lundi 16 juillet 2007

Notes de lecture : Bulletin d’histoire politique

Certes, il y a eu des anarchistes au Québec dans les années 1970, mais ce qu’on retient surtout de l’époque, c’est le formidable développement de l’extrême gauche maoïste (les fameux marxistes-léninistes ou «ml»).

Quelques commentateurs ont daigné se pencher sur le phénomène il y a peu, mais c’était avec une vision policière de l’histoire et dans une optique très partisane (se résumant grosso-modo à «hors du P.Q. point de salut»). J’ai été personnellement très déçu du film de Simard («Le Québec rouge») et du livre de Dubuc («L’autre histoire de l’indépendance»). J’attends toujours l’histoire réelle de cette gauche radicale, histoire qui ne sera ni une simple condamnation sans appel, ni une «oeuvre à la gloire de...», mais plutôt un regard un tant soit peu objectif permettant de connaître et de comprendre. En attendant, on peut satisfaire notre curiosité en lisant le numéro d’automne 2004 du Bulletin d’histoire politique qui propose un «premier bilan» de l’histoire du mouvement marxiste-léniniste de 1973 à 1983.

Les animateurs et animatrices du Bulletin ont voulu, avec ce «premier bilan», briser ce qu’ils appellent un «tabou historique» concernant l’épisode «m-l» québécois. Les historienNEs sont en effet muetEs sur ce mouvement qui a tout de même mobilisé des milliers de jeunes et qui était hyper-actif sur à peu près tous les fronts. Peut-être est-ce parce que nombre d’historienNEs «de gauche» ont «un cadavre dans le placard» et sont d’ancienNEs membres... Toujours est-il que ce Bulletin semble être la première occasion où l’on se penche sur cette histoire dans une perspective historique et non polémique.

Les faits observables concernant les deux principales organisations «m-l» québécoises, En Lutte! et la Ligue (devenu le PCO en 1979), sont présentés et disséqués dans deux textes qui, sans être absolument ininterressants, manquent légèrement d’âme. Mais l’intérêt principal n’est pas là. (En effet, est-ce qu’on se préoccupe de savoir qu’En Lutte! a recruté très exactement 557 membres au total et qu’elle vendait 7 000 copies de son hebdo au meilleur de sa forme?). Trois textes majeurs traitent de l’impact «m-l» dans les arts, notamment au cinéma et dans la peinture. C’est vraiment là que j’ai appris quelque chose et que j’ai eu une lecture passionnante. D’autres textes, parce qu’ils relatent des «expériences personnelles» sont également intéressants. Je pense à un article expliquant le passage de la contre-culture au communisme, mais surtout au texte de Charles Gagnon, le leader d’En Lutte!, qui vaut vraiment le détour. Il s’agit d’un retour critique mais absolument pas repentant sur «ces années-là». Gagnon tente d’expliquer ce qui c’est passé, comment ça s’est vécu et pourquoi ça a foiré... Une perle de «subjectivité radicale».

Qu’est-ce que des anarchistes peuvent bien tirer de l’expérience de «m-l» d’hier? Pas grand chose, à vrai dire, sinon peut-être une carte sommaire des «pièges à éviter». Et pourtant... Le mouvement «m-l» est ce qui se rapproche le plus d’un mouvement révolutionnaire de masse que le Québec moderne ait connu. Il est impossible de ne pas en tirer quelque leçons.

Personnellement, je médite encore cette phrase de Charles Gagnon: «Il y a deux choses qu’il faut savoir distinguer: exprimer des opinions politiques et faire de la politique. N’importe qui peut, si c’est sa conviction, affirmer en tout temps la nécessité de la révolution, travailler à en faire la preuve et à faire valoir ses opinions. Il exprime sa pensée; libre aux autres de l’entendre. Faire de la politique, c’est travailler à réunir le plus grand nombre de personnes autour d’un projet de transformation plus ou moins radicale de la société. Une telle entreprise ne peut pas se mener dans l’abstrait des principes; elle se mène dans une société donnée à un moment donné. Les marxistes-léninistes n’ont pas toujours su faire cette distinction.» Les anarchistes non plus.

Camille

Bulletin d’histoire politique, Vol. 13, no1

N.B.: Comme ce numéro du bulletin est épuisé, le texte intégral a été mis en ligne par Lux (Cliquez ici pour un pdf).

(Publié pour la première fois dans le numéro 5 de Ruptures, mai 2005)

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