lundi 16 juillet 2007

K comme Kronstadt (ou la faillite du léninisme)

En mars 1921, les marins de Kronstadt, qui avaient été à l’avant-garde des révolutions russes de 1905 et 1917, se soulèvent contre la dictature du Parti communiste aux cris de « tout le pouvoir aux soviets et non aux partis ». Les insurgéEs exigent la fin des privilèges (salaire égal pour touTEs), la restauration de la démocratie socialiste (élections libres dans les soviets) et le retour du pluralisme révolutionnaire (libération de touTEs les militantEs socialistes-révolutionnaires et anarchistes). La révolte de Kronstadt sera réprimée dans le sang par le pouvoir léniniste. Il s’agit pour les anarchistes de la confirmation brutale du caractère fondamentalement autoritaire et néfaste de l’idéologie marxiste-léniniste.

Des soviets à la dictature

La révolution russe d’octobre 1917 balaie la bourgeoisie et le parlementarisme et proclame « tout le pouvoir aux soviets ». En russe, « soviet » signifie tout simplement « comité ». Les soviets de 1917 sont des comités de soldats et d’ouvrierEs, composés de déléguéEs éluEs lors d’assemblées démocratiques dans les usines et les casernes où les masses élaborent des résolutions et discutent de politique. À l’origine, la révolution russe promettait un socialisme démocratique que ne reniaient pas plusieurs libertaires.

Le pays est rapidement plongé dans une guerre civile tandis que les anciennes classes dirigeantes tentent de reconquérir militairement le pouvoir. C’est dans ce contexte de guerre que le Parti bolchevique, majoritaire, impose sa dictature et réprime les autres courants révolutionnaires. C’est le début du régime de parti unique et les soviets, dans ce contexte totalitaire, sont vidés de leur substance. Quand les masses s’insurgent en 1921 –grèves insurrectionnelles à Petrograd, révoltes dans les campagnes, insurrection à Kronstadt—le pouvoir léniniste répond par encore plus de répression, allant jusqu’à interdire les tendances à l’intérieur même du Parti bolchevique.

La faillite du léninisme

La faillite du léninisme était pourtant prévisible étant donné sa philosophie autoritaire, son programme dictatorial et sa forme d’organisation centralisée. À la base du léninisme, on retrouve l’idée que la classe ouvrière ne peut pas, par elle-même, développer une conscience révolutionnaire. Au mieux, les ouvrierEs peuvent s’organiser en syndicats et lutter pour de meilleurs salaires mais jamais ils et elles ne deviendront révolutionnaires « naturellement ». Pour Lénine et la plupart des marxistes de son époque, ce sont des intellectuelLEs bourgeoisES qui ont inventé le socialisme et l’ont amené aux ouvrierEs. Sans nier que les intellectuelLEs ont eu un rôle à jouer, les anarchistes ont une vision différente. Pour nous, le socialisme émerge directement des pratiques développées durant les luttes ouvrières. Des intellectuelLEs, dont un grand nombre d’ouvrierEs autodidactes, l’ont sans doute synthétisé, mais ils et elles l’ont fait à partir de leurs observations des luttes (c’est en tout cas ce que reconnaissent la plupart des intellectuelLEs à l’origine de l’anarchisme).

Pour les léninistes, l’organisation des révolutionnaires (un parti dans leur cas) est composée d’intellectuelLEs dont le rôle est de rassembler les ouvrierEs les plus conscientEs, de leur apprendre le socialisme afin de constituer une « avant-garde » capable de diriger la classe ouvrière et de la mener au combat révolutionnaire. Il ne peut y avoir qu’une seule « avant-garde » de la classe ouvrière et un seul parti « d’avant-garde ».

Ce différent sur l’origine du socialisme et le rôle de l’organisation des révolutionnaires, qui peut ressembler à un débat sur le sexe des anges pour les non-initiéEs, est loin d’être innocent. En effet, si le socialisme émane des travaux des intellectuelLEs et non des luttes des ouvrierEs et si le parti regroupe « l’avant-garde », alors en cas de conflit entre la classe ouvrière et le parti, le parti est justifié d’aller à l’encontre de ce que veut la classe ouvrière réelle au nom du « socialisme » et des « intérêts supérieurs » d’une classe ouvrière mythique.

L’alternative libertaire

Les anarchistes savent bien que la combativité et la conscience révolutionnaire ne sont pas distribuées également dans la population. Seule une minorité est combative et révolutionnaire aujourd’hui. On pourrait à la limite parler « d’avant-garde » mais le concept est trop flou et implique pour le commun des mortelLEs une certaine supériorité et la volonté de diriger. Quant à nous, nous ne sommes pas en avant ou en dehors des masses, nous sommes dans les masses, nous en faisons partie. Nous préférons donc parler de « minorité agissante ».

Selon nous, la « minorité agissante » doit être organisée pour être pleinement efficace. La « minorité agissante » est surtout une force de proposition et d’éducation. Cela peut se faire bien sûr par la propagande et par l’intervention des militantEs dans les luttes mais aussi en donnant l’exemple par une action collective, résolue et décidée. Nous vivons l’organisation révolutionnaire comme l’un des moments des luttes sociales, une assemblée de militantEs politiquement sur la même longueur d’onde qui coordonnent leurs actions. L’organisation anarchiste n’aspire pas à diriger les luttes, elle veut simplement les radicaliser. Quand des militantEs libertaires se retrouvent en position de leadership, ils et elles poussent au maximum l’autogestion et l’autonomie des forces populaires. Nous prenons très au sérieux la devise de la Première Internationale : « L’émancipation des travailleurs et des travailleuses sera l’œuvre des travailleurs et des travailleuses eux et elles-même ». Qu’on se le tienne pour dit!


(Publié pour la première fois dans le numéro 11 de Cause commune, automne 2006)

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