samedi 16 février 2008

Classiques de la subversion : « La Société du Spectacle »

Si l’adhésion obtuse au situationnisme conduit généralement au ridicule, les pro-situs qui sévissent chez les « autonomes » en étant la preuve vivante, on ne peut nier que les problématiques abordées par le situationnisme sont intéressantes. C’est l’objet du maître ouvrage de Guy Debord, La société du spectacle, paru quelques mois avant 1968, et qui reste attaché à la mémoire de Mai.

Debord développe le concept de spectacle, qui est la mise en scène de phénomènes sociaux pour fasciner – et aliéner – le prolétariat. Le spectacle est justification de la société, mais aussi manipulation par le rapport inégal qu’il l’introduit. Le spectacle est la preuve que les systèmes de domination capitaliste et « soviétique » sont similaires. La marchandisation de la société se nourrit du spectacle et vice-versa. Le rôle des médias dans l’aliénation, et surtout de la télévision, sont fortement questionnés.

Le principal obstacle à la lecture de La Société du spectacle est son écriture volontairement hermétique. Le livre est écrit sous forme d’aphorismes, à la façon de Nietzsche. Les aphorismes sont secs voir cryptiques, et la plupart des thèses gagneraient à être argumentés. De même, Debord ne donne pas de définition nette et précise du spectacle en tant que concept, alors que cette notion est au centre de son édifice théorique.

C’est sans doute la raison pour laquelle La Société du spectacle laisse le lecteur ou la lectrice un peu sur sa faim, et en limite fortement la portée. Est-ce à mettre en parallèle avec le caractère superficiel du militantisme situationniste, limité à un activisme slogandaire et à de sympathiques farces un peu potaches ?

Pour les situationnistes, la révolution ne passe plus par les modèles classiques d’organisation du prolétariat. Il s’agit en priorité d’attaquer le spectacle, et de mener un combat au niveau des symboles. Avec le primat donné à la lutte idéologique, Debord s’écarte des postulats de la gauche révolutionnaire (léniniste ou anarchiste) qui considère que la lutte économique et sociale est déterminante en dernière instance. Cela peut conduire à sous-estimer le poids de la lutte entre le capital et le travail. Debord a cependant le mérite de poser des questions que souvent les révolutionnaires ne se posent pas.

• Guy Debord, La Société du spectacle. 1re édition Buchet-chastel, 1967. Réédition Gallimard, 1992. (Texte intégral en ligne)

Un texte de Matthijs paru dans le no 168 du mensuel Alternative libertaire (décembre 2007).

3 commentaires:

Anonyme a dit…

La raison pour laquelle vous vous désolez du fait que les situationnistes (situationnisME n'existe pas) aient été trop portés sur la réflexion théorique et pas assez engagés directement sur le terrain politique est probablement dû à votre point de vue de militant politique. Il faut voir les situs comme héritiers du surréalisme plus que de l'anarchisme (encore que ces trois mouvements tirent leur énergie dans la même pulsion de liberté totale.)
L'"utopie" situationniste, comme celle des surréalistes, est le réenchantement du quotidien, la réappropriation du pouvoir créateur, la re-connaissance de sa propre subjectivité par l'individu. Aucune maturité n'est possible sans la descente au fond de soi ; aucune révolution n'est possible sans cette maturité. Et cette maturité est, jusqu'à un certain point, impossible sans une révolution... "Transformer le monde, a dit Marx; Changer la vie, a dit Rimbault ; pour nous ces deux mots d'ordre n'en font qu'un" -André Breton.
La thèse principale des situationnistes n'est pas l'analyse du pouvoir et de l'aliénation moderne mais le dépassement de l'art dans la vie quotidienne : Dada ayant démontré l'inutilité et la futilité de "l'art pour l'art", le rôle des surréalistes fût de faire servir les moyens artistiques à la découverte des terres inexplorées de l'esprit humain. Pour les situs, l'art cesse d'évoluer à ce moment et reste coïncé à cette étape, pour la raison très simple que la société capitaliste (ou toute société autoritaire) ne permet pas de faire passer la poésie dans la vie quotidienne.(de là toutes ces écoles "néo" qui répètent indéfiniment toutes les découvertes artistiques des années 1910 ; minimalisme, conceptuel, hyperréalisme...toutes des formes d'art dont les théories sont, à l'analyse, plutôt faibles) À partir de ce moment, l'art entre dans une phase de replis sur lui même et de répétition sénile.
C'est sous cet angle qu'il faut aborder l'internationale situationniste, et non du point de vue strictement politique.

Amicalement à vous

Alex

Nicolas a dit…

C'est vrai que l'IS fut d'abord une avant-garde artistique et il faut l'analyser sous cet angle. Mais se limiter à ce seul aspect serait réducteur. À partir du milieu des années 1960, l'IS est de moins en moins avant-garde artistique et de plus en plus avant-garde tout court (avec les travers désagréables du style artiste d'avant-garde).

Au niveau socio-politique, l'IS n'est pas très innovatrice. Il y a le concept de spectacle. Mais c'est pas mal tout. Tout le reste est un immense recyclage des thèses de la gauche communiste de l'entre deux guerres.

Oh, et en passant, je pense qu'il y a bel et bien un situationisme. Je sais que l'IS a décrété que ça n'existait pas mais c'est de la foutaise. Les héritiers de l'IS ont effectivement sclérosés la théorie critique qui est devenue idéologie (d'où le 'isme').

Anonyme a dit…

L'I.S est devenu plus politique à partir des années 60, en France, et en très grande partie sous l'influence de Debord et Vaneigem. En plusieurs autres endroits où l'I.S a fait des petits il y eu des liens avec l'art et avec certains mouvements artistiques (quelques fois un peu douteux, dont les situs parisiens ont eu à se séparer).
Je ne veux surtout pas défendre l'idée que l'I.S était un mouvement artistique en tant que tel. Il y a déjà cette tendance à faire cette erreur chez les artistes d'aujourd'hui, qui voient souvent dans l'I.S un mouvement de performeurs du type Fluxus... Quant aux "travers désagréables du style artiste d'avant garde", c'est une question de goût.
Et j'admet qu'on peut appeller situationniSME l'idéologie figée des debordistes et vaneigemistes qui répètent à l'infini les anciennes thèses avec d'autres mots.
Mais il faut au moins admettre que si l'I.S remâche du marxisme comme tu le dis, on ne peut pas nier le rôle qu'ont eus les situs dans les révoltes de mai, sans vouloir énoncer un cliché.
"Transformer le monde, changer la vie", c'est un peu la clé pour comprendre les "avant-gardes", révolutionner le monde et l'esprit à la fois.
Alex