérieur du Parti Démocratie Chrétienne à sa création. Ses principaux dirigeants forment maintenant l’ossature de cette formation politique.

La Campagne Québec-Vie

Certains membres du CINRR, tel le diplomate à la retraite Gilles Grondin (3), se sont investis dans la lutte contre l’avortement à travers la Campagne Québec-Vie (CQV). Après 13 ans à la tête de ce lobby anti-choix, Grondin a cédé sa place en mars 2002 à un ex-étudiant en médecine de l’Université Laval domicilié à Brossard, Luc Gagnon. Dès son arrivée à la tête de CQV, Gagnon s’est fixé comme objectif d’intensifier le lobbying en direction des députés provinciaux et fédéraux pour les amener à s’impliquer dans la cause qu’il défend (notamment par une participation au caucus pro-vie déjà existant à Ottawa).

Tout comme le Parti Démocratie Chrétienne, CQV entretient d’étroites relations avec Ghislain Lebel, élu en 1993 dans le comté de Chambly sous la bannière du Bloc Québécois (4). Connu pour ses positions pour le moins « conservatrices » (lire racistes, homophobes et patriarcales), Lebel a notamment appuyé la démarche entreprise en 2001 par Mathieu Bock-Côté et Guillaume Ducharme au sein de la Commission Jeunesse du Bloc Québécois visant à réhabiliter le nationalisme ethnique. Luc Gagnon, dans un article publié dans le bulletin de CQV, appui également le Manifeste de la pensée nationale rédigé par Ducharme et Bock-Côté: « les jeunes bloquistes veulent ancrer leur combat dans le terreau de leur ancêtres et dans la mémoire nationale (…) Cet enracinement dans le pays réel québécois est développé dans Le Manifeste de la pensée nationale où les jeunes bloquistes ne craignent pas de se réclamer de Lionel Groulx, en amont de Charles Maurras et de Maurice Barrès et en aval de Yves Michaud et de Serge Cantin. Ils assument l’intégrité de l’héritage national canadien-français contre ceux qui voudraient faire de nous, les jeunes Canadiens français, des orphelins ». Pour Luc Gagnon, tout comme pour le reste de l’extrême droite catholique, la survie de la nation passe par l’arrêt de l’immigration et l’interdiction de l’avortement: « À l’heure où le Québec demande à Ottawa 35 000 immigrants alors qu’il avorte 35 000 enfants par année, on ne peut qu’être songeur quand à l’avenir de ce petit peuple français d’Amérique ».

L’autre objectif de Gagnon est d’influencer l’opinion publique pour contrer la progression de ce qu’il appelle la « culture de la mort » (avortement, homosexualité, idées de gauche, etc.) au sein de la société québécoise. Pour y arriver, il tente de briser l’étau de son courant, quitte à regrouper des libertariens et d’autres catholiques épris de tradition. Le résultat de ces efforts a été le lancement en novembre 2003 d’une nouvelle revue de « résistance conservatrice », Égards. Cette publication réunis quelques pamphlétaires et essayistes autour d’un projet commun : donner une voie aux intellectuels réactionnaires pour hâter le retour d’un « lumineux moyen-âge » au Canada français. On retrouve dans les pages d’Égards le romancier Maurice G. Dantec, bien connu pour ses sympathies fascistes, aux côtés de Jean-Luc Migué, un économiste ultra-libéral proche du Fraser Institute, et de Gary Caldwell, un « éminent » sociologue qui s’est présenté aux élections fédérales de 2004 sous la bannière du Parti Conservateur.

La Société catholique des missionnaires laïcs

Les débuts de la Société catholique des missionnaires laïcs remontent aux années ’70. Le groupe a été fondé par un ex-éducateur, membre de l’Ordre franciscain séculier, le frère Jean Dominique Talbot. Il s’installe sur l’Ile d’Orleans à la maison mère de l’Association des chevaliers de Saint-François d’Assise. Talbot y forme de jeunes catholiques et les dirige vers la prêtrise et l’évangélisation. En 1995, l’Association déménage ses pénates à Sainte-Anne-de-La-Pocatière et devient en 1998 la Société catholique des missionnaires laïcs (SCML). Depuis plus de 10 ans, la SCML produit une tonne de propagande violemment homophobe et sexiste où la restauration de la primauté de Dieu sur la société est sans cesse invoquée. Talbot a fait des émules. L’un d’eux, Martin Aubut, dirige une maison de production audiovisuelle (Sans Détour) en plus d’être l’auteur d’un livre au titre apocalyptique qui carbure à la théorie du complot. Dans Dénonciation troublantes et inédites , Aubut révèle « les manoeuvres maçonniques déployées pour détruire la chrétienté en France et au Québec par, entre autres, la laïcisation de l’enseignement, le rock’n’roll, le contrôle financier du nouvel ordre mondial et la diffusion du poison spirituel du Nouvel Age ». Le livre de Martin Aubut figure dans la liste d’ouvrages recommandés par Campagne Québec-Vie. Aubut est également le directeur de la revue de la SCML, Un phare dans la nuit, la-quelle vise un public jeune et francophone un peu partout à travers le monde.

Le Parti Démocratie Chrétienne du Québec

C’est suite à un colloque organisé par la Société catholique des missionnaires laïcs que des militantEs natio-nal-catholiques décident de fonder une nouvelle formation politique, en mesure de mobiliser les partisans de l’ordre et de la tradition. C’est ainsi que va naître le Parti démocratie chrétienne du Québec (PDCQ), dirigé par un membre influent du CINRR, Gilles Noël. Professeur de physique au CEGEP du Vieux-Montréal, Noël a une certaine expérience politique. En 1998, il se présente comme candidat indépendant dans la circonscription de Verdun. Lors des élections provinciales d’avril 2003, le PDCQ va présenter 25 candidatures et recueillir 3226 voix, une moyenne de 129 par candidat. Ce maigre résultat (aucune candidature ne franchit la barre des 1%) s’explique entre autre par le refus de la hiérarchie catholique d’appuyer le nouveau parti, mais aussi par l’absence de candidat vedette. Deux noms se dégagent tout de même du lot : Paul Biron et Gérard Gauthier. Biron est sans doute le plus connu des deux. Membre fondateur du Mouvement de libération nationale du Québec, militant pro-vie notoire, Biron est le frère du politicien nationaliste Rorigue Biron. Quand à Gauthier, il a milité aux côtés d’Adrien Arcand dans le Parti de l’unité nationale du Canada (PUNC) (5) avant de rejoindre le Centre d’information nationale créé par Robert Rumilly au cours des années ’50. Tout deux comptent parmi les vieux débris du fascisme made in Québec pour qui le PDCQ sert d’ultime caisse de résonance. Le principal cheval de bataille du Parti démocratie chrétienne est la défense inconditionnelle du caractère catholique de la nation canadienne-française. Ses modèles sont ceux du passé : le culte voué à Lionel Groulx et l’admiration pour l’Ordre de Jacques-Cartier (6) font du PDCQ une créature archaïque, condamnée à mourir avec les restes de la société traditionnelle.

Une nouvelle génération?

Malgré ce que l’on pourrait croire, le courant national-catholique suscite de nouvelles vocations. Ici et là, des groupuscules apparaissent. C’est notamment le cas des Penseurs patriotes (Saint-Jérôme), du Front nationaliste chrétien (Rock Forrest), de Long-Sault (Lévis) et de la Librairie Saint-Louis (Montréal).

Les Penseurs Patriotes sont un petit groupe de jeunes catholiques ultra-nationalistes des Laurentides, issus des rangs de l’Armée de Marie (7). Leur projet politique s’articule autour des thèmes suivants : « un Québec souverain, Français de langue et Chrétien catholique. Nous nous opposons à toutes les formes d’idéologies communiste, marxiste et franc-maçonniques (...), à toute séparation de l’église et de l’État ». Les Penseurs Patriotes réclament également un moratoire sur l’immigration. Au cours de l’année 2002, l’organisation a créé des liens avec un autre groupe ultra-nationaliste fascisant, les Jeunes Patriotes du Québec. Cette alliance semble avoir été de courte durée, les Jeunes Patriotes étant rapidement amalgamés au MLNQ (nous y reviendrons). Le « président » des Penseurs patriotes, Michel du Cap, annonce en décembre 2003 que le groupe se sépare pour fonder une « communauté de réflexion » au nom évocateur : La Phalange (8). Michel Du Cap poursuit son implication au sein de l’exécutif du Parti Québécois dans le comté de Prévost, à titre de représentant des jeunes.

« Dieu, famille, patrie » : tel est le leitmotiv du Front nationaliste chrétien, un groupe d’extrême droite des cantons de l’est. Leur plate-forme politique est un mélange de mesures populistes et de politiques réactionnaires. La survie de la nation et des valeurs traditionnelles est au coeur de leur projet de société. Plus articulés que les Penseurs patriotes, le FNC n’est pourtant pas à une contradiction près. Se présentant comme « antiracistes » et « anti-sexistes », ses membres réclament pourtant à grand cris un moratoire sur l’immigration et le retour des femmes au foyer, leur place naturelle! Le FNC a une proximité idéologique avec d’autres éléments du réseau national-catholique, notamment en France avec la Garde Franque, une organisation de jeunes catholiques intégristes proche du Front National. On retrouve d’autres représentants de cette mouvance au Québec, dont le bulletin Long-Sault et la Librairie Saint-Louis. Ces deux petits groupes suivent le sillon tracé par les intégristes de la Fraternité Saint-Pie-X, une congrégation catholique qui a rompu avec le Vatican il y a une trentaine d’année parce qu’elle trouvait l’église officielle trop « moderne » et « marxiste ». Long-Sault est publié à Lévis, l’un des chef-lieu de la Fraternité au Québec, par un jeune dévot anti-communiste, Philippe Roy. Le bulletin compte également un vieux routier de l’extrême droite parmi ses collaborateurs. Jean-Claude Dupuis est actif dans le milieu national-catholique depuis 1992. Il a notamment été rédacteur en chef de la revue Jeune Nation au début des années ’90. Cette publication a été pendant 6 ans le fer de lance intellectuel de la « nouvelle droite » (9) au Québec. Le site web de Long Sault est hébergé sur un serveur de Montréal qui sert de repère à la Librairie Saint-Louis, dirigée par Ivan Kraljic. Spécialisée dans la vente par correspondance de livres publiés par diverses maisons d’édition catholiques intégristes d’Europe et d’Amérique, la Librairie Saint-Louis sert de relais québécois pour la pensée contre-révolutionnaire d’ici et d’ailleurs. Son adresse postale est la même que celle de la Fraternité Saint-Pie X sur la rue Dante, en plein coeur de la Petite Italie.

Le « nationalisme-révolutionnaire »

A priori, le nationalisme-révolutionnaire (NR) se situe aux antipodes du courant national-catholique. Mais avec un pied dans le camp de la tradition et un pied dans le camp du changement, le nationalisme-révolutionnaire n’a souvent de révolutionnaire que son nom. Il faut dire que ce courant peut s’avérer attirant dans un contexte québécois. Si l’on évite de se poser trop de question, on pourrait l’associer spontanément au Front de libération du Québec (FLQ). Bon nombre de nationalistes, aux positions souvent antagonistes, se disputent la dépouille felquiste, cherchant à attirer dans leur giron de jeunes militants épris de romantisme. Il en va tout autrement en Europe, où les nationalistes-révolutionnaires représentent « l’aile gauche » du mouvement fasciste. Leur discours xénophobe et antisémite se cache derrière un paravent anti-impérialiste, n’hésitant pas à reprendre certains symboles et concepts copiés de l’extrême gauche. Les groupes NR québécois (rebaptisés frileusement « identitaires ») sont tributaires de cette double filiation idéologique, ce qui leur permet de jouer sur le terrain du nationalisme ethnique tout en se présentant comme une rupture avec le système capitaliste anglo-saxon... du moins en apparence. Si certains, comme le MLNQ puisent davantage dans le terreau du nationalisme québécois, d’autres tentent d’implanter ici le type d’organisation développé en France par le Bloc Identitaire (10).

Le MLNQ

« Le PQ est accusé injustement d’être raciste et xénophobe par ses ennemis, alors qu’en réalité c’est un parti multiculturel ethnomasochiste. Au MLNQ, nous dénonçons le multicultu-ralisme et les excès de l’immigration depuis notre fondation ». L’homme qui s’exprime ainsi est nul autre que le président du Mouvement de libération nationale du Québec, l’ex-felquiste Raymond Villeneuve. Créé en décembre 1995 dans la foulée de la victoire du « Non » au référendum, le MLNQ se présente comme une coalition regroupant des citoyens de toutes les classes sociales et de toutes les opinions politiques prêts à combattre par tous les moyens « l’impérialisme canadian » et ses alliés « fédérastes » en territoire québécois. L’organisation est sans aucun doute l’un des principaux vecteurs de l’extrême droite au Québec, notamment à cause de sa grande visibilité médiatique et de la notoriété publique de certains de ses sympathisants, comme le cinéaste Pierre Falardeau (11).

Officiellement ni de gauche, ni de droite, le MLNQ réclame pourtant depuis sa création un moratoire sur l’immigration. Les pages de son bulletin mensuel (La Tempête) débordent de commentaires et de caricatures racistes, antisémites et anglophobes. Ainsi, le leader partionniste Howard Galganov apparaît constamment affublé d’une étoile de David, ce qui n’est pas sans rappeler le « marquage » identitaire pratiqué par les nazis pendant dans les années ’30 et ’40. Pourquoi une telle obsession autour de la question de l’immigration? Pour le MLNQ, les immigrants qui refusent de s’assimiler sont une me-nace constante à la survie du peuple québécois : « les autorités canadiennes d’aujourd’hui se servent du Québec comme une poubelle pour l’Empire britannique. On tente de nous faire disparaître en nous métissant et en nous anglicisant. Nous sommes d’abord des Français d’Amérique et non ce que certains appellent des citoyens du monde ».

Si certains éléments d’extrême droite, comme Paul Biron ou Yves Ménard (12), se retrouvent dès le début dans l’organisation qu’il dirige, Villeneuve en vient à courtiser activement des néo-nazis pour qu’ils s’impliquent dans son mouvement. C’est notamment le cas des Fils de Vinland (FdV), un regroupement de boneheads (13) implanté à Sherbrooke, Montréal, Trois-Rivières et Québec. Pour les FdV : « Le nationalisme révolutionnaire est et sera toujours la lutte pour la conservation et l’édification de notre caractère racial ». C’est un membre des FdV qui a mis en ligne le site « la droite nationaliste ». En plus d’une recension méticuleuse des groupes fascistes francophones présents sur internet, on pouvait trouver sur le site un fichier contenant une liste d’individus et de groupes politiques, communautaires et étudiants connus pour leur engagement anti-raciste. En identifiant les « ennemis du peuple québécois », les FdV appliquaient une tactique d’intimidation et de harcèlement développée en Angleterre et aux États-Unis par diverses organisations néo-nazies. Engagés dans un combat pour « la survie de la race aryenne », les Fils de Vinland se retrouvent aux côtés du MLNQ dans un concert organisé à Montréal le 17 juin 2000 auquel participent les Trouble Makers, un groupe RAC (14) de Laval. Villeneuve voit en eux de bons petits soldats pour ses projets politiques et tente de les recruter.

Le MLNQ et les Fils de Vinland vont collaborer sur divers projets. Une entrevue de Villeneuve, publiée dans le fanzine des FdV, se retrouve dans La Tempête. Une campagne contre « le racisme anti-québécois » est menée conjointement en 2000, les FdV fournissant un support sur internet. Ce processus de fusion ne se fait pas sans heurts. Une bonne partie de l’aile gauche du MLNQ quitte ainsi l’organisation, poussé vers la porte par Villeneuve lui-même. Ils sont remplacés par de nouvelles troupes, provenant notamment des Jeunes Patriotes du Québec (JPQ), un groupe que nous avons évoqué un peu plus tôt. Les JPQ se sont fait connaître en menaçant d’intervenir contre la venue de la reine Élizabeth II en sol québécois. Originaires de Montréal, ils tentent de créer des contacts ailleurs en province, notamment à travers leur forum sur internet. Officiellement non-raciste, les JPQ tolèrent pourtant la présence d’éléments ouvertement fascistes dans leurs rangs. Plusieurs ex-militants des JPQ (dont leur président, Marc Boulanger) sont arrêtés à l’automne 2003 à la suite d’une virée nocturne dans le West-Island où ils ont recouvert l’hôtel de ville de Baie d’Urfé de slogans nationalistes et anglophobes. Le MLNQ a enfin trouvé ses premiers « prisonniers politiques ».

De leur côté, les FdV cessent toute activité en mars 2001. Pendant que les plus jeunes rejoignent le MLNQ, d’autres abandonnent l’action politique. Un certain nombre de militants s’efforcent toutefois de construire d’autres organisations. Ils trouveront leur inspiration en Europe, du côté du mouvement « identitaire » en pleine ascension.

Les identitaires québécois

En décembre 2002, une « bombe » explose à Québec. La police démantèle un réseau de prostitution juvénile actif depuis plusieurs années. Si les clients du réseau sont pour la plupart des hommes d’affaires blancs, certains proxénètes ont la peau noire. Ils appartiennent à un gang de rue (le Wolfpack) qui a des liens avec un groupe de hip-hop de Québec. Il n’en faut pas plus pour voir le nombre d’altercations et de commentaires racistes monter en flèche dans la région. Les accusations pleuvent, les préjugés prennent le dessus sur la raison. On a touché à nos petites soeurs. Les immigrants (« la filière libanaise », « la filière africaine ») servent de boucs émissaires.

Au mois de février, les rues de la ville de Québec sont recouvertes d’affiches dénonçant le rôle joué par les immigrants et la « contre-culture hip-hop » dans le réseau de prostitution juvénile. L’affiche, signée par un mystérieux « Comité des citoyens enragés », appelle à une manifestation de solidarité avec les victimes du Wolfpack devant le Palais de justice. Au lieu de simples « citoyens », les personnes trouvent sur place une douzaine de jeunes militantEs diffusant un tract contre « l’immigration sauvage » et la « traite des blanches ». Le choix des mots et des symboles (notamment de croix celtiques, un symbole utilisé par les suprémacistes blancs depuis les années ‘60) ne trompent pas : nous sommes en présence d’un groupe fasciste. C’est la première apparition publique de Québec-Radical, une formation « identitaire » (lire raciste) cherchant à rassembler les militants nationalistes-révolutionnaires du Québec.

Ceux-ci proviennent d’horizons assez divers. Certains sont issus des Fils du Vinland (15), d’autres ont milité un temps au MLNQ. Les animateurs des revues Franc-Parler et Aquila participent également au mouvement. La revue Franc-Parler est l’une des rares publications NR disponibles au Québec. La présentation du premier numéro, sorti en décembre 2001, donne le ton à son contenu : « Devant un vide total en matière de presse nationaliste et identitaire au Québec, son premier but fut de donner une tribune aux radicaux. En plus du combat idéologique et d’une analyse de l’actualité vue de notre position, Franc-Parler est aussi un zine qui mène le combat culturel. Devant le minabilisme bon marché du star-systeme américano-sioniste apatride au message mondialiste et uniformiste nous répondons avec une offensive libre et enracinée ». Malgré son petit tirage (une centaine d’exemplaires vendus par correspondance), Franc-Parler surprend par une qualité de montage et un contenu diversifié peu commune dans les rangs de l’extrême droite québécoise. Son rédacteur en chef n’en est pas à ses premières armes. Sous le nom de Distribution Avalon, il a mis en ligne plusieurs sites web et organisé la vente par correspondance de revues d’extrême droite françaises (Jeune Résistance et Montségur) ainsi que des oeuvres de Robert Dun, un militant anarchiste passé au national-socialisme pendant la deuxième guerre mondiale. À partir du numéro 3, Franc-Parler va devenir le porte-étendard de Québec-Radical.

Quand au bulletin Aquila, il s’agit d’une publication national-bolchévique éditée à Hull depuis la fin des années ‘90. Inspirée par les écrits du penseur fasciste italien Julius Evola, Aquila se donne pour mission « d’unir, en une pensée cohérente, les meilleurs aspirations, de droite et de gauche, de l’élite spirituelle et intellectuelle du Québec et du Canada français. (...) Le traditionalisme révolutionnaire, synthèse et dépassement de la droite et de la gauche, propose au peuple québécois et à l’Occident une vision du monde qui défend la diversité culturelle et l’autonomie économique des nations et des civilisations, contre le libéralisme capitaliste. Le mondialisme, dernier stade du capitalisme, est notre ennemi. L’Empire confédéral est notre mot d’ordre. Sa résurrection se réalisera avec la disparition parallèle de l’impérialisme économique mondial du capitalisme et de ses conséquences néfastes et dissolvantes du « New Age » et du multiculturalisme ». Malgré son programme néo-fasciste ultra-autoritaire, Aquila entretient des liens avec certains militants d’extrême gauche. Ainsi, la revue est diffusée à Québec par un militant du Parti communiste révolutionnaire (PCR) (16) proche du MLNQ et connu pour ses sympathies ultra-nationalistes!

Parmi les autres membres et collaborateurs de Québec-Radical, on remarque le guitariste des Trouble Makers, (Maxime Taverna), un étudiant en génie informatique de l’Université Laval (Mario Petitclerc (17)), mais aussi de jeunes catholiques intégristes et des païens du Mouvement traditionaliste du Vinland (18) proches de la scène black métal national-socialiste (19).

Véritable auberge espagnole du fascisme nouveau genre, Québec Radical s’est rapidement déchiré sur plusieurs enjeux de premier plan, dont l’épineuse question religieuse. Païens et cathos n’ont pu cohabiter bien longtemps sans se perdre dans d’interminables engueulades sur fond d’ésotérisme et de croisades! Le ciment ultra-nationaliste de Québec-Radical aura tenu à peine plus d’un an. En septembre 2003, le site web disparaît pour de bon. Deux nouveaux sites liés à l’ancien mouvement apparaissent coup sur coup. Les Feux-Follets (20) poursuivent le chemin tracé par Avalon et se consacrent à la diffusion des oeuvres de Robert Dun à partir d’une boite postale de Rock Forrest. L’autre site, réalisé par les Affranchistes, tente le tout pour le tout en poussant jusqu’au bout la récupération des idées et des symbo-les socialistes pour les mettre au ser-vice d’une idéologie raciste. En se définissant comme anarcho-identitaires, les Affranchistes offrent un lifting à l’extrême droite. Mais comme bien des cures de jouvence, celle-ci révèle rapidement le visage hideux du fascisme. Car malgré les références à la Commune de Paris, à Léo Ferré, aux black blocs ou à Émile Pouget, c’est bel et bien à des militants d’extrême droite que nous avons affaire. L’approche « ethno-différencialiste et anti-mondialiste » des Affranchistes les conduit à « refuser l’immigration de masse qui détruit le patrimoine bioculturel de la société d’accueil indigène ». en l’occurence celui des « Euroquébécois, peuple d’Amérique du Nord, de souche européenne et de langue française ». Le modèle économique proposé, une forme à peine voilée de corporatisme mussolinien, fait l’apologie de l’élitisme, de la liberté d’entreprise et du droit à la propriété. Comme on le voit, il n’y a rien de bien anarchiste ou révolutionnaire dans le projet de société des Affranchistes : rien que les vieux habits de la haine en chemise brune.

Conclusion

Ce portrait rapide de l’extrême droite québécoise révèle certaines similitudes entre ses différents courants. La plus visible reste sans aucun doute la peur de disparaître en tant que peuple blanc et francophone. C’est le vieux fond du nationalisme ethnique qui refait surface avec virulence. À ce sujet, l’ensemble des groupes se rejoignent sur le danger représenté par l’immigration. Autre point en commun, le caractère foncièrement patriarcal de son discours et de ses pratiques. Tant Québec-Radical que le Parti de la démocratie chrétienne insistent pour ramener la femme à un rôle de mère-pondeuse afin de repeupler la nation. La question religieuse, au centre des préoccupations de plusieurs groupes, demeure un facteur de discorde. Le courant national-catholique, en perte de vitesse, risque d’être dépassé à terme par les divers courants qui font du nationalisme ethnique leur seule et unique religion, voire même par la mythologie celtisante qui gagne en popularité auprès des jeunes attirés par la scène black metal.

Malgré une méfiance vis-à-vis la politique officielle, on retrouve plusieurs militants d’extrême droite dans des partis et organisations nationalistes mainstream, tel le Parti Québécois, le Bloc Québécois ou la Société Saint-Jean-Baptiste (21). Le cas de Mathieu Bock-Côté est parti-culièrement intéressant. Expulsé du Bloc par la haute direction suite à la publication de son Manifeste hautement controversé, on le retrouve quelques années plus tard à l’exécutif de la Commission jeunesse du PQ. L’excommunication aura été de courte durée! À n’en pas douter, des courants réactionnaires existent à l’intérieur des deux grands partis nationalistes, ce qui se traduit notamment par un louvoiement de nombreux députés face aux mouvements suprémacistes blancs qui tentent de bloquer toute avancée significative des droits des autochtones (22).

Combattre l’extrême droite au Québec passe donc par une critique implacable des travers du nationa-lisme, mais aussi par un appui direct aux groupes visés par les ultra-natio-nalistes, que ce soit les immigrantEs, les femmes, les gais et lesbiennes ou les Autochtones. Sans cet appui, sans un travail concret dans nos communautés pour marginaliser les discours réactionnaires et enrayer la xénophobie, la lutte anti-fasciste restera cantonnée dans les marais de l’abstraction et de la théorie.

Michel Nestor


Notes:

(1) Ex-membre de l’Action Française, Rumilly n’a jamais caché son appui au régime du Maréchal Pétain, ni à ceux qui ont collaboré avec la gestapo ou l’armée allemande pendant la deuxième guerre mondiale.

(2) Cartman, Éric, 1999, « Notre maître le passé?!? », p. 40

(3) Grondin est également membre de l’Opus Dei, un mouvement catholique ultra-conservateur présent aux quatre coins du globe.

(4) Lebel a démissionné du Bloc Québécois en 2002 après avoir dénoncé « l’approche commune » avec les Innus.

(5) Le PUNC était la principale organisation nazie au Québec jusque dans les années ’50.

(6) L’Ordre de Jacques-Cartier fut créé dans les années ’50 par de haut-fonctionnaires canadiens-français désireux de promouvoir leur ascension sociale au sein de la fonction publique fédérale, largement dominée par les anglophones. Cette « société secrète » a rapidement regroupé les élites canadiennes-françaises désireuses de protéger leurs traditions et privilèges. On retrouve parmi ses membres les plus illustres le chanoine Lionel Groulx.

(7) L’Armée de Marie est une secte catholique, fondée à Lac-Etchemin (Québec) par Marie-Paule Giguère. Cette dévote se présente comme l’incarnation mystique de Marie, ce qui lui vaut une mise au ban par le Vatican au milieu des années ’80.

(8) La Phalange est le nom d’un mouvement fasciste espagnol actif pendant les années ’30 et dirigé par Primo de Rivera.

(9) Nom donné à un courant néo-fasciste français, personnalisé par l’intellectuel Alain de Benoist.

(10) Le Bloc Identitaire est la principale organisation néo-fasciste française à droite du Front National. Autrefois baptisée Unité Radicale, elle fut dissoute par le gouvernement français suite à la tentative d’un de ses militants, Maxime Brunerie, d’assassiner le président Jacques Chirac lors du défilé militaire du 14 juillet 2002.

(11) On retrouve Pierre Falardeau dans plusieurs rassemblements du MLNQ, dont à la manifestation organisée le 1er juillet 2003 contre la fête du Canada sur la terrasse Dufferin à Québec.

(12) Ménard fut au début des années ’90 le dirigeant du Mouvement pour une immigration restreinte et francophone (MIREF) et du Mouvement pour un pays canadien-français, deux organisations racistes liées à la mouvance nationaliste d’extrême droite. Au cours des dernières années, il s’est impliqué dans le mouvement masculiniste.

(13) Le terme « bonehead » sert à distinguer les néo-nazis au crâne rasé des « véritables » skinheads. Contrairement à ce que les mass-médias ont pu en dire, les skinheads sont à l’origine un mouvement foncièrement anti-raciste, regroupant de jeunes prolos noirs et blancs épris de musique jamaïcaine. Les néo-nazis ont tenté tant bien que mal de récupérer ce mouvement pour l’amener sur les rails du racisme le plus destructeur. Les skins qui ont suivi ce chemin n’ont plus rien à voir avec le mouvement original : ils sont par conséquent devenus des « boneheads » aux yeux des skins qui sont demeurés anti-racistes.

(14) Le RAC est l’abréviation de « Rock Against Communism », un sous-courant musical issu de la scène bonehead anglaise. Le RAC est la réponse fasciste aux nombreux concerts « Rock Against Racism » organisés dès le début des années ’80 par la gauche révolutionnaire pour lutter contre l’influence grandissante des idées d’extrême droite au sein de la jeunesse.

(15) L’un d’eux, l’informaticien Denis Martel, a été le maître d’oeuvre de la stratégie anti-wolfpack à Québec. Ex-dealer d’héroine, Martel a de nouveau été arrêté au printemps 2003 après avoir tiré sur ses voisins avec une carabine semi-automatique en plein coeur du quartier Saint-Jean-Baptiste, sans raison apparente.

(16) Le PCR a depuis demandé une auto-critique au militant en question, qui est toutefois demeuré membre de cette organisation maoïste.

(17) Collaborateur du MLNQ et de Franc Parler, Petitclerc inonde depuis plusieurs années le réseau internet de messages racistes sous divers pseudonymes.

(18) Le Mouvement traditionaliste du Vinland est une organisation néo-fasciste canadienne versée dans la promotion de la « culture germanique ». Officiellement non-raciste, elle s’inspire des écrits de nombreux auteurs fascistes européens, dont Julius Evola et Jean Mabire. Elle fait partie d’un réseau qui a des ramifications internationales. Son adresse postale était située jusqu’à tout récemment à Sainte-Foy, en banlieue de Québec.

(19) La scène black metal est sans aucun doute l’un des principaux vecteurs des idées d’extrême droite auprès des jeunes. On compte 10 fois plus de groupes national-socialistes black metal que de groupes RAC au Québec. Parmi les labels de musique qui produisent et distribuent la musique NSBM, citons Warhorn Records (Québec), Tour de Garde (Montréal), Cyclic Law (Montréal) et Ascent Records (Saint-Tite).

(20) « Les Feux-Follets » est l’autre nom porté par le mouvement Quebec-Radical.

(21) Sur l’exécutif de la Société Saint-Jean-Baptiste de Québec siège Henri Rallon, porte-parole du Front National (le parti de Jean-Marie Le Pen) pour le Canada, de même que Daniel Dionne, membre du Front anticapitaliste égalitaire (FACE), un groupuscule national-bolchévique formé de transfuges du Parti communiste et de sympathisants maoistes. Des membres du FACE ont été vus à Québec dans des manifs contre la guerre en Irak distribuant des tracts pro-Saddam Hussein et brandissant des pancartes à forte connotation anti-sémite, rappelant les délires sur le ZOG (Zionist Occupied Government) si chers à l’extrême droite américaine.

(22) Voir à ce sujet l’article de El Bolo.



(publié pour la première fois dans le numéro 4 de Ruptures, mai 2004)

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