Loin d’être en soi une utopie, les sociétés sans classes ont été le cadre vécu par l’humanité, de son émergence il y a 120 000 ans, jusqu’à l’invention de l’agriculture (8 000 ans avant notre ère) et jusqu’à aujourd’hui pour quelques populations en Amazonie ou en Océanie. « L’histoire des peuples sans histoire c’est […] l’histoire de leur lutte contre l’État » expliquait l’anthropologue Pierre Clastres en 1974 dans La société contre l’État. Mais ces sociétés ne sont pas pour autant émancipées au sens où, comme il l’écrivait, le propre de la société primitive « c’est d’exercer un pouvoir absolu et complet sur tout ce qui la compose, c’est d’interdire l’autonomie de l’un quelconque des sous-ensembles qui la constituent », au nom d’un ordre sacré que l’humanité ne peut modifier.
Quand, avec l’ère industrielle, le socialisme – anarchiste comme marxiste –, a esquissé le projet d’une société sans classes, il évoquait une société dans laquelle « le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous », comme l’écrit le Manifeste du parti communiste. La différence avec la société sans classes des chasseurs-cueilleurs est évidente.
Le projet socialiste – bien sûr nous ne parlons pas du projet du PS – repose sur la socialisation des moyens de production et d’échange. Avec la conversion des entreprises capitalistes en coopératives ouvrières, il deviendra impossible pour quelque individu que ce soit de faire fortune en s’appropriant la richesse créée par la collectivité des travailleuses et des travailleurs. Il en résultera l’abolition de la classe capitaliste et l’impossibilité qu’une minorité impose sa domination sur la société. D’autres effets seront induits par une telle mutation : l’organisation politique de la société sera profondément modifiée, avec le remplacement de l’État par une démocratie construite à partir de la base de la société.
Ensuite, la fin de la course à l’enrichissement individuel permettra de réorienter les objectifs de production vers la satisfaction des besoins de toutes et de tous, et incitera au développement d’une société solidaire. Malgré tout, il subsistera sans doute au sein de la société des groupes sociaux différentiables. Il sera alors nécessaire d’en redéfinir les frontières en réorganisant les métiers et les services publics et en développant les savoirs et les formations, ceci afin de mettre fin à l’inégalité entre urbains et ruraux, ou travailleurs manuels et intellectuels, comme l’a suggéré Cornelius Castoriadis. Il ne s’agit pas qu’une fois la classe capitaliste disparue, se forme une classe de « techniciens » ingénieurs, intellectuels ou savants, qui piloteraient la société !
Pour finir, une société sans classe n’est pas nécessairement une société sans système de domination – le racisme et le patriarcat par exemple ne disparaîtront pas par enchantement ! Mais le système capitaliste en tire profit et les encourage. Quand il aura disparu, un grand pas aura été franchi !
Un texte de Jacques Dubart paru dans le numéro d'octobre 2008 du mensuel Alternative libertaire.
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