samedi 24 janvier 2009

Chronique historique: Comment créer des héros artificiels


Eduardo Abaroa

Chaque 23 mars, les autorités boliviennes se réunissent en grande pompe pour vénérer des cendres sacrées. Fonctionnaires, militaires et anciens combattants défilent dans les rues au son de l'hymne national. Tous affichent un visage ému alors que le président récite un discours sur l'héroïque Eduardo Abaroa, héros national.

Il n'y a pourtant pas de quoi célébrer. En y regardant de plus prêt, on constate que l'histoire de la Bolivie est une succession de défaites militaires humiliantes. Le territoire bolivien n'est qu'une fraction de celle qu'elle à déjà été, d'immenses morceaux ayant été annexés par tous ses voisins (Chili, Péru, Paraguay et Brésil).

Eduardo Abaroa était officier d'un groupe de miliciens dans la guerre du Pacifique (1879). Il est mort en défendant un pont dans une bataille perdue d'avance contre l'armée Chilienne.

Alors pourquoi s'exciter le poil? Pourquoi tout l'appareil d'état s'ébranle dans des célébrations grandioses pour célébrer les cendres d'un looser comme s'il s'agissait d'une relique chrétienne?

Sommé de se rendre, Abaroa a répondu du tac au tac "¿Rendirme? ¡Que se rinda su abuela, carajo!" L'équivalent en Québécois de "Me rendre? Que ta grand-mère se rende plutôt, koliss!". Il fut abattu peu après et devint martyr de la nation.

Il y a un détail que les autorités boliviennes prennent soin d'occulter. Eduardo était ingénieur dans les mines d'argent. Le motif même de la guerre du Pacifique était les dites mines. Donc, en combattant contre le Chili, Eduardo combattait aussi un peu pour... son propre intérêt. La patrie avait pas grand chose à voir la dedans.

Eduardo meurt, le Chili gagne, la Bolivie sèche. Fin de l’histoire. Mais la question reste, pourquoi célébrer Abaroa? Simple! Un héros stimule la fierté nationale. Et qu'est-ce qu'on fait quand on a personne pour encourager l'amour de la patrie? On invente un héros!

Alors si vous trouvez Eduardo Abaroa pathétique, son sacrifice insensé et sa récupération par l'armée malhonnête, rappelez vous que nous ne sommes pas en reste au Canada. Nous avons aussi un pathétique nullard révéré comme un héros. Nous avons Dollard des Ormeaux.



Dollard des Ormeaux

Admettons le d'entrée de jeu, la balloune des Ormeaux est dégonflée depuis un bon bout de temps déjà. Il fut pourtant une époque ou le clergé et l'état faisaient l'apologie du personnage. N'empêche que de nombreuses statues existent encore pour nous rappeler son combat épique pour protéger la Nouvelle-France des peaux rouges.

Dollard était un jeune homme de 22 ans lorsqu'il arriva en Nouvelle-France en 1658. À la tête d'un petit corps expéditionnaire de 18 Français et de quelques dizaines d'Hurons, il s'oppose à 700 Iroquois. C'est la bataille de Long Sault. Les Français se retrouvent prisonnier dans une fortification de fortune sans eau potable. Le calvaire sera de courte durée puisqu'un baril de poudre explose par accident, tuant Dollard sur le coup. Les assiégés doivent se rendre.


À l'époque ou l'église contrôlait l'éducation au Québec l'interprétation du personnage ne faisait pas de doute. Dollard était mort héroïquement. Même en étant une défaite, les 80 morts causés par les Français aurait retardé l'assaut des Iroquois sur Montréal et sauvé la colonie. Ça, c'est la version "Contes de fée".

Une autre lecture toutefois, plus récente, fait état d'une autre réalité. Celle-ci raconte que Dollard a confronté les Iroquois pour faire main basse sur un convoi de fourrure. Après avoir déclenché les hostilités en tuant le négociateur amérindien, Dollard serait responsable de l'utilisation maladroite du baril de poudre ayant causé sa mort et la défaite de son camp. Selon cette version Dollar serait donc un voleur maladroit et peu diplomate.



L'art à la rescousse de la vérité

Si vous êtes amateur d'art, dirigez-vous au Musée des Beaux Arts du Québec pour l'exposition « Je me souviens ». Quand l’art imagine l’histoire. Parmi les oeuvres permanentes, on retrouve des pièces de la collection Intrus qui sont des oeuvres d'art contemporaines en lien avec les oeuvres plus anciennes. Vous pourrez y voir une touche de subversion particulièrement éclatante.



En effet, l'une des oeuvres représente un obèse nu toisant du regard une représentation sur toile de Dollard des Ormeaux. Un air de défi au visage, la statue ventripotente semble se moquer du faux-héros. Après tout, il n'existe pas de représentation de Dollard qui ait survécu aux épreuves du temps. Qui sait, peut être que le véritable Dollard était plutôt petit, moche et gras? La représentation physique habituelle du jeune coq les cheveux au vent est-elle aussi le résultat d'une interprétation du passé! Une interprétation probablement erronée!

Quelle est la leçon à retenir de tout ça? Ça semble assez clair. Le nationalisme est une farce. Il n'a d'autre intérêt que de vous mettre dans une clique opposée à d'autres cliques. Les dirigeants des pays ont tout intérêt à bâtir des barrières artificielles en entretenant l'illusion d'une fierté nationale. Ceux-ci utilisent de sois-disant héros pour créer cette fierté. Dés héros fabriqués de toute pièce par un ensemble qui se révèle mensonger. Voilà pour la rhétorique libertaire.

2 commentaires:

Farruco a dit…

Le nationalisme est la pire des paresses effectivement. Les nationalistes aiment la terre où ils/elles sont néEs, mais ne se demandent pas pourquoi.
Au fond, ils/elles aiment et sont surtout fierEs de quelque chose sur quoi elles/ils n'ont eu aucun contrôle. Cette fierté, elle est rattaché à un lieu de naissance, mais qui peut dire qu'il/elle a choisi son lieu de naissance?
Peut-être que le "rappeur" Sir Pathétik croit que, lorsqu'il était tout bébé, il a dit à la cygogne: "Québec, c'est l'endroit que j'ai choisi".
Pis encore, le nationalisme est une fierté qui n'entraîne que du négatif. Ça fait en sorte que les gens se haïssent juste parce qu'il y a une frontière artficielle entre eux. Ça entraîne des partis politiques à parler de valeurs communes à touTEs celles/ceux qui vivent à l'intérieur de cette même frontière imaginaire. Comme je le dis souvent, mes valeurs sont personnelles et se rapprochent pas mal plus à celles d'autonomes grecques, d'indigènes du Chiapas ou d'antifascistes allemands. Je ne me sentirai jamais proche d'un PKP ou d'un Démarais, même si nous vivons dans une même province.
Finalement, le nationalisme travaille fort à la destruction d'une conscience de classe. Face à cette prise de conscience, les nationalistes mettent de l'avant une belle grande unité corporatiste qui ne tient pas la route. Exemple: "Je n'accepterai pas de travailler au salaire minimum pour Home Depot, mais je serai fierE de bosser pour le même salaire chez Rona!"
Voyez l'ironie?

Nicolas a dit…

Spéciale dédicace pour Farruco (texte d'un chansonnier que tu semble particulièrement affectionner...)

La ballade des gens qui sont nés quelque part


C'est vrai qu'ils sont plaisant tous ces petits villages
Tous ces bourg ces hameaux ces lieux-dits ces cités
Avec leurs château forts leurs églises leurs plages
Ils n'ont qu'un seul point faible et c'est d'être habités
Et c'est d'être habités par des gens qui regardent
Le reste avec mépris du haut de leurs remparts
La race des chauvins des porteurs de cocardes
Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part
Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part.

Maudits soient ces enfants de leur mère patrie
Empalés une fois pour toute sur leur clocher
Qui vous montrent leurs tours leurs musées leur mairie
Vous font voir du pays natal jusqu'à loucher
Qu'ils sortent de Paris ou de Rome ou de Sète
Ou du diable vauvert ou de Zanzibar
Ou même de Montcuq il s'en flattent mazette
Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part
Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part.

Le sable dans lequel douillettes leurs autruches
Enfouissent la tête on trouve pas plus fin
Quand à l'air qu'ils emploient pour gonfler leurs baudruches
Leurs bulles de savon c'est du soufle divin
Et petit à petit les voilà qui se montent
Le cou jusqu'à penser que le crottin fait par
Leurs chevaux même en bois rend jaloux tout le monde
Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part
Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part.

C'est pas un lieu commun celui de leur connaissance
Ils plaignent de tout coeur les pauvres malchanceux
Les petis maladroits qui n'eurent pas la présence
La présence d'esprit de voir le jour chez eux
Quand sonne le tocsin sur leur bonheur précaire
Contre les étrangers tous plus ou moins barbares
Ils sortent de leur trou pour mourir à la guerre
Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part
Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part.

Mon dieu qu'il ferait bon sur la terre des hommes

Si on y rencontrait cette race incongrue
Cette race importune et qui partout foisonne
La race des gens du terroir des gens du cru
Que la vie serait belle en toutes circonstances
Si vous n'aviez tiré du néant tous ces jobards
Preuve peut-être bien de votre inexistance
Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part
Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part.