mardi 17 juillet 2007

Ruptures no 7 maintenant disponible !

Le numéro 7 de Ruptures, la revue francophone de la NEFAC est maintenant disponible.

N.B.: L'intégral du numéro 6 est maintenant disponible sur le site au format pdf (Cliquez ici).

Au sommaire du no 7 :

  • Des anars s'organisent à l’école
  • Quand l’extreme droite se mele de santé et d'environnement
  • L'autodéfense comme stratégie d’émancipation
  • Oaxaca : pouvoir populaire contre pouvoir d’Etat
  • Introduction au CIPO-RFM
  • Entrevue avec un magoniste
  • Claude Gauvreau, écrivain de l’anarchie
  • Ecologie et révolution
  • Notes de lecture


Ruptures est notamment en vente, à Québec, à la Tabagie Saint-Jean ("La Pipe", au 820 rue St-Jean).

lundi 16 juillet 2007

Cinéma: Romanzo Criminale

Chronique criminelle et politique, Romanzo Criminale nous ramène aux « années de plomb » qui ont marqué l’Italie des années 1970. On y retrace le parcours d’une bande de jeunes à l’horizon bouché dont l’amitié se forge dans la petite délinquance. Grâce à leur audace et leur recours à une violence sans modération, ces derniers prendront le contrôle du marché de l’héroïne et de la prostitution à Rome. Des truands vraiment truands, des putes vraiment putes, Romanzo Criminale n’échappe malheureusement pas toujours aux clichés du genre. En trame de fond de cette histoire de gangsters plutôt classique, le réalisateur parvient néanmoins à nous faire comprendre comment le pouvoir s’y prend pour instrumentaliser des individus qui n’ont rien à perdre et les utiliser à des fins politiques et stratégiques. Les membres de la bande se retrouvent rapidement à l’avant-scène d’une série d’attentats sanglants imputés à l’extrême gauche, mais réalisé de concert avec des militants d’extrême droite, afin de pousser la société italienne dans une dérive autoritaire. Romanzo Criminale, c’est aussi la petite histoire (véridique) d’une longue série de provocations policières et son cortège de victimes innocentes.

Romanzo Criminale, Italie, 2004
Réalisateur : Michele Placido
Scénario : Giancarlo De Cataldo

(Publié pour la première fois dans le numéro 14 de Cause commune, mai 2007)

Déception ! À propos de MédiaMatin Québec

Déception ! Il n’y a pas d’autre mot. Mardi matin, le 24 avril, les lock-outés du Journal de Québec sortaient un quotidien gratuit tiré à 40 000 exemplaires. MédiaMatin Québec, c’est le nom du journal, veut «couvrir l’ensemble de l’actualité, [avec] une place centrale aux nouvelles de la Capitale nationale». Le porte-parole syndical souligne que l’ensemble des lock-outés mettent l’épaule à la roue, très fier de son coup (il y a de quoi), il ajoutait que «grâce à cet effort collectif, nous disons aujourd’hui à la population de Québec, voici vos nouvelles locales!» Et merde...
MédiaMatin Québec c’est exactement la formule du Journal de Québec mais «en mieux». Encore plus percutant, plus sensationaliste, plus populiste, tout en couleur. C’est Sexe, sang, sport puissance 10, sans les chroniques politiques de droite imposées par la direction.

L’équipe syndicale a choisi de faire la ‘Une’ de son premier numéro avec une nouvelle ‘exclusive’. Le titre est un programme en soi : «Gangs de rue à Québec, l’ennemi numéro un». Suit un journal axé sur le fait divers (de préférence policier), l’insolite, l’économie, la culture de consommation et le sport. Pour ce premier numéro, les lockoutés se sont même payé un reportage sur les anarchistes de la coalition «Guerre à la guerre» qui préparent des «mauvais coups» pour le départ vers l’Afghanistan du contingent de Valcartier. D’après eux il y aurait entre 500 et 600 sympathisant-es libertaires dans la région de Québec (ayoye, on est hot!)… Au fil des numéros se sont rajoutés (heureusement) des textes sur la scène politique locale et provinciale.

Il faut reconnaitre que dans son genre, MédiaMatin Québec est supérieur au Journal de Québec (et de loin). La direction de Quebecor pensait peut-être faire croire au public qu’elle n’avait pas vraiment besoin de ses syndiqué-es pour sortir un journal. Les syndiqué-es, de leur côté ont fait la preuve par A + B que même sans grands moyens, leur produit est meilleur que celui de leurs patrons. En un mot, ils et elles sont essentiels au Journal. Ça, la direction de Quebecor l’a bien compris, elle qui tente d’empêcher légalement les syndiqués de produire leur canard.

N’empêche, l’événement est historique. C’est la première fois depuis 1971 que les syndiqué-es d’un grand journal tentent de sortir un quotidien parallèle. Et on aboutit à «ça»… M’enfin, ce qu’il faut surtout comprendre c’est que les journalistes du Journal de Québec sont bien contents de faire le genre de journalisme qu’ils et elles font puisque, même sans patrons, ils et elles publient le même genre de journal... Une seule nuance, à priori MédiaMatin Québec est populiste mais n’est pas à droite. Voilà peut-être la seule différence avec le «vrai» Journal de Québec.

(Publié pour la première fois dans le numéro 14 de Cause commune, mai 2007)

Le Front commun à Sam Hamad : «Dit pardon mononcle...»

Une semaine à peine après avoir déclaré au Journal de Québec que «les BS qui n’ont pas de contraintes sévères à l’emploi ne sont pas intéressés à aller travailler actuellement. Ils ont tout...», Sam Hamad, le nouveau Ministre de l’emploi et de la solidarité sociale (sic!), a demandé une rencontre avec les représentant-es du Front commun des personnes assistées sociales du Québec (FCPASQ). Invitation qui laisse de glace (ce sont leurs mots) les dit-es représentant-es.

«Le ministre Hamad veut nous rencontrer? Suite aux propos qu’il a tenus sur les personnes assistées sociales, c’est hors de question!» s’est exclamée Nicole Jetté, porte-parole du Front commun. «Avant que le FCPASQ soit intéressé à le rencontrer, le ministre devra démontrer une attitude de respect envers les personnes assistées sociales». Pour ce faire, le regroupement national exige une rétractation publique de la part du ministre Hamad et un engagement formel d’entreprendre une campagne nationale pour lutter contre les préjugés dont sont la cible les personnes assistées sociales.

Que voilà une réponse fière et digne! Bravo!

(Publié pour la première fois dans le numéro 14 de Cause commune, mai 2007)

Le scandale de l’aide sociale

En avril Le Devoir levait le voile sur une partie du scandale de l’aide sociale. Des gens qui reçoivent un coup de main régulier de proches ou d’amis se font couper leurs chèques, même si c’est en nature. L’État tolère la charité institutionnalisée mais pas la solidarité bêtement humaine, celle des amis ou de la famille. «Impossible d’avoir une solidarité sociale dans la dignité» en a conclu le Front commun des personnes assistées sociales.

En vérité, il n’y a pas de dignité possible à l’aide sociale. Le scandale que dénonce Le Devoir n’est que la pointe de l’iceberg. Il y a aussi les mères monoparentales qui se font couper la pension alimentaire. Ceux qui partagent un logement avec de la parenté qu’on coupe. Et combien d’autres situations?

Mais il y a plus. Le gouvernement divise les personnes assistées sociales entre « bons pauvres », les personnes inaptes au travail qui ont droit au « gros chèque », et les « mauvais pauvres », les personnes aptes au travail qui n’y ont pas droit. Celles-là, on va leur donner moins que le strict minimum, de peur qu’une prestation décente les
« désincite » au travail.

(…) Ce qu’on fait vivre aux personnes assistées sociales est inacceptable et indigne d’une société évoluée. On stigmatise les gens, on ne leur donne pas les moyens de s’en sortir et on les force à survivre de peine et de misère. On les punit pour ne pas avoir réussi à s’intégrer sur le marché du travail. Au Québec, on hait les perdants et on s’amuse à cogner dessus.

Il y aurait bien des choses à changer à l’aide sociale. À commencer par la distinction entre « aptes » et « inaptes » au travail. Mais le cœur du problème reste l’insuffisance des prestations. À 548$ par mois, il est impossible d’arriver et de chercher activement de l’emploi. La personne est plongée dans une logique de survie et doit courir les banques alimentaires et les groupes communautaires. Sans parler des exigences des agents du gouvernement. Ça devient rapidement une job à temps plein! Mais quand les groupes communautaires proposent d’augmenter les prestations, ils se font regarder croche et la première question qu’ils se font poser c’est « combien ça va coûter? » Curieusement, personne ne s’inquiète du coût social de garder tant de gens dans la misère à l’année longue.

(Publié pour la première fois dans le numéro 14 de Cause commune, mai 2007)

Perspectives libertaires - Une conjoncture difficile

Le scrutin du 26 mars confirme la victoire des courants de la droite ultra-libérale et conservatrice dans l’arène électorale. Un courant réactionnaire (taxé de « populiste ») s’exprime à travers un appui massif à l’ADQ dans plusieurs régions du Québec. Dans le débat autour des fameux « accommodements raisonnables », le parti de Mario Dumont n’a pas hésité à faire appel à des sentiments de peur identitaire qui, loin de se dissiper, iront sans doute en s’accentuant au cours des prochaines années. Les autres partis, ne souhaitant pas demeurer en reste, sont fortement tentés de jouer à ce même jeu explosif, quitte à fournir du leste aux racistes et aux xénophobes de tout poil.

Si l’échiquier de la politique partisane pointe résolument à droite, il serait faux de prétendre que toutes les personnes qui ont voté pour l’ADQ l’ont fait au nom de valeurs réactionnaires. Si une bonne partie de la base militante adéquiste est effectivement vendue à ces idées, ce n’est pas nécessairement le cas pour le reste des électeurs et des électrices. Pour bien des gens, un vote pour Mario Dumont traduit davantage une forme de protestation à l’endroit de Jean Charest et d’André Boisclair. D’ailleurs les résultats de l’élection confirment la débandade du PQ et du PLQ, qui sont réduit au rang de tiers partis. Avec plus ou moins 30% des bulletins de vote, aucune des trois formations représentées à l’Assemblée nationale ne peut prétendre gouverner de façon hégémonique. Ce morcellement des partis bourgeois n’empêchera pas ces trois formations de s’entendre, à quelques virgules près, sur un programme pro-patronal de privatisations et de congés de taxes aux grandes entreprises. Néanmoins, il laisse la porte ouverte à une remise en cause de leur légitimité à diriger et à prendre des décisions au nom de « l’intérêt public ».

Des forces émergentes ?

La campagne électorale a permis à deux nouveaux partis de progresser en terme de suffrages. Québec solidaire améliore sensiblement le score réalisé par l’Union des forces progressistes (UFP) en 2003, mais abandonne chemin faisant toute référence au projet socialiste et peaufine son image de parti « pragmatique et responsable » qui fait lui aussi des promesses chiffrées. Mais où est passée l’analyse anti-capitaliste? En fait, Québec solidaire a largement profité du ressentiment à l’égard du Parti Québécois qui continue de s’exprimer dans les mouvements sociaux. Cette rupture avec le PQ, qui demeure une bonne chose en soi, ne s’est pas faite sur des assises de classe mais bien sur un ensemble de valeurs « humanistes » et une longue liste d’épicerie. Quand au Parti Vert, son approche « ni gauche, ni droite » doit nous rappeler le flou artistique de son programme et l’opportunisme de sa démarche, laquelle pourrait néanmoins s’avérer payante à long terme.

Par ailleurs, on remarque qu’un nombre important de personnes (30%) ont choisi de n’appuyer aucun parti en s’abstenant de voter ou en annulant leur vote. Loin d’être exclusivement le fruit d’une démarche apolitique, la position abstentionniste était également défendue par les militantes et les militants de la NEFAC et du RAME, qui ont organisé une campagne autour de cette question, campagne qui a suscité un certain intérêt auprès de la population. Plusieurs milliers d’affiches, de journaux et d’autocollants ont été diffusés dans les quartiers populaires, de même que dans les institutions d’enseignement post-secondaire. Il s’agissait de l’une des plus importantes campagnes abstentionnistes des vingt dernières années. Son succès relatif permet d’espérer une collaboration de plus en plus étroite entre les deux organisations qui l’ont initiée.

Des défis importants

La conjoncture politique actuelle, tant à Québec qu’à Ottawa, pose d’importants défis aux mouvements qui luttent pour changer la société. Après avoir passé au tordeur le mouvement syndical, qui s’est montré bien peu visible pendant la campagne électorale malgré l’ampleur des attaques dont il a été victime, Jean Charest s’apprête à faire de même avec le mouvement étudiant. Avec un parti d’opposition largement vendu aux réformes néolibérales, combien de temps durera le « statu quo » que les différents mouvements sociaux sont parvenus à maintenir (!) après quatre ans de lutte contre le gouvernement libéral ?

Pour bloquer la droite et arriver à construire un front social combatif et radical, les mouvements de résistance devront poursuivre leur enracinement auprès des classes ouvrières et populaires, accomplir un profond travail d’éducation populaire afin de démystifier les fausses solutions proposées par les partis politiques bourgeois et cultiver leur autonomie face au pouvoir. L’autonomie des mouvements sociaux face aux partis politiques vaut aussi pour Québec solidaire, dont l’objectif avoué au cours des quatre prochaines années sera d’obtenir des changements au mode de scrutin pour établir un système de représentation « proportionnel ». Peu importe : ce n’est pas ça qui changera quoi que ce soit au merdier dans lequel nous sommes plongé-e-s ! C’est dans la rue que la gauche sociale peut prendre son « match revanche ». Qu’on vote ou non, ce qui compte, c’est ce qu’on fait concrètement tout au long de l’année pour mettre un terme à ce système pourri.

Développer une alternative… libertaire

À toutes celles et ceux qui se sentent impuissant-e-s face à la remontée de la droite, qui ont envie de s’impliquer pour faire progresser les idées d’égalité, de solidarité et de liberté, nous vous invitons à prendre contact avec nous. La NEFAC organisera au cours des prochaines semaines plusieurs activités publiques dans différentes villes à travers le Québec. Nous en profiterons pour faire le point ensemble sur la situation politique, en insistant sur l’importance de s’organiser pour proposer une véritable alternative libertaire face au bourbier néo-conservateur.

Pour l’anarchie et le communisme,

Collectif anarchiste La Nuit
Secrétariat francophone,
Fédération des communistes libertaires du nord-est (NEFAC)

(Publié pour la première dans le numéro 14 de Cause commune, mai 2007)

Surprise! Stéphane Dion renie sa parole

Personne ne sera surpris d’apprendre que le Parti libéral du Canada, le parti historique de la grande bourgeoisie canadienne, s’opposera au projet de loi anti-scab concocté conjointement par le Bloc et le NPD. Après tout, ce ne serait que la dixième fois que les libéraux voteraient contre un tel projet de loi...

Personne n’est surpris sauf Buzz Hargrove, l’homme qui a donné un coat des TCA à Paul Martin. En effet, lors d’une réunion tenue le 7 février 2007, Stéphane Dion s’était personnellement engagé auprès de Buzz à appuyer la loi, à la condition que les services essentiels soient maintenus en cas de grève. Buzz est donc frustré et déçu (ce sont ses mots) d’apprendre que les libéraux n’appuieraient pas le projet de loi en troisième lecture. Come’on Buzz, à quoi tu t’attendais?

(Publié pour la première fois dans le numéro 13 de Cause commune, mars 2007)

Contre le dégel, pour la gratuité (une position pragmatique!)

Une étude récente de l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) démontre que, loin d’être une utopie irréaliste, la gratuité scolaire à tous les niveaux est un objectif réaliste et réalisable à court terme. L’abolition pure et simple des frais de scolarité et autres « frais afférents » ne coûterait en effet que 550 M$ et n’impliquerait qu’une hausse de 4,2% du budget du Ministère de l’éducation. Le principal frein à la gratuité scolaire n’est donc pas budgétaire mais idéologique.

Le dégel ne réglera rien

Le sous-financement du réseau universitaire québécois est généralement évalué à 400 M$. C’est un problème réel mais il ne sera pas réglé par un dégel modeste des frais de scolarité. Une étude de la CADEUL (l’association étudiante de premier cycle à l’Université Laval) évalue qu’un dégel respectant l’indice des prix à la consommation n’apporterait que 4,6 M$ de plus dans les coffres des universités. Forcément, pour avoir un impact réel, un dégel devra nécessairement être sauvage (à l’image des 350% de hausse occasionnée par le dernier dégel libéral). Même là, les chercheurs de l’IRIS mettent en garde contre la pensée magique. Partout ailleurs au Canada, les hausses de frais de scolarité ont été accompagnées d’une baisse proportionnelle de la contribution étatique. Ainsi, la part de financement des universités canadiennes provenant directement de la poche des étudiantEs est passée de 13% en 1980 à 34% en 2005 alors que la part de financement étatique est, elle, passée de 80% à 59%. Bref, au Canada anglais, les hausses de frais n’ont rien réglé du sous-financement des universités (qui est aussi criant qu’ici, soit-dit en passant).

L’impact des frais de scolarité

Préserver l’accessibilité aux études est l’argument majeur des associations étudiantes contre un dégel des frais de scolarité. Et il y a de quoi : 70 % des jeunes canadiens et canadiennes identifient « des raisons financières » comme principal obstacle à la poursuite d’études postsecondaires. Selon le Journal of Higher Education, la proportion d’étudiantEs moins nantiEs susceptible de persister et de terminer leurs études baisse de 19 % pour chaque augmentation de 1 000 $ des frais de scolarité.

Au Québec même, on constate que les frais de scolarité ont un impact marqué sur la fréquentation scolaire. De 1992 à 1997, c’est-à-dire avant que les effets du gel ne puissent se faire sentir, les inscriptions dans des programmes d’études devant mener au baccalauréat ont connu une diminution de 14,6 %. Curieusement, à partir du moment où le gel des frais de scolarité entre en vigueur, les inscriptions repartent à la hausse... Ainsi, dans la période menant de l’année scolaire 1997-1998 à 2005-2006 les programmes devant mener au baccalauréat ont enregistré une hausse de 22,1% de leurs inscriptions, cette hausse a été de 35,6 % pour les programmes conduisant à la maîtrise et de 63,2 % pour ceux se concluant par l’obtention d’un doctorat. Dans le même ordre d’idée, il n’est pas inutile de souligner qu’en 30 ans le taux de diplomation collégial (où s’applique une quasi-gratuité scolaire) est passé de 40% à 60%.

Évidemment, « quand on veut, on peut » et même des frais de scolarité élevés n’arrêteront pas des jeunes déterminés qui ont du talent (et l’appui de leur famille). On peut toutefois se demander à quel prix? Ce prix, c’est l’endettement étudiant qui suit en général la courbe des frais de scolarité. Au Québec, l’endettement moyen d’un étudiant ayant pris à sa charge son prêt à la fin de ses études de 1er cycle était de de 13 100$ en 2001-2002 alors qu’il était de 22 700$ en Ontario.

Vers la grève générale?

Réunis en congrès les 17 et 18 février dernier, les membres de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ) ont réitéré leur appui au principe de la gratuité scolaire. Comme le contexte est également marqué par une menace sérieuse de dégel des frais de scolarité, l’ASSÉ invite toutes les associations étudiantes du Québec à se doter le plus rapidement possible de mandats pour, en cas de dégel, lancer dès l’automne prochain une grève générale illimitée pour la gratuité scolaire. Une manifestation nationale, soutenue par des journées de grève, aura lieu le 29 mars prochain. Un congrès spécial est déjà prévu pour le 7 avril. À suivre...


Pour en savoir plus : « Tarification de l’éducation postsecondaire ou gratuité scolaire? ». Disponible à
www.iris-recherche.qc.ca et www.asse-solidarite.qc.ca

(Publié pour la première fois dans le numéro 13 de Cause commune, mars 2007)

Zizique - Deux come-back rouge et noir

Deux monstres sacrés de la musique engagée franco-française tendance anar ont sorti des disques cette année après une très longue absence. Les bacs des disquaires se sont en effet enrichis coup sur coup de nouveaux albums de Renaud et de Bérurier noir.

Le retour du chanteur énervant

Après un passage à vide cynique et anti-politique (Boucan d’enfer) qui faisait suite à un réformisme moche (l’anarcho-mitterandisme...), Renaud renoue dans Rouge sang avec ses vieilles racines anars. Entre plusieurs chansons d’amour, un peu d’humour et de portrait du quotidien, Renaud a « retrouvé son flingue » (c’est lui qui le dit) pour « dénoncer le conformisme des nantis et l’ignorance des gens de rien » (« qui imaginent changer l’histoire en votant pour quelques gangsters, en déléguant tous les pouvoirs à des politiciens pervers »), écorcher les bo-bo (bourgeois-bohêmes), dénoncer les fachos (« qui votent Sarko! »), « l’Amérique du grand capital », les « putain d’églises à la con » et « notre époque télémerdique ». On a dit dans les grands journaux que les textes politiques de ce disque de Renaud étaient faciles et trop gô-gôche (traduction : trop radicaux)… C’est peut-être vrai mais avouons que ça fait du bien de voir le chanteur retomber sur ses pattes et renouer avec la chanson engagée et hargneuse. Ne gâchons pas notre plaisir. Ça fait un peu l’effet de retrouver un vieux copain qui avait mal viré. Ce n’est pas le meilleur Renaud, il fausse encore même si c’est moins pire depuis qu’il a arrêté de fumer, mais on est loin des merdes des dernières années. Les fans inconditionnels (un peu plus en moyen aussi) seront heureux de savoir qu’une édition spéciale sur deux disques (contenant plusieurs protest-song inédites) est sortie avec une petite bédé. Rouge sang.

Les Béruriers sont les rois!

Il fallait s’y attendre, après le retour sur scène et les deux DVD d’archives, les vétérans du rock alternatif français Bérurier Noir ont eu envie de sortir un nouveau disque. C’est maintenant chose faite avec Invisible. C’est dans le ton du groupe (personne ne sera dépaysé) mais ça a perdu un peu de sa puissance. La force de Bérurier noir c’était d’être en phase avec un certain mouvement de la jeunesse, de parler d’une réalité qu’ils vivaient. Bérurier noir étaient « vrais ». Ils le sont toujours autant mais, bon, ils ne sont plus jeunes et le mouvement a comme qui dirait reflué… Résultat, beaucoup moins de quotidien et de chanson d’actualité et beaucoup plus de lyrisme et d’imaginaire. Un imaginaire un peu bizz, en passant, nostalgique d’un certain âge d’or (Le Serf, Le Druide et Le Loup???). Dur de dire si c’est nous ou eux qui sont déconnectés mais on « communie » un peu moins que dans le temps. Peut-être que les primitivistes et les écolos radicaux tripperont plus (quoi que ça risque d’être encore trop rouge pour eux…)? Au moins on est sûr que c’est par plaisir et non pour l’argent qu’ils font leur revival (sont encore sur leur propre étiquette indépendante… y’a des choses qui ne changent pas). Folklore de la Zone Mondiale.

(Publié pour la première fois dans le numéro 13 de Cause commune, mars 2007)

M comme mouvements sociaux

« Agir au lieu d’élire » : à lui seul, ce slogan résume bien la stratégie privilégiée par les anarchistes pour arriver à obtenir des changements sociaux. Mais encore faut-il intervenir collectivement si l’on veut faire des gains. Loin de rester confinéEs « entre anarchistes », nous avons fait le choix de militer au sein des mouvements sociaux. Voici pourquoi.

Dès qu’un groupe prend conscience de sa propre existence, que ses intérêts sont bafoués par ceux qui détiennent le pouvoir, il y a fort à parier que certainEs de ses membres prendront les moyens pour s’organiser et lutter. C’est ce qui s’est produit au 19e siècle lorsque la classe ouvrière s’est regroupée en formant les premiers syndicats. D’abord illégaux, pratiquant davantage l’action directe que la concertation avec les patrons, les syndicats ouvriers ont tracé la voie à une foule d’autres regroupements sur la base d’intérêts divers. Aujourd’hui, divers mouvements existent et revendiquent le respect de droits fondamentaux, qu’il s’agisse de ceux des femmes, des autochtones, des gais et lesbiennes, des sans-emploi, des étudiant-e-s ou des locataires. Il suffit d’analyser le paysage politique québécois pour s’apercevoir que les mouvements sociaux sont à l’heure actuelle l’un des principaux moteurs des luttes sociales.

À tort, on peut penser que ces mouvements ont tous plus ou moins la même couleur politique, vaguement social-démocrate. Ce n’est pas nécessairement le cas. Ils peuvent être progressistes ou conservateurs, réformistes ou radicaux.Des tendances politiques, parfois contradictoires, s’opposent régulièrement en leur sein, entraînant des scissions menant à la création de nouvelles organisations. C’est aussi vrai dans le mouvement syndical que dans le mouvement étudiant ou le mouvement féministe. Si globalement leur intervention vise à obtenir des réformes afin d’améliorer les conditions de vie de la population, certains d’entre eux portent néanmoins un potentiel de rupture avec l’ordre capitaliste et patriarcal. D’où l’importance que les idées et les pratiques libertaires puissent également s’y exprimer.

Lorsque les anarchistes interviennent dans les mouvements sociaux, ils/elles le font pour diverses raisons. Si nous avons fait le choix de nous organiser avec d’autres personnes qui vivent des situations d’exploitation ou de domination, c’est que nous vivons directement les mêmes problèmes. Nous ne participons donc pas à leur fonctionnement afin de les noyauter ou de les contrôler, comme l’ont fait d’autres tendances politiques (qu’il s’agisse des péquistes ou des marxistes-léninistes), mais bien pour nous organiser avec d’autres personnes qui souhaitent transformer la société. Au sein des mouvements sociaux, les anarchistes ne restent pas les bras croisés. Tant et aussi longtemps que la propriété et la richesse demeureront confinées dans les mains de quelques-uns et que l’État veillera au grain pour protéger ces privilèges, la justice et l’égalité demeureront un mythe. C’est pourquoi nous luttons contre les tendances réformistes qui négligent toute critique en profondeur du système capitaliste. Nous travaillons également de manière à renforcer l’autonomie des mouvements sociaux vis-à-vis des partis politiques, qu’ils soient de « gauche » ou de droite. Les anarchistes cherchent également à promouvoir les actions directes, et non simplement les moyens d’actions purement symboliques ou le lobbying comme c’est malheureusement souvent le cas. Nous souhaitons créer les conditions permettant une plus grande unité entre les mouvements, de façon à développer un front élargi de lutte contre nos ennemis communs.

Cette radicalisation des mouvements sociaux doit aller de pair avec une démocratisation des organisations. Les mouvements sociaux doivent être contrôlés par leur base. Cette prise en charge est absolument nécessaire car sans elle, il est difficile de penser le changement vers une société où le pouvoir ne sera plus l’affaire d’une minorité, mais bien l’affaire de toutes et tous.

(Publié pour la première fois dans le numéro 13 de Cause commune, mars 2007)

Un nouveau syndicat à l’Université Laval

Félicitation aux employéEs étudiantEs de l’Université Laval qui viennent d’obtenir une accréditation syndicale après deux ans de campagne. En effet, 74% des auxiliaires de recherche et d’enseignement ont voté en faveur de l’adhésion à l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC-FTQ).

Le nouveau syndicat s’est déjà fixé des objectifs prioritaires : l’abolition du salaire d’été, la rémunération de toutes les heures de travail effectuées, des hausses salariales convenables, des conditions de travail sécuritaires et la protection de la propriété intellectuelle.

Pas juste à l’Université Laval

L’AFPC a syndiqué beaucoup de jeunes précaires depuis cinq ans (près de 7 000 dans les campus de la province). Outre l’Université Laval, l’AFPC représente de nouveaux syndicats d’employéEs étudiantEs à l’Université du Québec à Montréal et à l’Université Concordia et s’emploie actuellement à syndiquer ceux et celles de l’Université de Montréal et de l’Université du Québec en Outaouais. Soulignons qu’il s’agit là de la plus importante campagne de syndicalisation de la décennie dans la province. Disons que ça contraste avec la pratique habituelle qui consiste à se voler des membres entre syndicats plutôt que de syndiquer des gens qui ne le sont pas déjà (quoi que... La campagne fut entachée pendant un moment par ce qui ressemblait fort à une guerre de centrales (la CSN était également sur les rangs).

(Publié pour la première fois dans le numéro 12 de Cause commune, hiver 2007)

Nexans toujours en grève...

Le 13 décembre dernier, la multinationale Nexans s’est payée une pleine page de pub dans les quotidiens de la capitale. Elle y détaillait la proposition sur laquelle ses syndiqué-es en grève devait voter (suite à une ordonnance de la Commission des relations de travail (CRT). Curieux (et coûteux) procédé... Le résultat de la manoeuvre a été désastreux pour la compagnie. Les grévistes ont en effet rejeté à 94 % les offres patronales et le protocole de retour au travail (alors que le vote de grève d’origine avait été pris à 93%!). Avis aux intéressé-e-s, les grévistes ont un blogue.

(Publié pour la première fois dans le numéro 12 de Cause commune, hiver 2007)

Cinéma-maison - Le Couperet

Bruno Davert est un professionnel de haut niveau (un cadre!) qui s’est fait larguer quand sa boîte a délocalisé ses opérations pour cause de « compétitivité ». Doté d’un parachute doré (c’est pas n’importe qui) la sérénité de notre homme s’effrite néanmoins au fil des mois, puis des années qui passent sans travail. Son instinct pousserait le « héros » à se solidariser avec ses semblables (« l’ennemi se sont les actionnaires » dit-il) mais il disjoncte complètement et intègre radicalement le discours dominant. Et puis lui vient une idée toute simple : éliminer, littéralement, la concurrence (c’est-à-dire les autres chômeurs ayant le même profil que lui)... Comédie noire ou thriller, selon le point de vue, le dernier film de Costa-Gavras se veut une « sociale-fiction » grinçante et décapante sur la dérive de l’économie et, surtout, ses effets sur ceux et celles qui sont éjecté-e-s du marché du travail. Attention : divertissement intelligent, certes, mais un peu lourd à la fin… Comme un dessert trop riche! Estomacs sensibles s’abstenir.

Un film de Costa-Gavras avec José Garcia (entre autre).


(Publié pour la première fois dans le numéro 12 de Cause commune, hiver 2007)

Un tiers d'anticapitalistes!

J’ai failli tomber de ma chaise en lisant l’Actualité. Pour être plus précis, selon un sondage CROP, il y a 32% des Québécois qui pensent que la liberté d’entreprise et l’économie de marché ne constituent pas le meilleur système pour assurer l’avenir du monde (« Pour ou contre le capitalisme? » L’Actualité, 1er décembre 2006). Malgré la « fin de l’histoire », malgré l’Institut économique de Montréal, malgré les lucides, malgré le matraquage idéologique incessant, il y a un tiers d’anticapitalistes au Québec. Qu’attend la gauche pour renouer avec ses racines? Pour, passez moi l’expression, capitaliser là dessus?

Y’a un tiers d’anticapitalistes, tralala!


(Publié pour la première fois dans le numéro 12 de Cause commune, hiver 2007)

Lorsque le respect passe par la répression

En avril 2006, un projet très peu médiatisé a été mis en branle par la police municipale de Québec sous le nom on ne peut plus ironique de : « respect ».

Les détails de ce projet étant en général méconnus, on en connaît toutefois la forme par ce que la police a communiqué aux médias et par les faits que les victimes de ce dit projet ont été en mesure de constater. Ce projet s’inscrit clairement dans une logique de marginalisation et de criminalisation des jeunes de la rue, au même titre que l’était précédemment le projet « macadam »…

À ce jour, trop peu de gens se sont intéressé-e-s à ce sujet, de sorte que les contradictions évidentes des sorties médiatiques maladroites de la police sont restées sous silence, même après 7 mois de réalité confirmant le caractère discriminatoire du projet. Pour la minorité qui en subit les conséquences, il est difficilement envisageable d’attendre de « deux à quatre ans » (1) avant que ça cesse.

Le 18 avril, Radio-Canada mentionnait que « les policiers auront le mandat d’appliquer davantage les règlements municipaux. Consommer des boissons alcoolisées, flâner et promener son chien sans laisse sont des exemples de comportements pour lesquels les policiers émettront des contraventions […] ». À ces comportements, on se doit d’ajouter le squeegee et la mendicité, qui sont deux des principales infractions sur lesquelles les flics sévissent dans le cadre du projet « respect ».

Prévoyant les critiques, la police s’est empressée de préciser qu’elle « parle de tous les groupes de citoyens, que ce soit les marginaux, les jeunes de la rue, les gens d’affaires [sic] et tous [sic] le monde qui utilise les places publiques. »(2) On constate bien la véridicité de ces propos en sachant que non seulement le lien entre ces comportements et les jeunes de la rue est clair, mais que les principaux endroits visés sont aussi ceux où ils/elles se tiennent!(ie « la Place d’Youville, le parvis de l’église St-Roch et la bibliothèque Gabrielle-Roy » (3)). Si les gens d’affaires sont également visés, comment expliquer que le directeur général de la Société de développement commercial du centre ville qualifie le projet « respect»
d’ « excellente idée » (4)? Qu’on nous dénombre les cas de gens d’affaires arrêté-e-s pour mendicité pour nous en convaincre!

Si le seul fait que les flics s’acharnent sur les jeunes de la rue est en soi déplorable, les manières utilisées le sont d’autant plus. Bien que la police fait valoir que « ce ne sont pas des crimes qui sont commis ici, mais des infractions à des règlements municipaux » (5), elle se contredit elle-même dans la parole et dans l’acte. En parlant des squeegees, Sylvain Boivert, de la police de Québec, mentionnait que « lorsqu’on assiste à une récidive régulière, on va passer du constat d’infraction même à des accusations criminelles » (6). Une fois que des charges criminelles sont déposées (ie : désordre public ou avoir troublé la paix), les flics peuvent désormais donner des conditions de remise en liberté (ex.: ne pas fréquenter un quadrilatère). Les récidives sont alors traitées au criminel sous des charges de bris de conditions… D’un côté comme de l’autre, on se retrouve face à une contradiction évidente : si l’on n’a pas affaire à des criminels, comme le dit le sergent Marillon, comment peut-il être justifié de donner des charges au criminel? Et si l’action est criminelle, pourquoi ne l’est-elle pas lorsqu’elle elle est perpétrée pour la première fois?

Pour ce qui est des résultats, que peut-on attendre d’un projet qui tente de régler le problème de la pauvreté en la criminalisant? Personne ne se sentira davantage attiré par le moule sociétal après avoir reçu des milliers de dollars de tickets. Le temps et l’argent dépensés par la police pour jouer au chat et à la souris ne réussiront jamais qu’à déplacer et disperser le « problème », et les seuls gagnants seront bien entendu le commerce et le tourisme…

Notes :

1) Durée estimée du projet par Mme Isabelle Mercure au conseil de quartier de montcalm
2) http://www.radio-canada.ca/nouvelles/regional/modele.asp?page=/regions/Q...
3) Idem
4) Idem
5) http://www.cyberpresse.ca/article/20060508/CPSOLEIL/60509001/5785/CPSOLE...
6) Jean-François Nadeau rapporte que les squeegees estiment que la police exagère, Radio-Canada

(Publié pour la première fois dans le numéro 12 de Cause commune, hiver 2007)

Grève chez Nexans Québec

Depuis maintenant près de trois mois, les employéEs de Nexans à Québec, syndiquéEs au local 6687 des Métallos, mènent une lutte ouverte face à leur patron. Depuis trois ans, un nouveau boss s’est implanté au niveau local, une sorte de directeur de succursale. Pour les travailleuSEs, il n’est rien de moins qu’un fasciste. Ce dernier veut non seulement couper les pauses d’après-midi (ils/elles font des chiffres de douze heures), mais également revoir à la baisse les retraites.

Le refus systématique de négocier de la part du patron local force les travailleuSEs à se déplacer jusqu’à Toronto, là où l’on retrouve la direction de cette entreprise de soudure. Finalement, notons que ce petit chef local a passé la majeure partie de son temps à tenter d’imposer des injonctions face aux grévistes et à faire entrer des scabs au lieu de négocier. Doit-on croire que c’est l’État qui donne des leçons au privé, ou l’inverse?


Visitez leur blogue et montrez votre solidarité :
http://grevenexans.blog.ca/

(Publié pour la première fois dans le numéro 11 de Cause commune, automne 2006)

Collaboration de classe

On vient d’apprendre que la Fraternité interprovinciale des ouvriers en électricité (affiliée à la FTQ-construction) a participé à la création de l’association « À bon port », un groupe de pression « citoyen » qui entend militer en faveur du projet de port méthanier Rabaska sur la rive-sud de Québec. D’après ses promoteurs (les multinationales Enbridge, Gaz de France et Gaz Métro), Rabaska pourra recevoir des navires chargés de gaz naturel, décharger leur cargaison, entreposer temporairement le gaz dans des réservoirs avant de le vaporiser, c’est-à-dire de le ramener à son état gazeux original. Celui-ci sera ensuite expédié en continu vers le réseau de transport interprovincial, puis vers les réseaux de distribution québécois et ontarien. Ce projet gigantesque, dont la valeur est estimée à plus de 800 millions de $, a suscité dès le départ la colère de la population des secteurs touchés. Plusieurs craignent les impacts négatifs de Rabaska sur l’environnement et le danger associé au transport et au stockage de gaz naturel. RegroupéEs au sein de la Coalition Rabat-Joie (1), les opposantEs ont organisé plusieurs manifestations au cours des derniers mois, mais la lutte s’avère difficile et coûteuse. Au lieu de soutenir les résidants et résidantes opposéEs au projet, le syndicat de la FTQ a choisi de verser 5000$ au groupe « À bon port », auquel participe également pas mal d’entrepreneurs en construction qui voient d’un bon œil l’ouverture d’un chantier de cette ampleur dans la région.

Cette caution apportée par la FTQ (au nom de la création d’emplois) est dénoncée par plusieurs militants syndicaux habitant la rive-sud de Québec. Dans une lettre ouverte aux journaux, l’un d’eux posaient les questions suivantes : « Ce n’est pas tout de créer des emplois pour que les gens aient accès au travail, encore faut-il continuer de se questionner sur ceux à qui ce travail sert vraiment. Aux grands pollueurs ? Aux transnationales qui abusent de leur pouvoir ou de leurs droits dans le monde ? Aux propriétaires qui encaissent subventions et baissent d’impôts sans que nous ayons quelques garanties sur le respect de leurs responsabilités sociales ou corporatives ? À ceux qui se moquent d’une éthique fondamentale, et sans calcul opportuniste, qui est essentielle à la vie en société ? Les propositions de Rabaska seront finalement l’occasion d’un débat de société sur ce que nous voulons faire de notre force de travail, sur la meilleure manière de finir par mieux maîtriser notre destin comme peuple travailleur. Que voulons-nous léguer à nos enfants ? Un monde où les grandes entreprises peuvent investir n’importe où, n’importe quand, pour faire ce qu’elles veulent de notre travail, à n’importe quel prix ? » (2)

(1) www.rabat-joie.org
(2) Lettre envoyée au Journal de Québec par Guy Roy, délégué syndical de base de la FTQ

(publié pour la première fois dans le numéro 11 de Cause commune, automne 2006)

Halte à la violence raciste!

Au cours des derniers mois, de nombreuses attaques racistes ont semé l’émoi dans les différents centres urbains du Québec.

À Trois-Rivières, une mosquée a été vandalisée avec des affiches tirées d’un site web xénophobe (« Québec Radical »). À Montréal, des écoles juives ont été la cible de graffitis haineux et d’attaques au cocktail molotov. À Québec, deux agressions racistes menées par un groupe de boneheads (1) ont eu lieu à quelques semaines d’intervalle, la première contre des étudiants lors de la Saint-Jean-Baptiste et la deuxième lorsque le rapper Eddie Racine s’est fait tabasser à deux pas de chez lui aux cris de « White Power ». À Sherbrooke, un homme et une femme de couleur se sont fait attaquéEs par des racistes alors qu’ils se promenaient dans un parc. Loins d’être isolés, ces événements démontrent que la bête immonde releve actuellement la tête au Québec.

Face à cette vague de violence, plusieurs seront tenté-e-s de faire confiance aux
« forces de l’ordre ». Après tout, les policiers et les policières sont senséEs protéger le public contre de tels actes haineux. On passe alors sous silence que les racistes portent aussi le badge et l’uniforme. À l’occasion, les victimes de l’intimidation policière brisent le silence et dénoncent publiquement leurs agresseurs. Plusieurs policiers de la Sûreté municipale de Québec ont récemment été reconnus coupables de profilage racial à l’endroit de personnes de couleur. Mais il arrive parfois qu’il soit trop tard pour prévenir l’irréparable. À Sept-Îles comme à Montréal, des flics n’hésitent pas à appuyer sur la gachette lorsque le
« suspect » est d’abord et avant tout coupable d’être noir ou autochtone. Dans tous les cas, les policiers s’en « tirent » avec de simples suspensions, grâce à la complicité de leurs supérieurs. Comment leur faire confiance, alors qu’ils ne sont même pas en mesure de faire cesser le problème dans leurs propres rangs?

Que faire alors pour combattre le poison du racisme dans nos communautés? Tout d’abord, on doit refuser de tolérer l’intolérable. Les racistes gagnent du terrain quand leurs opinions, puis les gestes qu’ils posent, ne trouvent aucune opposition. Si chacun-e peut faire sa part pour confronter une personne raciste dans son milieu de travail, à l’école ou dans son quartier, il faut s’organiser lorsque le problème prend de l’ampleur. On a tendance à oublier que des groupes ouvertement racistes et fascistes ont amorcé un travail de recrutement et de propagande un peu partout au Québec. Avant que le problème ne prenne des proportions encore plus alarmantes, il faut se regrouper et manifester fermement notre opposition. Nous devons également poser des gestes de solidarité avec les individus et les groupes qui sont la cible de ces attaques. Les militant-e-s de la NEFAC sont au cœur de ce travail de mobilisation. N’hésitez pas à nous contacter pour que nous puissions lutter ensemble contre le cancer raciste.

(1) nazis au crâne rasé

(Publié pour la première fois dans le numéro 11 de Cause commune, automne 2006)

Longue vie à l’AgitéE !

Québec - C’est fait ! Les camarades ont ouvert le café-bar l’AgitéE dans les locaux de l’ancienne Taverne Dorchester, à Québec, le 14 septembre dernier. L’AgitéE est une coopérative de solidarité qui se définit à la fois comme un espace social et culturel. Leur site web (www.agitee.org) décrit l’AgitéE comme «un lieu pour créer l’événement, diffuser des spectacles, permettre des projections, encourager les arts de la scène (l’impro, le théâtre et la poésie, etc.) ainsi que des expositions en tout genre. Un endroit éclectique ouvert à (presque) tous vos projets» et comme «un endroit prônant des valeurs de solidarité et de démocratie. Le lieu pour organiser conférences, réunions, débats, spectacles bénéfices et autres initiatives engagées et constructives». Nous on trouve surtout que c’est un endroit animé par des gens crissement cool. Allez voir par vous-même au 251 rue Dorchester, dans Saint-Roch. Longue vie à l’AgitéE !

(Publié pour la première fois dans le numéro 11 de Cause commune, automne 2006)

K comme Kronstadt (ou la faillite du léninisme)

En mars 1921, les marins de Kronstadt, qui avaient été à l’avant-garde des révolutions russes de 1905 et 1917, se soulèvent contre la dictature du Parti communiste aux cris de « tout le pouvoir aux soviets et non aux partis ». Les insurgéEs exigent la fin des privilèges (salaire égal pour touTEs), la restauration de la démocratie socialiste (élections libres dans les soviets) et le retour du pluralisme révolutionnaire (libération de touTEs les militantEs socialistes-révolutionnaires et anarchistes). La révolte de Kronstadt sera réprimée dans le sang par le pouvoir léniniste. Il s’agit pour les anarchistes de la confirmation brutale du caractère fondamentalement autoritaire et néfaste de l’idéologie marxiste-léniniste.

Des soviets à la dictature

La révolution russe d’octobre 1917 balaie la bourgeoisie et le parlementarisme et proclame « tout le pouvoir aux soviets ». En russe, « soviet » signifie tout simplement « comité ». Les soviets de 1917 sont des comités de soldats et d’ouvrierEs, composés de déléguéEs éluEs lors d’assemblées démocratiques dans les usines et les casernes où les masses élaborent des résolutions et discutent de politique. À l’origine, la révolution russe promettait un socialisme démocratique que ne reniaient pas plusieurs libertaires.

Le pays est rapidement plongé dans une guerre civile tandis que les anciennes classes dirigeantes tentent de reconquérir militairement le pouvoir. C’est dans ce contexte de guerre que le Parti bolchevique, majoritaire, impose sa dictature et réprime les autres courants révolutionnaires. C’est le début du régime de parti unique et les soviets, dans ce contexte totalitaire, sont vidés de leur substance. Quand les masses s’insurgent en 1921 –grèves insurrectionnelles à Petrograd, révoltes dans les campagnes, insurrection à Kronstadt—le pouvoir léniniste répond par encore plus de répression, allant jusqu’à interdire les tendances à l’intérieur même du Parti bolchevique.

La faillite du léninisme

La faillite du léninisme était pourtant prévisible étant donné sa philosophie autoritaire, son programme dictatorial et sa forme d’organisation centralisée. À la base du léninisme, on retrouve l’idée que la classe ouvrière ne peut pas, par elle-même, développer une conscience révolutionnaire. Au mieux, les ouvrierEs peuvent s’organiser en syndicats et lutter pour de meilleurs salaires mais jamais ils et elles ne deviendront révolutionnaires « naturellement ». Pour Lénine et la plupart des marxistes de son époque, ce sont des intellectuelLEs bourgeoisES qui ont inventé le socialisme et l’ont amené aux ouvrierEs. Sans nier que les intellectuelLEs ont eu un rôle à jouer, les anarchistes ont une vision différente. Pour nous, le socialisme émerge directement des pratiques développées durant les luttes ouvrières. Des intellectuelLEs, dont un grand nombre d’ouvrierEs autodidactes, l’ont sans doute synthétisé, mais ils et elles l’ont fait à partir de leurs observations des luttes (c’est en tout cas ce que reconnaissent la plupart des intellectuelLEs à l’origine de l’anarchisme).

Pour les léninistes, l’organisation des révolutionnaires (un parti dans leur cas) est composée d’intellectuelLEs dont le rôle est de rassembler les ouvrierEs les plus conscientEs, de leur apprendre le socialisme afin de constituer une « avant-garde » capable de diriger la classe ouvrière et de la mener au combat révolutionnaire. Il ne peut y avoir qu’une seule « avant-garde » de la classe ouvrière et un seul parti « d’avant-garde ».

Ce différent sur l’origine du socialisme et le rôle de l’organisation des révolutionnaires, qui peut ressembler à un débat sur le sexe des anges pour les non-initiéEs, est loin d’être innocent. En effet, si le socialisme émane des travaux des intellectuelLEs et non des luttes des ouvrierEs et si le parti regroupe « l’avant-garde », alors en cas de conflit entre la classe ouvrière et le parti, le parti est justifié d’aller à l’encontre de ce que veut la classe ouvrière réelle au nom du « socialisme » et des « intérêts supérieurs » d’une classe ouvrière mythique.

L’alternative libertaire

Les anarchistes savent bien que la combativité et la conscience révolutionnaire ne sont pas distribuées également dans la population. Seule une minorité est combative et révolutionnaire aujourd’hui. On pourrait à la limite parler « d’avant-garde » mais le concept est trop flou et implique pour le commun des mortelLEs une certaine supériorité et la volonté de diriger. Quant à nous, nous ne sommes pas en avant ou en dehors des masses, nous sommes dans les masses, nous en faisons partie. Nous préférons donc parler de « minorité agissante ».

Selon nous, la « minorité agissante » doit être organisée pour être pleinement efficace. La « minorité agissante » est surtout une force de proposition et d’éducation. Cela peut se faire bien sûr par la propagande et par l’intervention des militantEs dans les luttes mais aussi en donnant l’exemple par une action collective, résolue et décidée. Nous vivons l’organisation révolutionnaire comme l’un des moments des luttes sociales, une assemblée de militantEs politiquement sur la même longueur d’onde qui coordonnent leurs actions. L’organisation anarchiste n’aspire pas à diriger les luttes, elle veut simplement les radicaliser. Quand des militantEs libertaires se retrouvent en position de leadership, ils et elles poussent au maximum l’autogestion et l’autonomie des forces populaires. Nous prenons très au sérieux la devise de la Première Internationale : « L’émancipation des travailleurs et des travailleuses sera l’œuvre des travailleurs et des travailleuses eux et elles-même ». Qu’on se le tienne pour dit!


(Publié pour la première fois dans le numéro 11 de Cause commune, automne 2006)

Perspectives libertaires - Du pain et des jeux

« On nous traite comme un bled perdu. » Tel fut le cri du cœur d’Andrée Boucher, la mairesse de Québec, face aux tergiversations des mandarins fédéraux concernant la contribution d’Ottawa pour les fêtes du 400e anniversaire de Québec en 2008.

« Peut-être est-ce parce que nous sommes un bled perdu? » lui répond son vieil ennemi André Arthur, le député « indépendant » de Portneuf. Preuve de la déliquescence d’une certaine gauche locale, le premier à crier « le roi est nu » à propos des fêtes du 400e est un populiste de droite. André Arthur dénonce le fait que le 400e n’est qu’un autre des prétextes de la
« haute-ville », qui cherche « toujours » à se payer des « partys » aux dépens de la « basse-ville ». Au fond, les gens qui gèrent le 400e veulent aider le tourisme. Mais, aux dires du député, cette activité économique, « c’est des emplois précaires, c’est le salaire minimum, c’est le côté tiers-monde de la ville ». Évidemment, l’ex-Roi des ondes se garde bien de rappeler qu’il est depuis toujours l’un des plus féroces opposant au syndicalisme, y compris dans l’hôtellerie où se menait encore récemment des luttes importantes...

Le plus enrageant, ce n’est pas tant que ce salaud ait raison mais que personne à gauche, à part nos camarades des journaux communautaires Droit de parole et l’Infobourg, n’ait rien à dire sur le sujet. Les différents paliers de gouvernement s’apprêtent pourtant à claquer plus de 230 millions d’argent public dans cette aventure, dont 90 millions pour un gigantesque party poche (incluant une messe du pape sur les plaines d’Abraham!). Heureusement qu’il restera des miettes pour une poignée de projets intéressants soumis par des gens du cru. Ce sera aussi l’occasion pour l’élite d’imposer des projets structurants sans aucune consultation et sans référer à un quelconque plan d’urbanisme. Bref on va refaire la ville pour épater la galerie sans se soucier de ce que la population locale veut. On parle de cette folie dans toutes les chaumières, la gauche n’a rien à dire, et après on se surprend que la région vive une désespérante histoire d’amour avec les conservateurs et les adéquistes...

Québec a de plus en plus les allures d’un village où la consanguinité fait des ravages. D’un côté on a droit à une méchante gang de tarés qui se promènent avec des bumpers hurlant « libaaarté » et de l’autre on a une gauche caviar où tout le monde couche avec tout le monde, composée majoritairement d’amis du parti qui s’échangent des services et s’invitent mutuellement dans leurs cocktails bénéfices d’où ils regardent le peuple de haut. C’est à se demander ce qui est le plus dégoûtant.

(Publié pour la première fois dans le numéro 11 de Cause commune, automne 2006)

Pour les femmes afghanes : rien n’a encore changé

Forcé de justifier l’intervention militaire canadienne en Afghanistan auprès de la population, le gouvernement Harper a envoyé au front la ministre de la coopération internationale, Josée Verner. Comme ses collègues avant elle, la députée conservatrice de Louis-Saint-Laurent a tenté de nous faire croire que c’est pour venir en aide aux femmes afghanes et lutter contre le fondamentalisme religieux que le Canada déploie ses troupes dans la région de Kandahar.

Le dégoût qu’inspirent les Talibans est la dernière carte du gouvernement canadien. Qui, après tout, peut soutenir le retour au pouvoir de ces intégristes? On passe ainsi sous silence les nombreuses critiques formulées par les femmes afghanes à l’endroit du régime du président Karzai. Ce dernier s’est entouré des principaux responsables de l’Alliance du Nord, une vaste coalition de seigneurs de la guerre, lesquels sont devenus députés, ministres et généraux du nouveau gouvernement « démocratique » soutenu par le Canada et les États-Unis. L’Association révolutionnaire des femmes afghanes (RAWA) a dénoncé avec force leur présence au pouvoir (source: www.rawa.org). Depuis des années, les nouveaux alliés de l’Occident n’ont jamais cessé de piller, violer et tuer pour asseoir leur domination sur la population civile. Ces criminels de guerre affichent les mêmes convictions misogynes et fondamentalistes que les Talibans. Pas étonnant que la population afghane, et les femmes en particulier, ne voit pas les soldatEs de l’OTAN comme des libérateurs. En définitive, les militaires occidentaux n’ont fait que changer le visage de la tyrannie.


(Publié pour la première fois dans le numéro 11 de Cause commune, automne 2006)

Une défaite amère

Voici une entrevue réalisée avec Éric Maltais, un militant de la NEFAC qui travaille comme préposé aux bénéficiaires dans un grand hôpital de la région de Québec. Éric est impliqué dans son syndicat depuis quelques années. Il nous livre ses réflexions concernant la dernière ronde de négociation dans le secteur public.

Propos recueillis par Michel Nestor

Quel climat régnait dans ton milieu de travail avant le début des moyens de pression?

Pendant deux ans, on s’est dit : « ils ont abrogé l’article 45, ils ont fusionné nos unités syndicales, on va se venger à la prochaine négociation ». Mais rendus au moment décisif, les gens n’étaient pas si mobilisés que ça. Au cours des vingt-quatre derniers mois, il s’est passé un paquet de choses : d’abord, la fusion des établissements, puis une campagne de maraudage qui a duré pendant des mois et coûté des millions de dollars aux centrales. Tout cela a rendu difficile la construction d’un nouveau syndicat à l’hôpital. Dans ces conditions, c’est compliqué de se mobiliser. Pour bâtir un rapport de force, il faut qu’il y ait un climat propice dans les milieux de travail. Et ce climat-là, il n’existait pas. Il y a aussi plein d’autres facteurs qui entrent en ligne de compte : le manque de solidarité, le vent de droite qui alimente une critique réactionnaire du syndicalisme, l’individualisme ambiant. Tout ça a un impact direct sur la lutte.

Cette lutte, comment s’est-elle déroulée?

Deux blocs monolithiques d’intérêts se faisaient face: les syndiqué-e-s, qui à mon avis portaient des demandes salariales raisonnables, et l’État qui veut couper dans son budget coûte que coûte, et qui ri en pleine face de ses employé-e-s. Malgré une plus grande unité organisationnelle, on s’est à nouveau cassé la gueule. À mon avis, la direction syndicale savait qu’on allait se faire planter, mais elle a quand même appelé le monde à la grève en organisant des assemblées et en créant un front commun. Maintenant, 80% des conventions collectives sont négociées dans les établissements. Il n’y a pas eu de mandat de grève là-dessus, c’est vraiment merdique (de toute façon avec la loi 142, tout moyens de pression est devenu illégal!). La décentralisation a entraîné un nivellement vers le bas des conditions de travail là où les exécutifs syndicaux sont faibles. Les boss sont au courant de ça et ils vont en profiter. Ce qui est négocié au plan national, c’est le salarial. Et c’est facile de manipuler l’opinion publique en la bourrant de chiffres qu’elle ne comprend pas. Les conditions de travail ont finalement été imposées par une loi spéciale, une fois de plus. La plupart des gens impliqués dans le syndicat savaient que cette fin était prévisible. Une nouvelle stratégie aurait due être élaborée à partir du moment où on était conscient qu’on allait se faire avoir. C’est la pierre angulaire de la contradiction du syndicalisme actuel. La dernière journée de grève nationale a été tenue alors que les journaux annonçait : « le décret s’en vient ».

La défaite s’explique en partie par un manque de radicalité dans l’action. À l’hôpital, maintenir les services essentiels, c’est 90% d’effectif sur le plancher. C’est plus de travailleurs/euses sur le plancher qu’en été! Quand on était en grève, l’employeur nous amputait 45 minutes de salaire sur nos paies. Cet argent-là, il l’a mis dans les poches ! Il y a eu trois journées de grèves légales. Mine de rien, assurer les services essentiels demande un boulot considérable pour le syndicat, et c’est bien moins efficace que si tout le monde sort en même temps. Dans ces conditions-là, la grève donne quoi?

Qu’est ce qui explique que les syndiqué-e-s soient resté-e-s dans le cadre de la légalité?

Pourquoi on n’est pas allé plus loin? Les gens ont la chienne des amendes, de la prison. Il y a eu des appels assez radicaux en assemblée et sur les lignes de piquetage, mais que personne n’a maintenu une fois rendu dans l’action. Les exécutifs en place ont suivi les mots d’ordre du front commun. Dans la région, ils ne sont pas allés plus loin. Plusieurs assemblées ont même refusé d’adopter le plan d’action du front commun. Alors qu’il y a deux ans, on a organisé des actions directes, cette fois-ci, il y a eu beaucoup moins d’initiatives autonomes. On a quand même fait quelques bons coups, comme un blocage de la cafétéria qui a fait perdre pas mal de fric à l’hôpital. Mais rien de comparable au blocage du port de Québec.

Quel bilan tires-tu de cette mobilisation?

Je suis excessivement amer face à tout ça et je ne suis pas le seul. Les syndicats se sont cognés à un mur. Les personnes qui savaient que le décret s’en venait ont préféré signer des ententes à rabais au lieu de retourner à la base. Les syndicats qui n’ont pas signé avec le gouvernement n’ont pas adopté en assemblée générale des mandats qui défiaient la loi spéciale. Pendant qu’ici, on a mené une lutte dans la résignation, en France, la lutte contre le contrat de première embauche (CPE) s’est faîte avec la rage au ventre. C’est frustrant quand on compare les deux situations.

(Publié pour la première fois dans le numéro 6 de Ruptures, mai 2006)

Critiques de livres

Les écrits restent...

Je n’ai jamais eu l’impression, en collaborant à diverses publications anarchistes au fil des ans, d’écrire pour la postérité, de faire l’histoire. Les journaux sont produits plus souvent qu’autrement dans le rush et les textes sont prévus pour une consommation immédiate. Les journaux parlent d’ici et maintenant. J’ai donc trouvé très étrange la démarche de Marc-André Cyr qui s’est tapé la lecture exhaustive de plusieurs caisses de vieux journaux et en a fait l’analyse. J’étais curieux de savoir ce qu’un tiers retiendrait de ce qui est une partie intégrale de ma vie depuis presque 15 ans. Le résultat, une espèce d’histoire du mouvement anarchiste québécois à travers ses journaux, est des plus intéressant. Malheureusement, une telle analyse laisse de côté des pans entiers de notre l’histoire –notamment les événements qui ont été réellement importants pour les participant-es et non ceux dont « il fallait parler » – et ne s’intéresse finalement qu’à une espèce bien particulière d’anars : les militant-e-s propagandistes. Qu’ils et elles soient intellectuel-les patenté-e-s ou bien autodidactes, les artisan-e-s de la presse libertaire sont un genre à part, séparé du reste du mouvement jusqu’à un certain point (et souvent détesté). On leur attribue généralement une influence disproportionnée par rapport à la réalité.

L’analyse exclusive du matériel écrit peut porter à faire quelques erreurs d’appréciation. Ainsi, il apparaît clair pour Marc-André Cyr (et aussi pour Francis Dupuis-Déri, qui se livre à une analyse similaire pour le matériel couvrant la période 2001-2006 dans sa postface) que les journaux ont des genres bien typés. Bien sûr, chaque journal a une personnalité propre qu’on peut facilement opposer à celle de ses « concurrents » mais c’est une erreur de les croire figés. Forcément, un journal qui survit à son premier numéro verra le reste de son existence rythmée par les départs et les arrivées de militant-e-s. Les frontières entre les publications sont loin d’être étanches, surtout lorsqu’elles sont d’une tendance politique similaire. Ainsi, des gens de Démanarchie ont collaboré à Rebelles et à Hé… Basta!, des gens de Rebelles à Hors d’Ordre. Plus récemment, des gens du Trouble sont passés à Cause commune… et vice-versa. Il est comique de constater que nos analystes notent des similitudes entre certaines publications sans savoir que c’est tout simplement parce que le même monde est impliqué. Si Rebelles traitait du MDE et d’antiracisme avec la même analyse que Démanarchie c’est que ce sont des gens de Démanarchie qui écrivaient ces articles-là; si Le Trouble ressemble à Démanarchie, ce n’est pas le fruit du hasard (on compte une demi-douzaine d’anciens de Démanarchie dans Le Trouble); si Cause commune lance des chroniques ayant les mêmes titres que celles du Trouble, c’est que ce sont les mêmes personnes qui les écrivent, etc. Au delà de la montagne de papier, il ne faudrait pas oublier que tout ce monde là participe d’un même petit mouvement, que les gens se connaissent, sont souvent ami-e-s, colocs, amant-e-s ou alors s’haïssent cordialement.

D’après Marc-André Cyr, les journaux de la période étudiée (1976-2001) font de la triple bataille contre le capitalisme, l’État et le patriarcat le cœur de leur lutte. C’est ce qui les distingue comme une presse libertaire et non simplement « de gauche ». À côté de ces grands thèmes, d’autres sujets sont également développés, comme l’antiracisme et l’écologie, lesquels, tout en étant importants, sont moins centraux. L’analyse systématique du contenu des journaux permet de mettre en lumière certains phénomènes intéressants. Ainsi, bien que tous les journaux font de la lutte contre le patriarcat un axe central, « en fait, les seuls à être relativement en accord avec leurs positions féministes sont Démanarchie et Rebelles, qui publient de nombreux articles, des éditoriaux et des dossiers sur la question » (alors que les autres ne publient que de rares textes théoriques, voire n’en traitent pas du tout). Or, du lot, Démanarchie et Rebelles sont les deux journaux les plus classiquement lutte-de-classistes (voir ouvriéristes), les seuls à avoir été jamais accusés de négliger les questions autres que la question sociale, les seuls à avoir été accusés de n’être au fond que des « journaux de gars». Curieusement, Francis Dupuis-Déri constate le même phénomène : à part les anarcha-féministes, seul-e-s les anarchistes sociaux, les socialistes et les communistes libertaires traitent de féminisme de façon régulière (Ruptures se trouvant juste derrière Les Sorcières pour la période 2001-2006). Comme quoi les monomaniaques ne sont pas toujours là où on le pense !


Une note pour Francis Dupuis-Déri (et les autres)

Il y a quelques tournures de phrase dans ta postface au livre de Marc-André Cyr qui me chicotent. Par exemple, pourquoi parles-tu de Cause commune comme d’un « petit journal »? La mauvaise herbe ou Anarkhia sont photocopiés et ont un format physiquement plus petit... Pourquoi dis-tu que « selon la NEFAC » Cause commune est tiré à 3 000 exemplaires alors que tu présente comme un fait le tirage du Trouble (qui, d’ailleurs, est passé de 2000 à 1500 puis à 1000 copies au rythme des démissions)? Finalement, Ruptures n’est pas la « voix officielle de la NEFAC ». C’est, nuance importante, « la revue de la NEFAC ». Le but de Ruptures n’est pas de présenter « le point de vue du parti » en tout et sur tout. Premièrement, nous ne sommes pas un parti ! Deuxièmement, la revue nous sert à confronter des analyses et faire des débats. Ruptures participe à notre processus d’unité tactique et théorique, elle n’en est pas le résultat (le résultat ce sont les prises de position adoptées en congrès). Ton opposition au plateformisme ne doit pas te faire oublier que nous sommes… libertaires !

Nicolas Phébus

LA PRESSE ANARCHISTE AU QUÉBEC (1976-2001), par Marc-André Cyr. Avec une préface de Michel Nestor et une postface de Francis Dupuis-Déri. Édition à compte d’auteurs (et d’amis…), disponible dans les bonnes librairies anars.

Les livres du prof Baillargeon

Depuis la dernière parution de Ruptures, Normand Baillargeon a trouvé le moyen de publier non pas un, ni deux mais bien trois nouveaux livres ! C’est vrai qu’on ne publie pas souvent la revue, mais tout de même…

La plume du prof Baillargeon a l’avantage d’être à la fois claire, précise et très pédagogique (ce qui est rare). Son « Petit cours d’autodéfense intellectuelle », publié chez Lux, est des plus populaires en ce moment (en fait c’est officiellement un best-seller). L’ouvrage permet à tout un chacun d’acquérir les outils intellectuels nécessaires pour ne pas se faire berner par le racolage médiatique et l’idéologie libérale qui bave des mass médias depuis toujours. Il s’agit là d’une véritable œuvre de salubrité publique (œuvre qui, dans un monde idéal, devrait revenir à l’école).

Baillargeon récidive avec « Dans la marge, écrits libertaires » un recueil de ses plus récents essais publié aux éditions Trois Pistoles. Ce n’est d’ailleurs pas le seul livre de Normand Baillargeon qui est en fait un recueil de textes préalablement publiés dans la presse alternative. Déjà, « Les chiens ont soif » était du même acabit. C’est bien de donner une seconde vie à des textes qui, malheureusement, ont une trop faible diffusion mais cela peut devenir un peu frustrant pour ceux et celles qui, comme moi, ont déjà tout lu. N’empêche, le succès de ses autres livres permettra peut-être de rejoindre d’autres lecteurs ou lectrices qui n’ont pas accès à la presse alternative. Qui sait?

L’ouvrage le plus intéressant pour le mouvement anarchiste est toutefois « Éducation et liberté », une anthologie de textes importants de la tradition libertaire portant sur l’éducation. On y retrouvera les visions des « pères fondateurs » (Proudhon, Bakounine, Kropotkine, etc.) ainsi que des essais de militants historiques s’étant frotté à la pratique (Faure, Robin, Pelloutier, Ferrer). Durant les années 1990, l’éducation libertaire, entre autre à cause de l’école Bonaventure, avait passionné les militant-e-s français-e-s et de nombreux livres avaient été publiés. Malheureusement, tout cela n’était disponible que pour une poignée de Québécois-es (ceux et celles qui fréquentent assidûment le milieu). Grâce à Normand Baillargeon, les textes historiques dont tout le monde parle (mais que personne n’avait lu) sont maintenant accessibles au plus grand nombre. À la lecture, on se rend compte que nos prédécesseurs n’étaient pas bête du tout… Et que certain-e-s théoricien-ne-s et technocrates contemporain-e-s du Ministère de l’éducation auraient intérêt à les fréquenter plus souvent.

Camille

(Publié pour la première fois dans le numéro 6 de Ruptures, mai 2006)

Sur les traces de l’anarchisme au Québec

Sixième partie : les années ’50



Pour la gauche nord-américaine, les années ’50 sont associées à une longue traversée du désert. Au Québec comme ailleurs, la fièvre anti-communiste et la chasse aux sorcières reprennent de plus belle. Le régime Duplessis exerce toujours sa domination sur la société. Mais dès la fin des années ’40, une partie du mouvement ouvrier se révolte contre les multinationales qui les exploitent. En 1949, les mineurs d’Asbestos et de Black Lake mènent une lutte très dure contre leurs employeurs. Cette grève attire l’attention du groupe français « Socialisme ou Barbarie ». Les membres de « Socialisme ou Barbarie » sont à l’origine assez proches des thèses de la gauche communiste. Ils sont en contact avec un « groupe trotskiste » au Québec, animé probablement par le syndicaliste Jean-Marie Bédard. Toutefois, « Socialisme ou Barbarie » évoluera au cours des années ’50 vers une perspective anti-autoritaire assez proches des thèses communistes libertaires. Tout en soulignant que les revendications des travailleurs de l’amiante ne sont pas « révolutionnaires », l’auteur de l’article ne manque de souligner le fait que ce sont des syndicats catholiques qui sont à l’origine du conflit. Ce processus de radicalisation, qui ne fait que commencer, ira en s’accentuant au fil des ans.

Deux membres de « Socialisme ou Barbarie », Roland Eloi et Pierre Lanneret, émigrent au Québec au début des années ’50. À en croire des acteurs de la gauche libertaire montréalaise, Eloi et Lanneret ne semblent pas avoir eu de contacts directs avec les autres individus et groupes anti-autoritaires présents à la même époque. Plus que jamais, l’isolement semble être devenu la règle.

Les chemins de l’exil

Même si la guerre est terminée depuis plusieurs années, des réfugié-e-s continuent d’affluer d’Europe dans le port d’Halifax. Les hostilités ont déraciné des milliers de personnes qui n’ont nulle part où aller. Une organisation internationale d’aide aux réfugié-e-s créée par les Nations-Unies (l’IRO – « International Refugee Organization ») leur offre le voyage en Amérique où l’on cherche de la main d’oeuvre bon marché. C’est dans ce contexte qu’arrive au Québec un groupe de militant-e-s anarcho-syndicalistes originaires d’Espagne. Membres de la « Confederacion Nacional del Trabajo » (CNT), ces dernier-e-s viennent pour la plupart du sud de la France, où ils/elles ont connu les camps de concentration après la défaite aux mains des fascistes. Tant bien que mal, les anarcho-syndicalistes y ont reconstitué des branches de leur organisation. Ces militant-e-s révolutionnaires feront de même à leur arrivée ici.

C’est par train qu’on les amène de Halifax jusqu’à Québec, où les immigrant-e-s sont trié-e-s, puis orienté-e-s vers des employeurs potentiels. Si certains choisissent de s’installer à Québec (tels les trois frères Bastida et leurs parents), la majorité se dirige à Montréal. C’est le cas d’Enrique Castillo et d’Elvire Hernandez. Avec leurs deux enfants, âgés de 16 et 12 ans, ils s’établissent dans la Métropole en 1953 après avoir passé un an à Jonquière où Castillo s’est d’abord trouvé du travail au Canadien National dans l’entretien des wagons. À Montréal, Castillo participe activement à la Fédération locale de la CNT qui regroupe une quarantaine de membres. Comme il a occupé la fonction de secrétaire d’une section de métallos affiliée à la CNT pendant les années ’30 à Barcelone, puis dans un groupe à Montauban (France), ses compagnons lui demandent de prendre le même mandat ici.

Les activités de la « Fédération locale » pendant les années ‘50 prendront plusieurs formes. Le premier objectif du groupe est de maintenir vivante la flamme de la révolution libertaire et de garder un lien avec les activités de la CNT en exil basée à Toulouse. Une demi-douzaine de militant-e-s s’occupent de la section locale de « Solidarité internationale antifasciste » (S.I.A.). On retrouve parmi eux Francisco Rebordosa et Alfredo Monros. D’après les souvenirs du fils d’Enrique Castillo et d’Elvire Hernandez, Nardo Castillo, Rebordosa était « le prototype du militant anarchiste, transporté par ses idées ». Pendant de nombreuses années, on pouvait le voir à des événements publics avec sa table de littérature. Selon Castillo, « Rebordosa était resté traumatisé par la guerre civile, tout particulièrement le souvenir de ses camarades mort-e-s au front. Inlassablement, il répétait : il n’y a pas de cause qui valent la mort d’un être humain». Pour sa part, Alfredo Monros est alors considéré comme « l’artiste » du groupe montréalais. Ses dessins servent régulièrement à illustrer les tracts et brochures publiés par les membres de la CNT. Un recueil de ses oeuvres sera d’ailleurs publié par la Fédération locale. On y retrouve la douleur de la mort, la détresse de tout laisser derrière soi, la lutte infatigable contre la barbarie fasciste.

Le coeur du travail accompli par les membres de la CNT à Montréal sera de structurer au Québec l’opposition à Franco. C’est ainsi qu’en 1955 est créée la Liga Democratica Espagnola, qui regroupe des militant-e-s de différentes tendances politiques anti-franquistes. L’organisation compte environ 80 membres, dont une majorité d’anarchistes. La « Ligue » publie à partir de 1959 un journal mensuel, « Umbral », qui est édité au domicile d’Enrique Castillo. Ses membres fréquentent assidûment le Centre espagnol sur la rue Peel, un local ouvert par un militant de l’UGT (1), Adolpho Iglesias : « cet homme étonnant, à la bonhommie naturelle, était un démocrate dans l’âme. Il aidait les gens qui sautaient des navires marchands pour fuir leur pays. Ces réfugié-e-s aboutissaient au Centre espagnol, qui servait souvent de point de chute » (2). Plusieurs actions sont organisées au fil des ans contre les manoeuvres du consul espagnol à Montréal afin de réhabiliter le régime. C’est ainsi que les membres de la « Ligue » débarquent à l’Université de Montréal pour y dénoncer une soirée de théâtre organisé par les « factieux ». Comble d’ironie, on y présente une oeuvre de Federico Garcia Lorca, un dramaturge espagnol assassiné par les troupes de Franco en 1936... Les anarchistes produisent un tract rétablissant les faits historiques qu’ils/elles remettent aux spectateurs/spectatrices présent-e-s. L’action se termine par l’intervention de la police.

Un choc culturel et politique

Dès leur arrivée au Québec, « les militant-e-s anarchistes sont frappé-e-s par l’omniprésence de l’Église, elle qui avait été l’ennemie numéro 1 en Espagne » (3). Celles et ceux qui ont des enfants doivent les envoyer à l’école catholique, même si ils/elles sont athées. Après avoir connu les affres de la guerre et des camps en France, plusieurs sont soulagé-e-s de voir une certaine régularisation de leur statut. Si les papiers ne posent plus problème, la survie reste toujours une préoccupation centrale. Comme la majorité des immigrant-e-s, les anarchistes espagnol-e-s débarquent avec à peine quelques dizaines de dollars en poche. Certains vont travailler sur la construction, dans l’industrie lourde, dans les manufactures. D’autres vont devenir bûcherons, serveurs ou boulangers. Des métiers difficiles où les militant-e-s anarcho-syndicalistes se frottent pour la première fois au syndicalisme nord-américain. Et c’est le choc! « Ils venaient d’une école où l’on défendait le syndicalisme les armes à la main », précise Nardo Castillo. Ici, à cause de la formule du « closed shop », on leur impose une affiliation syndicale qu’ils/elles n’ont pas choisi. Le mouvement ouvrier pratique alors un syndicalisme « d’accommodement » avec les patrons, à mille lieux de ce que les libertaires ont connu en Europe. Plusieurs lutteront avec acharnement contre le dirigisme de la bureaucratie syndicale.

C’est notamment le cas d’Anna Delso. Anna a quinze ans lorsque éclate la révolution en 1936. À Madrid, elle rejoint un regroupement de femmes libertaires, les « Mujeres Libres» qui fait un travail de terrain dans les quartiers populaires tout en menant une lutte contre l’oppression patriarcale : « elles ont dit : la cause des femmes, c’est tout de suite ou jamais. Nous avons pris la place qui nous revenait de droit. Moi, j’avais 16 ans et j’étais secrétaire de la Fédération des femmes libres. Je savais à peine écrire et je rédigeais déjà des articles sur les femmes libres, les femmes libertaires. Je donnais en exemple les grandes révolutionnaires russes, comme Emma Goldman » (4). Après la défaite du camp révolutionnaire, elle quitte l’Espagne pour la France où elle passe près de douze ans dans la clandestinité et la précarité.

Arrivée à Montréal en 1951, elle se trouve du boulot dans l’industrie du vêtement où elle travaille pendant 26 ans. Avant d’arriver à Montréal, elle ne connaît rien du Québec : « j’ignorais jusqu’à l’existence d’un pays ou d’une ville de ce nom. Ma famille et moi sommes venues ici parce que nous parlions français (...) nous n’avions rien, la situation des immigrés était difficile. Nous avons donc fait comme les marins, nous sommes partis au gré du vent. (...) Je venais ici pour survivre et gagner ma vie. Je n’y suis venue avec aucun espoir révolutionnaire. Je voulais vivre en attendant que le fascisme espagnol s’effondre » (5). Le syndicalisme qu’elle trouve ici est aux antipodes de celui qu’elle a connu en Espagne. Anna est horrifiée par ce qu’elle découvre. La corruption des dirigeants, les détournements de fonds, le connivence avec les patrons et le régime Duplessis font partie intégrante du système : « j’ai eu des bagarres terribles avec le syndicat dont j’étais membre, l’Union internationale des ouvriers du vêtement pour dames (UIOVD). (...) Je les dérangeais tellement que je me suis retrouvée sur la liste noire » (6).

La fin d’une époque

Si Anna Delso poursuit au Québec un engagement social et politique (notamment au sein du mouvement féministe, puis du mouvement anarchiste pendant les années ’70 et ‘80), la plupart des membres de la Fédération locale de la CNT resteront en retrait des débats qui traversent la société québécoise. Les libertaires espagnol-e-s se retrouvent face à un contexte social qui se situe à des années lumières de la révolution qu’ils/elles ont vécu. Qui plus est, la mouvance anarchiste peine à s’y développer.

Ce qui reste du groupe automatiste continue néanmoins sur la voie tracée par le Refus global (7). Peu à peu, Paul-Émile Borduas tourne le dos à l’engagement public. C’est le poète et dramaturge Claude Gauvreau qui prend l’initiative de rassembler ceux et celles désirant poursuivre la lutte. Au début des années ’50, plusieurs actions d’éclat sont organisées par ces
« rebelles », lesquelles visent directement le conservatisme des institutions artistiques et sa fermeture à l’art vivant. Leur « campagne d’assainissement contre l’arrivisme bourgeois » est particulièrement virulente. Malgré quelques succès, le groupe va s’étioler au cours des années qui suivent. En 1952, une signataire du Refus Global, l’actrice Muriel Guilbault, se suicide. L’année suivante, Borduas et Ferron quittent le Québec. Reste Claude Gauvreau qui, plus que jamais, continue d’écrire et de maintenir avec flamboyance un esprit libertaire hors limite. Autour de lui se greffent bientôt plusieurs jeunes auteur-e-s, comme la poètesse Janou Saint-Denis. D’après elle, l’influence de Gauvreau et de ses ami-e-s sur le projet anarchiste au Québec « s’est concrétisé dans une culture de vie, de politique et de production artistique dont les traces [seront] visibles dans l’ensemble du mouvement de contestation des deux décennies [suivantes] » (8).

Les anarchistes espagnol-e-s ont-ils croisé les peintres et poètes issu-e-s de la mouvance automatiste au cours des années ‘50? Si tel fut le cas, ce ne peut être qu’à l’Échouerie. Ce café est alors fréquenté par les membres de la Fédération locale de la CNT de même que par le milieu contre-culturel montréalais, comme du reste quelques autres établissements du centre-ville, dont « la Hutte suisse ». L’anarchiste Alex Primeau est du nombre des habitué-e-s. Il fait partie d’un petit cercle de libertaires francophones qui s’activent tant bien que mal à Montréal. Malgré le l’épais brouillard idéologique qui enveloppe la société canadienne-française, quelques-uns continuent de propager leurs idées. L’un d’eux, Joseph Larivière, est animé d’une passion incroyable pour dénoncer le cléricalisme. Il est en lien avec un groupe new-yorkais qui publie la revue « Freethinker » de même qu’avec Émile Armand, l’éditeur du bulletin anarchiste « l’En Dehors » auquel Larivière s’abonne en 1954. Nardo Castillo, qui a milité à ses côtés, en garde un bon souvenir : « Il s’installait avec une table de revues et de publications qu’il faisait venir de France et les distribuait pour deux fois rien. Tout son salaire y passait : sa cave était pleine de propagande, un vrai capharnaüm! C’était un homme discret, d’une conduite exemplaire, dont la principale satisfaction était de pouvoir semer la merde».

Castillo rencontre également Paul Faure, le libraire anarchiste et correspondant d’Émile Armand. Faure lui vend une copie de « l’Encyclopédie anarchiste ». « J’étais alors très jeune, se rappelle Nardo. Je me souviens encore de son regard, qui fixait les choses ou les gens, soit pour les radiographier ou les comprendre intensément. Il faut voir Faure comme un exemple : il a conservé un discours et une attitude en accord avec ses convictions jusqu’à la fin de ses jours ». Même à un âge avancé, Faure continue de diffuser quelques publications anarchistes de langue française. Toutefois, son moral est au plus bas. Dans une lettre adressée Émile Armand, il se confie : « ici, après plus de trente ans de propagande, je reconnais que le résultat n’est point seulement négatif, mais qu’il y a régression dans l’entendement et le raisonnement des gens. Aujourd’hui, c’est le néant, la mort des idées ». On perd sa trace en 1956. La disparition de Paul Faure marque la fin d’une époque pour le milieu libertaire francophone.

Un autre groupe arrive à Montréal

Si Alex Primeau suit pendant quelques années la trajectoire des automatistes, il tisse également des liens d’amitié avec un groupe d’anarchistes d’origine juive arrivé d’Europe à la même période que les militant-e-s de la CNT. Rescapé-e-s des camps d’extermination nazis, ces militant-e-s sont originaires des pays d’Europe de l’Est. Certain-e-s, comme Eva Schwartz, ont combattu en Russie pour défendre le pouvoir des soviets contre les « rouges » et les « blancs ». D’autres, tel M. Freud, se sont impliqué-e-s dans les mouvements pacifistes radicaux. Malheureusement, nous savons très peu de choses de leurs activités pendant les années ‘50. Ils et elles ne sont pas les seul-e-s militant-e-s anti-autoritaires à débarquer à Montréal. Des centaines d’ex-membres du Bund (un groupe socialiste juif anti-sioniste) se joignent ainsi à l’Arbeiter Ring entre 1949 et 1951 (9). L’afflux de ces réfugié-e-s permet de donner un second souffle à l’organisation ouvrière juive pendant près d’une décennie.

En conclusion

Les années ’50 marquent un tournant dans l’histoire des idées anarchistes au Québec. La génération de militant-e-s d’avant-guerre tire sa révérence. Celle qui est apparue après 1945 autour du groupe automatiste peine à s’organiser politiquement. Sa remise en cause de la société ne passe pas par une implication au sein du mouvement ouvrier ou populaire. Pendant que certain-e-s accedent à une carrière internationale, d’autres s’enfoncent dans
« l’underground ». Les anarchistes espagnol-e-s resteront à l’écart des tribulations de ce milieu. Mais contrairement aux libertaires juifs arrivé-e-s au début du siècle, ils et elles n’auront pas d’impact significatif sur le mouvement ouvrier, sans doute à cause de leur nombre beaucoup plus restreint. Il faudra attendre près de 10 ans avant que ne réapparaisse de nouvelles publications d’inspiration libertaires au Québec, portée par une nouvelle vague déferlante, celle de 1968.

Michel Nestor
(Québec)

(1) Union General de Trabajadores, un syndicat d’inspiration socialiste
(2) Entrevue réalisée par l’auteur avec Nardo Castillo
(3) Ibid
(4) Sroka, Ghila Benesty, « Conversation avec Anna Delso » in La Parole Métèque, numéro 12 (Hiver 1990), p. 6-7. Pour en savoir plus sur cette période de sa vie, consultez l’autobiographie d’Anna Delso « Cent hommes et moi : estampes d’une révolution », publiée aux Éditions de la Pleine Lune
(5) Ibid
(6) Ibid
(7) Au sujet des liens entre le groupe automatiste et l’anarchisme, voir le cinquième numéro de Ruptures (printemps 2005).
(8) Anonyme, Le pouvoir de vibrer à l’innatendu (sic) in La Nuit, 26 janvier 1981
(9) Rubinstein, M (1957), A Review of the Past 25 years, Arbeiter Ring, Montréal, p. 7. À propos du Bund et de l’Arbeiter Ring à Montréal, voir le deuxième, troisième et quatrième numéro de Ruptures.

(Publié pour la première fois dans le numéro 6 de Ruptures, mai 2006)

« Ainsi squattent-elles »

Une nouvelle initiative féministe libertaire voit le jour à Québec



Un groupe de militantes féministes libertaires de Québec a récemment décidé de monter un nouveau projet : « Ainsi squattent-elles ». Cette émission de radio hebdomadaire sera diffusée tout au long de l’été sur les ondes de Radio Basse-Ville (1). Nous avons rencontré quatre membres du collectif, Marie-Hélène, Véronique, Joelle et Évelyne, pour qu’elles nous parlent plus en détail de cette initiative.

Vous avez décidé de privilégier la radio pour exprimer vos idées et la non-mixité comme mode d’organisation. Qu’est ce qui a motivé ces choix?

On est plusieurs à avoir fait de la radio au cours des dernières années. Ce projet d’émission nous amène à en faire différemment. Contrairement à l’écrit qui prend souvent une large place dans nos vies, que ce soit au travail ou dans nos études, la radio permet une prise de parole plus directe et plus souple. On n’avait pas le goût de former un collectif non-mixte où passerait l’essentiel de notre implication politique. Nous sommes pour la plupart déjà impliquées dans différentes luttes. Par contre, le fait de créer un espace non-mixte est une réponse à une certaine frustration avec les rapports de genre auxquels nous sommes confrontées dans d’autres collectifs. Ce n’est pas la première fois que nous mettons sur pied ce genre d’initiative. Il y a deux ans, nous étions plusieurs à s’être réunies dans une assemblée générale des féministes libertaires de Québec. Il faut bien le dire, les porte-étendard du mouvement libertaire sont souvent masculins. Avec l’émission de radio, on veut prendre la parole et permettre à d’autres femmes de le faire également. Mais au delà de tout ça, il y a aussi le plaisir de se retrouver entre nous. Ces moments de « social », moins formels que les réunions, sont aussi devenus très importants.

Vous êtes plutôt nombreuses dans le collectif (une douzaine de personnes) et vous provenez d’horizons divers. Est-ce que ça pose un défi particulier?

C’est vrai qu’on n’est pas nécessairement impliquées dans les mêmes luttes. On a des expériences différentes, y compris au niveau de la radio. Certaines n’en ont jamais fait tandis que d’autres animent des émissions sur une base hebdomadaire. Il faut aussi concilier les champs d’intérêt pour que chacune se retrouve dans « Ainsi squattent-elles ». Mais au delà de ça, il y a la question de la prise de parole qui demeure présente et qui pose un défi, même dans un collectif non-mixte. C’est important de débattre collectivement, de sortir du non-dit, de cette tendance à vouloir régler les choses en privé à deux ou trois une fois la réunion terminée. Le danger de tomber dans l’informel, c’est le propre de tous les collectifs. Le fait d’être nombreuses pose aussi le défi de l’auto-apprentissage. On souhaite partager nos savoir-faire, comme par exemple au niveau de la mise en onde de l’émission. Mais va-t-on réussir à le faire pleinement ? On met la barre assez haute, car après tout, on fait un paquet de trucs à part la radio! Mais à date, en tout cas, être douze personnes à travailler sur ce projet au lieu de deux ou trois, c’est vraiment enrichissant.

Quels sont les thèmes que vous souhaitez aborder?

C’est super vaste. À la base, on ne se restreint pas. Bien sûr, on a le goût d’explorer et de parler de ce qui nous est cher. En gros, l’émission cherche a donner plus de visibilité au développement d’alternatives. On veut parler entre autre de ce qui se fait dans le mouvement des squats en Europe, de l’auto-santé, d’expression artistique, d’auto-organisation (le D.I.Y.), etc. La musique (engagée) va occuper environ 40% du temps de l’émission. On veut prendre le temps de la mettre en contexte, de la faire parler. Nous voulons également utiliser différents modes d’expression pour traiter d’une question, pas juste à travers des arguments. Si on parle de la situation des sans-papier, il y a moyen de puiser dans la musique, la poésie, la littérature pour aborder la question. Par ailleurs, comme c’est aussi une émission estivale, il y aura un petit côté ludique, de l’humour et (pourquoi pas!) des dégustations de cocktails ! Mais on reste, avant tout, une émission politique.

La question de l’autogestion semble être au coeur de votre démarche. Quelle est votre vision à ce sujet?

On n’a pas fait le débat pour s’entendre autour « d’une » définition de l’autogestion, qui est devenu un terme galvaudé. Pour certaines, l’autogestion veut dire reprendre le pouvoir sur nos vies à défaut d’un autre terme pour mieux décrire ce processus. Ça s’inscrit dans une démarche pour se libérer de l’aliénation et de l’oppression qui peut prendre plusieurs formes, individuelles et collectives. Pour d’autres, c’est une prise en charge des formes de résistance : s’organiser au lieu de se faire organiser. Finalement, il y a aussi une conception plus « matérialiste » où l’autogestion est vue comme une transformation radicale du mode de production (ex : la prise en main d’une usine par les travailleuses et les travailleurs). Même si il y a des divergences de point de vue, on va quand même dans le même sens au niveau du contenu : on se bat pour que de plus en plus de monde aient de plus en plus de pouvoir collectivement sur leurs conditions de vies.

Quel regard portez-vous sur le mouvement féministe à Québec?

Les manifestations les plus grosses, comme celle du 8 mars, sont souvent monopolisées par les grands regroupements et les syndicats, comme si c’était leur chasse-gardée. Ce contrôle (avec encadrement d’un service d’ordre et consignes très strictes) fait en sorte que la plupart des actions organisées par ce courant ne nous rejoignent pas. On est plusieurs à ne plus aller à ces rassemblements. Quand il y a des femmes qui s’organisent de façon autonome autour d’une lutte, elles se font souvent tasser par ces groupes. Difficile dans ces conditions de trouver sa place. Bien sûr, on est capable de s’impliquer aux côtés de féministes qui ne sont pas nécessairement libertaires. Par exemple, plusieurs membres du collectif ont déjà organisé des manifs avec d’autres féministes radicales, comme « La rue, la nuit : femmes sans peur ». Mais malheureusement, le discours officiel est difficile à dépasser. D’où la nécessité de s’organiser, comme libertaires, sur nos propres bases.

Au-delà de l’émission de radio, pensez-vous donner d’autres suites à votre projet?

Ça va sans doute déboucher sur quelque chose. Mais quoi ? Ça fait longtemps qu’on désirait créer un espace non-mixte comme celui-là. Ce ne sera sans doute pas un collectif à part entière, mais différentes initiatives vont peut-être voir le jour de cette façon. Le fait de mieux se connaître les unes les autres permet de l’imaginer. Le processus ne fait que commencer... À suivre !

Propos recueillis par Michel Nestor

(1) CKIA, la radio la plus à la gauche sur la bande FM ! Vous pouvez écouter en direct l’émission « Ainsi squattent-elles » le mercredi à 18h00 en syntonisant le 88,3fm à Québec ou sur le site web www.meduse.org/ckiafm

NDLR: L'émission passe maintenant le jeudi à 20h (en reprise le vendredi à 10h)

(Publié pour la première fois dans le numéro 6 de Ruptures, mai 2006)

«Locataires en colère! Locataires solidaires!»

Au delà des slogans, quelles pistes pour le mouvement?



Depuis quelques années, le mouvement pour le droit au logement a connu une forte progression au plan de la visibilité. Avec une crise du logement qui n’en fini plus de finir, les groupes membres du FRAPRU (1) et du RCLALQ (2) ont multiplié les interventions publiques et les actions en tous genres. Les médias sont au rendez-vous, mais peut-on en dire autant des locataires? De l’avis de chacun/chacune, la mobilisation reste difficile. Si les moyens d’actions prennent parfois une tournure un peu plus offensive, les revendications mises de l’avant, elles, ne parviennent pas à sortir des sentiers battus et restent souvent platement réformistes. Coincé entre l’arbre et l’écorce, le mouvement pour le droit au logement piétine… Peut-on sortir de cette position ambiguë sans adopter pour autant une position complètement « déconnectée » du contexte social actuel?

La publication récente du livre de François Saillant sur les 25 ans de la Régie du logement nous donne l’occasion de réfléchir sur ces questions. La thèse présentée par le coordonnateur du FRAPRU pourrait se résumer ainsi : la Régie du logement, loin d’être un « chien de garde » efficace du droit au logement, n’a pas le mordant nécessaire pour remplir de façon adéquate le rôle et les responsabilités que l’État lui a confié. Il y a une trentaine d’année, l’État québécois a reconnu sa responsabilité en matière de logement. François Saillant cite des extraits du Livre blanc sur les relations entre locateurs et locataires publié en 1977 par le gouvernement du Parti Québécois, document qui servira à orienter le travail de la Régie du logement : «Quelles que soient les conditions de vie des groupes ou des individus, le logement représente pour tous un bien essentiel au maintien de la vie ». Le livre blanc allait beaucoup plus loin encore, en reconnaissant que « l’État a un rôle important à jouer pour assurer que chaque citoyen puisse se loger convenablement ». Il ajoutait qu’une partie de ce rôle consiste à garantir « des relations harmonieuses mais également équitables pour tous, lorsque l’occupant d’un logement est locataire ». Faisant allusion aux milliers d’évictions pour non-paiement de loyer, Saillant souligne à juste titre que la Régie du logement est devenue au fil des ans une vulgaire « agence de recouvrement » au service des propriétaires. L’auteur résume bien les principales critiques adressées par les locataires face au travail de la Régie : la portée limitée de son champ d’action; la disparité entre les recours des propriétaires et ceux des locataires; la longueur des démarches; la complexité de se défendre seul; la prépondérance du droit de propriété sur le droit d’être logé. Loin de se résorber, une « iniquitée » s’est creusée entre les propriétaires et les locataires. Il faudrait revoir le fonctionnement de la Régie pour lui donner les moyens d’atteindre les objectifs définis dans le Livre blanc. Vraiment ?

Ne pas confondre la notion d’équité avec celle d’égalité

Lorsque l’État québécois donne le mandat à la Régie du logement de garantir des relations « équitables » entre locateurs et locataires, il ne sous-entend pas de mettre sur un pied d’égalité les deux parties. En fait, l’État prend acte de leur « puissance inégale ». Les propriétaires ne renonceront jamais à leur droit de propriété, et ce n’est pas la Régie du logement qui va changer quoi que se soit à la situation. Néanmoins, puisque le logement est un besoin essentiel, il est souhaitable de définir un compromis « acceptable » entre les deux parties de manière à préserver un semblant « d’harmonie » sociale. L’équité vise à établir un équilibre entre les intérêts de chacun (pour le propriétaire, être payé, pour le locataire, avoir un logement convenable) en tentant de prévenir « de manière impartiale » les « abus de droit » et la « mauvaise foi » qui pourrait favoriser indûment l’une des deux parties dans le processus de location

Pour l’État, parler d’équité plutôt que d’égalité n’est pas un choix banal. Ce concept restreint considérablement le champ des possibles. Sans qu’il s’agisse d’un choix « conscient » (du moins je l’espère!), le mouvement se retrouve piégé par cet horizon limité. En nous inscrivant de facto dans cette logique, nous sommes poussé vers un discours qui dénonce les « abus » des propriétaires sans jamais remettre en cause la légitimité du mode d’exploitation capitaliste. Ainsi, on parlera de mettre un terme aux « hausses abusives » de loyer plutôt que de faire campagne pour leur abolition pure et simple… Commode d’un point de vue stratégique (nous n’avons pas à nous justifier face à « l’opinion publique »), mais contre-productif si l’on se place dans le camp du changement social. En fait, nous nous tirons dans le pied en adoptant cette ligne, dans la mesure où nos interventions auprès des locataires renforcent le sentiment que nous pouvons, en dernière analyse, obtenir une plus grande justice à travers le processus juridique de la Régie, même si nous savons très bien qu’il ne s’agit pas d’un outil d’émancipation. Avec ou sans Régie du logement, une inégalité profonde subsiste entre ceux et celles qui possèdent la richesse foncière et celles et ceux qui doivent payer pour satisfaire leurs besoins les plus fondamentaux. Est-ce à dire que nous devrions revendiquer son abolition pure et simple, comme le font les associations de propriétaires?

Il est sans doute possible de revendiquer une plus grande « équité » sans mettre aux poubelles une perspective égalitaire. Nous n’obtiendrons pas l’égalité en la
« revendiquant » (comme on peut revendiquer un contrôle obligatoire des loyers). Nous y parviendrons en abolissant le régime de propriété privée. Pour être en mesure d’y arriver (et de gagner des batailles chemin faisant), nous devons nous organiser de manière différente. Pour l’instant, les comités logement fonctionnent souvent comme des outils d’information alternative (3) et, de façon ponctuelle, de mobilisation collective. Sans mettre de côté toutes les revendications face au gouvernement (4), ni le mandat d’information sur les recours à la Régie (qui demeurent importants à comprendre, ne serait-ce que pour éviter de se faire fourrer davantage), il nous faut accorder une plus grande importance à une critique en profondeur du marché locatif privé et du rôle de l’État dans la reproduction de ce système d’exploitation. Au delà des lieux communs ou de la langue de bois, il y a lieu de réactualiser cette approche de manière à l’ancrer plus profondément dans le vécu quotidien des locataires.


S’organiser autrement?

On doit constater que les recours à la Régie font en sorte d’individualiser plutôt que de collectiviser les luttes. En ce sens, le système de « justice » est à l’image de la société capitaliste et de l’idéologie libérale. Il suffit d’avoir tenté des recours collectifs devant la Régie du logement pour se rendre compte que les associations de locataires d’immeuble n’ont aucune légitimité devant ce tribunal. Contrairement à ce qui prévaut dans le monde du travail, les propriétaires n’ont pas non plus l’obligation de négocier avec elles. La création de telles associations est pourtant essentielle si nous souhaitons voir la lutte être prise en charge par les locataires eux et elles-mêmes. Là où elles existent, les associations jouent parfois un rôle de premier plan dans l’affirmation d’un contre-pouvoir, certes embryonnaire mais néanmoins efficace, face aux diktats des proprios.

Le mouvement pour le droit au logement pourrait aller beaucoup plus loin dans l’organisation rue par rue, bloc par bloc, propriétaire par propriétaire, pour favoriser la création de comités auto-organisés de locataires fédérés entre eux à travers des associations au niveau du quartier ou de la municipalité. Les comités logement actuels peuvent jouer un rôle premier plan dans cette stratégie d’organisation de type « syndicale », tout particulièrement lorsque la taille des immeubles permet difficilement la création d’une association.

Si le fait de prendre conscience de ses « intérêts » à court terme (ex : payer le moins cher possible pour des logements dans le meilleur état possible) va généralement de soi pour celles et ceux qui choisissent de se regrouper, on ne peut en dire autant des intérêts à long terme des locataires (se débarrasser des propriétaires et socialiser les logements). Pour reprendre des catégories élaborées par d’autres, le passage d’une conscience « trade-unioniste » vers une conscience « révolutionnaire » n’est pas une mince tâche. Bien des étapes doivent être franchies avant que cette transition soit envisageable concrètement. À l’heure actuelle, les locataires sont pour la plupart prisonnier-e-s de la précarité de leur statut. De plus en plus pauvres, bien des locataires sont pris à la gorge par les hausses de loyer à répétition, sont victimes de harcèlement, vivent sous la menace des reprises de possession ou des évictions pour non-paiement de loyer. Qui plus est, la relation entre propriétaire et locataire, tout comme celle entre patrons et salarié-e-s sur un lieu de travail non-syndiqué, reste avant tout individuelle. Difficile de créer un vrai rapport de force dans ces conditions. Il faut commencer par donner confiance aux locataires dans leur propre pouvoir d’action. Pourquoi ne pas consacrer davantage de temps à la mobilisation et au soutien des locataires qui souhaitent s’organiser? Ce choix, plus facile à dire qu’à faire, aura d’autres retombées positives, dont celle de freiner la bureaucratisation croissante de nos associations. Notre pratique et nos revendications doivent nous permettre d’ouvrir cette porte, mais également nous amener à une remise en cause du pouvoir des propriétaires, de l’État et du système de justice en proposant les contours d’un projet de société égalitaire, solidaire et libertaire.

Michel Nestor
(Québec)

Notes:

(1) Front d’action populaire en réaménagement urbain
(2) Regroupement des comités logement et association de locataires du Québec
(3) Bien des locataires confondent le travail des comités logement avec celui… de la Régie du logement!
(4) N’étant pas un partisan de la politique du « pire », je pense qu’il faut défendre avec acharnement les rares droits que nous avons face aux attaques de l’État et des associations de propriétaires. De même, je pense qu’il faut voir d’un bon oeil les mesures qui peuvent entraver la capacité des proprios à faire toujours plus de profits (ex : contrôle obligatoire des loyers) ou celles qui nous permettent de respirer un peu plus librement du point de vue financier (les logements sociaux).

(Publié pour la première fois dans le numéro 6 de Ruptures, mai 2006)