« Les minorités ethniques n’existent pas, il n’existe que de mauvaises frontières coloniales. » Citation rapportée par Henri Dorion
« Aucune culture, aucune religion, aucune civilisation n’est à l’abri de la destruction. » Jacques Ruffié
« Ab irato »: Dans un mouvement de colère
L’Histoire du Canada et du Québec, en particulier, est en grande partie l’histoire de la colonisation et de l’assimilation des autochtones, ainsi que de l’expropriation de leurs territoires communaux. Du génocide des Béotuks (Terre-Neuve), de la révolte des Cris et Métis de l’Ouest (1885) jusqu’à la crise d’Oka (1990), les rapports entre les communautés autochtones et les différents gouvernements ont été marqués par un mélange de mesures de répression et de protection, en fonction du contexte, mais surtout en fonction de la docilité à laquelle les auto-chtones se pliaient au désir des colonisateurs, en l’occurrence les entreprises européennes – notamment les compagnies de la Baie d’Hudson et du Nord-Ouest qui en demeurent les symboles – qui convoitaient les ressources naturelles de leurs territoires. Ces rapports expliquent en grande partie ce qui se passe aujourd’hui entre les « Blancs » et les Autochtones.
Les années 1990 et le début des années 2000 sont riches en exemples de luttes autochtones pour l’autodétermination et la préservation de leur cultures traditionnelles. Sans doute, la révolte des Mohawks à Kanesatake et Kahnawake en 1990 ont été une source d’inspiration pour de nombreuses communautés autochtones qui, laissées au contrôle de l’État, avaient perdu toute dignité et fierté de leurs valeurs. Ces nombreuses tentatives d’aller de nouveau vers l’autonomie et la dignité se sont heurtées à une sévère répression de l’État. Depuis la crise d’Oka, une épée de Damoclès plane au-dessus des communautés autochtones. En 1994, un plan du Gouvernement fédéral prévoyait l’invasion du territoire d’Akwesasne par 5000 soldats de l’armée canadienne et de la GRC. Officiellement, l’opération visait le démantèlement des réseaux de contrebande de tabac et d’alcool. Officieusement, il fallait briser un mouvement de révolte qui gagnait en appui parmi les populations autochtones et parmi de nombreux citoyens sensibles aux droits des Premières Nations. Des événements similaires à ceux d’Oka sont survenus à plusieurs endroits dans les années 1990 et ils ont été gérés de la même façon : manu militari. En 1995, la communauté de Ts’Peten (Gustafsen Lake), en Colombie-Britannique, a été envahie par la GRC. Pour l’État, il fallait mettre un terme à la tentative de cette communauté d’affirmer sa souveraineté sur son territoire traditionnel, mais plus important encore, empêcher que leur lutte ne devienne un exemple pour d’autres communautés autochtones. En Ontario, la communauté de Aazhoodena (Stoney Point) a vu l’OPP (l’Ontario Provincial Police) assassiner l’un de ses membres, Dudley George, qui n’était pourtant pas armé mais pratiquait plutôt la désobéissance civile. Ces communautés ont appris chèrement l’un des fondements de l’État-Nation : celui du monopole de l’exercice de la violence.
Ces luttes, qui défraient la manchette dans les mass média, nous sont aujourd’hui présentées comme le résultat d’activités criminelles de la part de bandes armées qui n’ont aucun respect pour la loi. Inutile de dire que cette loi est avant tout la loi du colonisateur, et que celle-ci représente pour les Autochtones, des années de colonisation et d’exploitation de leurs « biens » communs. Ce faisant, les médias commerciaux ne font qu’alimenter les préjugés et stéréotypes, trop faciles à avaler, tels que « les Indiens vivent au crochet de l’État »; « qu’il y a deux justices, une pour les Autochtones et une pour les Blancs »; « les Autochtones ne paient ni taxes ni impôts, et sont donc, plus riches que les Québécois »; « qu’ils vivent de la contrebande »; « qu’ils veulent s’approprier l’ensemble du territoire québécois »; etc. Ces préjugés sont sans fondements et témoignent d’une méconnaissance de l’histoire. En fait, la civilisation européenne qui s’est établie en Amérique du Nord a poussé les Autochtones dans une dépendance et leur a enlevé toute possibilité de se développer librement et dans l’autonomie.
Cette grogne qui règne aujourd’hui dans de nombreuses communautés autochtones est le produit de cette histoire, dont nous explorerons brièvement quelques uns des aspects dans les lignes qui suivent. Parallèlement au mécontentement qui règne dans les communautés autochtones, on peut observer depuis quelques années la recrudescence du racisme à l’endroit de ces communautés. Même si la Crise d’Oka ne marque pas le point de départ de ce phénomène à l’égard des Autochtones, cet événement a été récupéré par de nombreux groupes nationalistes et extrémistes de droite pour dénoncer le « pouvoir des indiens » sur la société québécoise. Les événements survenus à Oka en 1990 sont d’autant plus significatifs car ils demeurent relativement récents dans l’imaginaire et dans la conscience de la société « blanche », mais également pour les autochtones qui ont pu constater que l’organisation, malgré toutes les difficultés que cela implique, pouvait leur redonner un pouvoir face au Gouvernement. Le face-à-face entre Lasagne et le soldat Cloutier demeure probablement l’un des souvenirs fortement enracinés dans la mémoire de ceux et celles qui ont suivi la crise en direct. Cependant, il importe surtout de se rappeler de la façon dont la crise s’est terminée : par le lynchage en direct de femmes, d’enfants et d’aînés mohawks non-armés par une foule de badauds « blancs » en colère d’avoir perdu l’accès à leur propriété, et comble de l’absurde, leur « révolte » était, contrairement aux Autochtones qui cherchaient alors à protéger une pinède ancestrale et à revendiquer leurs droits sur un territoire qui leur échappait de plus en plus, tout à fait justifiée.
Le racisme et le mépris à l’égard des Autochtones est manifeste dans l’histoire canadienne, mais depuis la crise d’Oka, il a peut-être pris de l’ampleur au Québec. La fin des années 1990 et le début des années 2000 ont été marquées par l’apparition de groupes de nationalistes blancs dans plusieurs régions du Québec. Parmi ces groupes, il y a les Pionniers (Saguenay-Lac-Saint-Jean et Côte-Nord), le Mouvement pour le droit des Blancs (Côte-Nord) et le Mouvement estrien pour le français (Estrie). Ces groupes font particulièrement les manchettes depuis l’annonce de l’entente entre de nombreuses communautés, principalement innues (Montagnaises) et le Gouvernement québécois : l’Approche commune. Un résumé des arguments racistes nous démontre que le véritable primitivisme relève du comportement d’ignorants et de personnes conditionnées par des stéréotypes et des clichés qui sont ancrés dans les représentations ethnocentristes de l’histoire. Le « civilisé » devient le barbare, il devient ce qu’il déteste, une « bête ignoble et ignorante ». Selon Boudreault, il s’agit d’un primitivisme social puisque les accusateurs se complaisent à croire que les Autochtones, ces « maudits sauvages » sont les responsables du malaise social et du marasme économique qui règne dans les régions du Québec. La crise socio-économique et la démagogie de certains forment un dangereux cocktail qui engraisse le racisme.
Riche ou pas, les Nazis mettaient tous les Juifs dans le même bateau. Certains nationalistes québécois ont un raisonnement qui reproduit la même « logique » à l’égard des Autochtones : riche ou pas, corrompu ou non, les autochtones sont tous des « sauvages » qui profitent du système, des fainéants et des bons à rien qui vivent grassement sur le dos de la société québécoise. Leur argumentaire est à l’image de celui des premiers colonisateurs, pour qui le darwinisme social était une vérité scientifique, soit celui de la supériorité de la civilisation européenne sur les cultures traditionnelles. Un examen de l’histoire nous prouve pourtant le contraire. Les mouvements racistes qui émanent des régions et qui trouvent une certaine assise parmi les classes populaires ne se rendent pas compte que la source de leurs maux ne se trouve pas au sein des communautés autochtones mais principalement au niveau des conseils d’administration d’entreprises et des parlements, qui demeurent éloignés de leurs régions et de leurs intérêts. Les véritables profiteurs du système ne sont pas les Autochtones, mais ceux qui mettent en valeur les ressources naturelles de leurs territoires, à savoir les industries minières, forestières et énergétiques.
La création des réserves autochtones
« Dans les années 1830, le gouverneur de la colonie anglaise, Sir James Kempt, propose d’installer les Autochtones dans des villages sur des terres cultivables. Dans chacun de ces villages doit vivre un missionnaire et un agent des Affaires indiennes. C’est l’origine de la politique des réserves indiennes, dont l’objectif officiel est de rendre les Autochtones autonomes en leur permettant de tirer leur subsistance de la terre. On soupçonne facilement que le véritable objectif gouvernemental est de libérer le titre foncier des terres ancestrales autochtones – et par le fait même de la présence des Autochtones sur ces terres – aux fins de la colonisation et de l’industrie forestière. Cette tentative d’assimilation par la transformation des membres de nations nomades en citoyens sédentaires se soldera par un échec [relatif]. » (René Boudreault, Du mépris au respect mutuel, p. 32).
Au début du 19ème siècle, les colonisateurs européens ont commencé à étendre leur emprise sur le territoire au-delà des rives du fleuve Saint-Laurent, repoussant de nombreux peuples autochtones vers le Nord, les privant ainsi de leurs domaines territoriaux traditionnels. Cet exode, qui durera 50 ans et qui sera notamment favorisé par l’abattage systématique de la partie septentrionale de la forêt boréale, autrefois surplombée par les grands pins blancs, allait être suivi par la création des premières réserves autochtones au Québec. Le territoire sur lequel elles vivaient leur échappant de plus en plus suite à l’envahissement progressif des colons de descendance européenne, plusieurs nations autochtones sont contraintes, au milieu du 19ème siècle, à demander une aide alimentaire ainsi que la création de réserves pour la chasse, la pêche et la cueillette. En 1840, les Innus (les Montagnais), les Atikamekw et la communauté Anishnabe (les Algonquins) demandèrent donc au gouvernement colonial de leur garantir un espace « sécurisé » par l’envoi de multiples pétitions. En 1850, les réserves de Maniwaki et de Timiskaming furent donc créées. Le gouvernement céda alors 100 000 acres aux Anishnabes. Depuis, cette communauté a perdu le contrôle sur la quasi totalité de ce territoire (95 000 acres) suite aux nombreux dépeçages initiés par le gouvernement sous les pressions des entreprises privées et publiques, qui elles aussi doivent se déplacer une fois que les ressources naturelles ont été épuisées à un endroit donné. L’exode des autochtones est aujourd’hui suivi d’un exode industriel, ce qui prive davantage l’accès des Premières nations au territoire.
C’est principalement au cours de cette période que les contradictions entre les économies autochtones et modernes sont apparues au grand jour. Selon le rythme, les besoins et les intérêts des colonisateurs, les communautés autochtones sont progressivement dépossédées de leurs territoires ancestraux et de leurs droits acquis en vertu des premiers traités signés avec les Anglais et les Français :
« Les peuples autochtones ont été physiquement déracinés : on leur refusait l’accès à leurs territoires traditionnels et, dans bien des cas, on les a forcés à se rendre dans de nouveaux endroits que les autorités coloniales avaient choisis pour eux. Ils ont été également déracinés sur les plans social et culturel : assujettis aux efforts intensifs des missionnaires, ils se sont fait imposer des écoles qui ont réduit leur capacité de transmettre leurs valeurs traditionnelles à leurs enfants, qui leur inculquaient des valeurs victoriennes à dominante masculine et qui attaquaient leurs valeurs traditionnelles comme les danses et autres cérémonies symboliques. » (Commission royale sur les peuples autochtones)
En ce qui concerne les mesures de « protection » adoptées par les différents gouvernements à l’endroit des communautés autochtones, la création des premières réserves et la généralisation progressive de cette mesure à leur égard est sans doute l’un des aspects importants au plan historique du rapport entre les descendants européens et les Autochtones. La création de réserves avait pour objectif de protéger les droits ancestraux des communautés autochtones sur des territoires clairement délimités. Cependant, et c’est là que se trouve le cœur du problème, l’encadrement des communautés autochtones, notamment par l’éducation à l’européenne, devait « contrer la réticence profondément ancrée dans la culture et la mentalité des Autochtones, étrangères à la propriété, à l’accumulation des biens matériels, à la prévoyance et au goût de l’argent ».
De mesures de « protection », la création de réserves est progressivement devenue un outil permettant la mise sous tutelle des communautés autochtones par le gouvernement fédéral. Cette mise sous tutelle a permis l’exploitation des ressources naturelles des territoires autochtones, laissant aux communautés un espace minimal sur lequel elles ont pouvoir de gestion, et qui se limite aujourd’hui au niveau du « village » de la réserve. Les territoires « réservés » aux communautés autochtones du Québec sont aujourd’hui gérés conjointement par le Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien et par le Secrétariat aux affaires autochtones du Québec. L’allocation annuelle versée par le Gouvernement fédéral aux Conseils de Bande doit pourvoir à tous les besoins des communautés, à savoir la construction, l’entretien des maisons, des écoles, et à la procuration de services collectifs et individuels.
Si les sommes accordées aux communautés par le gouvernement peuvent nous sembler considérables, il faut les comparer aux sommes versées aux investisseurs privés, qui assurent l’exploitation du territoire. Malgré l’importance des sommes versées aux Conseils de bande, les communautés autochtones ne disposent pas de la même marge de crédit que les entrepreneurs « blancs » pour assurer le développement socio-économique de leurs territoires. Par exemple, la communauté anishnabe dépose annuellement huit millions de dollars à la caisse populaire de Notre-Dame-du-Nord et dispose d’une marge de crédit de 50 000$. Un investisseur « blanc », qui disposerait d’une somme équivalente, est capable, en revanche, d’aller chercher l’équivalent en crédits, ce qui relève bien évidemment d’un racisme à l’endroit des Autochtones, qui laissés à eux-mêmes, doivent céder le pas aux multinationales – à la Noranda, à Abitibi-Consolidated ou à Hydro-Québec – pour le développement socio-économique de leurs territoires.
En ce qui concerne l’intégration des peuples autochtones aux différents projets de développement minier, forestier ou hydroélectrique, ces entreprises ont même recours à des anthropologues, qui eux, prodiguent conseils et expertises aux entrepreneurs pour qu’ils adaptent leur projets aux cultures traditionnelles. Au fil des années, l’anthropologie est devenue en quelque sorte une arme dont disposent les entreprises colonisatrices pour vendre leurs projets aux communautés autochtones. L’inclusion de « clauses culturelles » dans les conventions, traités et dans le cadre de projets de développement repose cependant sur une contradiction : la domination économique, politique et technologique découlant de la modernité capitaliste contribue à la destruction des cultures traditionnelles. La récupération du concept de culture par le pouvoir « blanc » sert en fait à diluer celle-ci au point où la culture traditionnelle est réduite à de simples marchandises tels que les services offerts par des musées d’interprétation ou par la création de boutiques-souvenirs où on vend différents objets traditionnels, pas pour leur usage, mais pour leur valeur en tant que marchandise culturelle. Somme toute, l’anthropologie sert à faire du « sauvage » un « sauvage civilisé et moderne ».
Dans la communauté du Lac Barrière, située en plein cœur du Parc de la Vérendrye, 480 personnes doivent vivre dans 58 maisons, ce qui laisse en moyenne plus de huit personnes par maison. Dans ce village, aucune maison n’a été construite depuis 20 ans et l’électricité ne s’y rend toujours pas, même si le village est situé qu’à sept kilomètres de la route 117. Si Hydro-Québec tarde à brancher une communauté comme celle du Lac Barrière, on ne peut dire qu’elle est aussi lente à harnacher les rivières sur lesquelles ces communautés comptaient autrefois pour assurer leur subsistance et à débrancher les mauvais payeurs. Par exemple, la communauté du Lac Barrière a vu sa rivière « détournée » à 42 reprises, et ce, sans qu’aucune compensation ne leur soit versée. Hydro-Québec engrange des profits records au détriment de ces communautés, qui elles, n’ont même pas droit aux miettes que procure le développement hydroélectrique.
L’argument « raciste » comme quoi les Autochtones ont droit à une retraite dorée dans des villas de luxe ne tient évidemment pas la route lorsqu’on voit la réalité sociale au sein des communautés autochtones, une réalité comparable à de nombreuses communautés du Tiers-Monde, et ce dans un pays qui a la réputation de veiller au développement socio-économique et culturel de tous les citoyenNEs. Certes, il faut mentionner que si nos gouvernements et les entreprises colonisatrices sont en grande partie responsables des maux qui hantent les communautés autochtones, la responsabilité des difficultés incombent également aux élites des ces communautés qui ont vite appris ce que le pouvoir pouvait leur apporter, notamment la possibilité de détourner des fonds publics à des fins personnelles. Certaines mauvaises langues, dont le langage des suprématistes blancs, affirment que les problèmes de corruption – de patronage, de clientélisme et de népotisme – sont pire dans les réserves que dans le monde « blanc et civilisé ». Toutefois, l’élite blanche de souche européenne, n’a rien à envier à la classe dirigeante autochtone. Les problèmes de mauvaise gestion dans les réserves autochtones sont sans aucune mesure avec le scandale des commandites, ou ceux des empires corporatistes de Wall Street et de Bay Street (Enron, Time-Warner, l’Empire médiatique Hollinger de Conrad Black, etc.).
L’emprise d’Hydro-Québec, des industries minières et forestières
L’univers forestier, qui a permis aux Autochtones de vivre et de se reproduirent pendant des millénaires est aujourd’hui grandement menacé. Si la déforestation menace nos écosystèmes, elle est également un point de non retour pour les communautés traditionnelles qui dépendent de la forêt pour assurer, en partie, leur subsistance mais également pour la préservation de leur culture. Un rapport, publié récemment, souligne que les forêts du Canada sont de plus en plus contrôlées par les grandes sociétés forestières, même si celles-ci demeurent publiques devant la loi. L’organisation Global Forest Watch Canada a constaté que le contrôle des 13 plus grandes entreprises forestières sur la forêt publique s’est accru de 9% entre l’année 2000 et 2003. Ces entreprises contrôlent aujourd’hui 57% des espaces forestiers qui sont disponibles à la commercialisation. Les cinq principales sociétés privées détiennent aujourd’hui des droits sur 100 millions d’hectares de forêt publique – une superficie plus grande que l’Ontario. Les zones forestières faisant l’objet de coupes se sont accrues de 50% au Canada depuis 1975, et elles sont aujourd’hui principalement situées dans la forêt boréale, là où le colonisateur blanc avait repoussé les communautés autochtones dans un premier temps. L’exode de ces communautés est aujourd’hui suivi de l’exode de l’industrie forestière, qui pousse les limites de l’exploitation industrielle toujours plus au Nord. De nombreuses études indépendantes soulignent que les véritables maîtres de la forêt québécoise sont les multinationales du bois et les grandes sociétés papetières, qui se sont habilement approprié la forêt publique en s’assurant la complicité de l’État. D’une gestion traditionnelle et écologiste, assurée par les communautés autochtones, la gestion de la forêt est passée aux mains de l’État avec la colonisation, et aujourd’hui, à l’industrie forestière qui se l’est appropriée au détriment de deux communautés, celle des travailleurEUSEs et des Autochtones. Quel sort est réservé aux communautés autochtones et rurales maintenant que l’appétit des forestières lorgne toujours plus loin vers le Nord? Après la destruction systématique de la grande forêt boréale il ne restera que désolation et désarroi pour deux communautés qui ont pourtant un intérêt en commun : la prise de contrôle de leur territoire pour que celui-ci serve enfin à leurs communautés plutôt qu’aux appétits voraces d’investisseurs privés de Toronto ou de New York, lieux cultes du capitalisme nord-américain d’où les richesses émanant de la nature et du travail humain sont pillées et gaspillées.
La Convention de la Baie-James (1975) : un vent d’exploitation souffle dans le Nord du Québec
Si la création des réserves marque la mise sous tutelle des communautés autochtones par l’État canadien, la Convention de la Baie James représente, quant à elle, le point de départ de la mise sous tutelle des territoires communaux, lieux de production et de reproduction sociale pour les autochtones, par Hydro-Québec. Dans les faits, la Convention de la Baie James fait d’Hydro-Québec le principal détenteur de nombreux territoires où sont présentes de nombreuses communautés autochtones (Cris et Inuits, etc.). Plus de trente années se sont écoulées depuis la signature de la Convention de la Baie James et Hydro-Québec demeure certes l’un des principaux acteurs en ce qui concerne l’appropriation des terres autochtones.
Les véritables pionniers : «Blancs» ou Autochtones?
L’un des mouvements nationalistes dont il est ici question se nomme les Pionniers. Fiers descendants des premiers colons, ces derniers se complaisent à croire que le développement de leurs régions est strictement le résultat de leur labeur. Là encore, la falsification de l’histoire s’avère problématique puisque les entreprises coloniales qui se sont établies sur la Côte-Nord, en Abitibi ou au Saguenay-Lac- Saint-Jean, ont bénéficiées du savoir autochtone en matière d’exploration du territoire. Nombreux sont les sites d’exploitation minière et forestière qui ont été découverts par les Innus de la Côte-Nord. Sans l’aide de ces communautés, des entreprises telles que la Iron Ore Company auraient probablement mis plusieurs années avant de pouvoir exploiter les ressources naturelles de la région. Sans l’aide des communautés autochtones, les premiers colons auraient probablement eu davantage de difficultés à assurer leur subsistance. Ce sont les Autochtones qui ont enseigné aux « Blancs » où chasser et pêcher. Par la suite, les meilleurs territoires de chasse et de pêche ont acquis un statut particulier lorsque les bourgeoisies anglaises et américaines en ont fait leur terrain de jeu. L’appropriation de ces territoires s’est fait au détriment des communautés autochtones, qui ont pourtant contribué de façon significative à l’émergence de ces industriels, dont le mépris à l’endroit des Autochtones est manifeste dans l’histoire. Dans les dernières décennies, ces vastes domaines appartenant jadis à la bourgeoisie anglophone ont été nationalisés et sont devenus accessibles au public, notamment sous la forme de zones d’exploitation contrôlées (ZEC). La démocratisation de ce loisir s’est fait, encore là, au détriment des Autochtones puisqu’aujourd’hui, des groupes de chasseurs blancs, notamment parmi les membres des groupes nommés plus haut, s’opposent au retour des communautés autochtones sur ces territoires. Ils prétendent que les Autochtones vont leur voler leurs sites de chasse et de pêche et qu’ils vont piller la richesse faunique et halieutique. Pourtant, la logique de la propriété privée ne fait pas partie de la culture des Autochtones, et encore moins celle de chasser et pêcher sans limites. Qui est vraiment responsable de la diminution du gibier et des poissons dans les cours d’eau? La réponse est complexe mais le souvenir des parties de chasse de la bourgeoisie, exhibant fièrement leur prises en quantité industrielle témoigne de leur mégalomanie et de leur manque de respect à l’endroit de la nature. Que dire des pratiques forestières des multinationales qui, en détruisant les habitats forestiers, menacent la reproduction des espèces fauniques. Sans compter les pratiques d’Hydro-Québec à l’endroit des cours d’eau, des pratiques qui contaminent les cours d’eau et menacent la biodiversité.
L’Enquête scientifique et technique du Gouvernement québécois sur la gestion des forêts publiques
Suite à la parution du documentaire l’Erreur boréale de Robert Monderie et de Richard Desjardins, on a pu constater que la forêt publique échappait de plus en plus au contrôle des populations qui en dépendent pour assurer leur subsistance. Le constat tiré par les auteurs et d’autres groupes écologistes a suscité l’indignation d’un nombre croissant de personnes, ce qui a forcé le Gouvernement du Québec à tenir une commission d’enquête sur la gestion de la forêt publique. Les travaux de cette commission débuteront prochainement, mais d’ores et déjà, celle-ci a reconnu que la forêt québécoise est surexploitée. Toutefois, et malgré ses aveux, le Gouvernement n’a même pas cru opportun d’inviter des représentants des communautés autochtones au sein de la commission, alors que les Autochtones sont pourtant bel et bien les habitants traditionnels de cette forêt. Les communautés autochtones sont non seulement dépossédées progressivement de leurs territoires mais également de la gestion du problème que pose l’exploitation industrielle de la forêt. En fait, cette pseudo-commission d’enquête publique sur l’avenir de la forêt publique ne parle que le langage du pouvoir, celui de l’État et des industriels, et que cette novlangue est incohérente pour n’importe lequel être humain qui perçoit la forêt comme un espace de vie et non comme une simple marchandise.
Conclusion
En guise de conclusion, on se doit d’être réaliste et force est de constater que les vrais maîtres du territoire québécois ne sont pas les Autochtones mais les sociétés minières, forestières et Hydro-Québec qui contrôlent de plus en plus les richesses de ces territoires et qui façonnent le paysage de ceux-ci. Si rien n’est fait dans les prochaines années, les problèmes auxquels font face les communautés autochtones vont sans doute s’aggraver. Le problème ne s’arrête pas là puisque l’œuvre de destruction des écosystèmes naturels par les sociétés forestières, minières et Hydro-Québec ne menace pas simplement les communautés autochtones mais également les communautés rurales, qui dépendent grandement de ces emplois. Une fois qu’elles ont tout pillé, ces industries ne se font pas prier et ne démontrent aucun complexe à fermer puis délocaliser leur exploitation comme en fait foi le récent exemple de l’usine d’Abitibi-Consolidated au Saguenay. Les communautés autochtones et les gens des régions ont un intérêt en commun : ils doivent reprendre le contrôle de leur communauté pour assurer eux-même le développement socio-économique de leur territoire. La citation en exergue nous rappelle que nulle civilisation n’est à l’abri de la destruction. Il se peut qu’un jour le monde capitaliste s’effondre. À ce moment, nous hériterons de la terre et nous pourrons enfin envisager de régler définitivement les problèmes de notre monde.
El Bolo
(publié pour la première fois dans le numéro 4 de Ruptures, mai 2004)
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