La stratégie des contre-pouvoirs s’oppose à l’illusion d’une transformation du capitalisme, qui se dirigerait « en douceur » vers le socialisme. Elle s’oppose également à celle d’une prise de pouvoir par un parti prétendant « changer la société » en se substituant à l’action autonome des classes laborieuses.
La stratégie des contre-pouvoirs se démarque d’une vision romantique de la révolution, qui se limiterait à un moment où tout basculerait et où tout se réaliserait. Elle affirme que si les travailleuses et les travailleurs ne construisent pas dès maintenant, dans leurs luttes, des embryons de la société future, la réalisation du communisme au lendemain de la révolution sera d’autant plus problématique.
Pour développer des contre-pouvoirs, il faut s’affranchir de deux écueils. Primo, en laissant les associations et les syndicats, chacun sur son « créneau », défendre de façon parcellaire des revendications catégorielles, les classes sociales dominées se condamnent à des luttes défensives qui jamais ne changent fondamentalement leur situation. Secundo, en se liant à un parti politique quel qu’il soit, le mouvement social est paralysé dès lors que celui-ci parvient au pouvoir. Et avec lui, c’est l’ensemble des classes dominées qui est paralysé, comme la France l’a expérimenté en 1981 et en 1997 avec le PS et le PCF au gouvernement. La stratégie de contre-pouvoir préserve l’indépendance de classe quelle que soit la couleur et la nature du gouvernement. Construire des contre-pouvoirs au sein du capitalisme, c’est certes imposer, par les luttes collectives, un rapport de force favorable aux classes dominées. Mais c’est aussi organiser de larges secteurs des classes dominées au sein d’associations et/ou de syndicats autogérés et porteurs d’un projet de transformation sociale.
Cette logique permet d’une part de donner un sens politique aux luttes quotidiennes, et d’autre part de reconstruire un rapport de force favorable. Elle favorise l’éclosion de multiples expérimentations alternatives, économiques, culturelles, sociales, la constitution de comités de quartiers capables d’esquisser une autre gestion politique à la base de la société… Cette stratégie permet aux classes dominées de se réapproprier leur propre identité de classe, leurs propres aspirations, leur propre culture.
Les contre-pouvoirs d’aujourd’hui permettent de préparer ce que toute période révolutionnaire connaît : le double pouvoir mettant en concurrence le pouvoir populaire et le pouvoir d’État. En se généralisant, à mesure que les conflits sociaux s’aiguisent, les contre-pouvoirs acquièrent une forte légitimité au sein de la société, jusqu’à incarner une alternative aux institutions capitalistes et permettre qu’elles se désagrègent.
Texte de Jacques Dubart
Publié dans Alternative Libertaire no 168 (déc. 2007)
3 commentaires:
Dans une certaine mesure, refuser de s'aligner sur un parti politique évite de plonger dans l'un ou l'autre des écueils exposés dans l'article de l'Alternative libertaire. Mais en refusant de joindre le politique, le "contre-pouvoir" suggéré fait échec à sa mission fondatrice. En effet, si le "contre-pouvoir" vise justement à contrer le pouvoir, il doit s'exercer dans la sphère politique car c'est là l'espace du pouvoir. L'écueil no. 2 doit être évité autrement.
Le problème est propre à l'idéal libertaire même selon moi. C'est parce qu'on s'oppose au pouvoir qu'on n'ose pas entrer dans la course. Mais au fond, quand on y creuse un peu, c'est qu'on n'est pas certain de nous-mêmes, parce que l'on craint, au fond de nous-mêmes, que sommeille une bête à l'ego aussi totalitaire que ceux que nous combattons.
Cette dissociation du politique a sa place mais dans une certaine limite seulement. Parce que se faire "contre-pouvoir" en n'y participant pas, c'est jouer le jeu des totalitaires qui sont satisfaits JUSTEMENT de ce revers des circonstances. Ainsi sortis de l'arène politique, les libertaires ne critiquent que de l'extérieur les actes des gouvernants. Or, c'est se ranger au même rang que les citoyens, un rang que les totalitaires veulent inférieur et soumis au pouvoir des gouvernants.
Ce que j'expose ici comme idée est bien sur rapide, froid, presque encore congelé. Ça mériterait d'être parfaitement tiédi, assaisonné, cuit puis servi dans de beaux contenants. Excusez donc SV la forme tablo-hideuse employée pour avancer mes idées.
Pour revenir à la bête qui sommeille. Pourquoi cet évitement continuel de la question de ce que devrait être un bon gouvernement au lendemain de l'éveil des consciences, de la maturité politique des individus... oh je me prends à penser à autre chose... donc le bon gouvernement devrait ressembler à quoi? Évacuez-vous complètement l'usage de la force et de la contrainte? Est-ce que cette conception [utopiste] repose sur la croyance ferme en la perfectibilité de l'être humain?
Merci!
À quand une chronique sur le pouvoir dual ou double-pouvoir. Je serais curieux de connaître la filiation théorique de ce concept!!! Vers la révolution sociale! C'est sûr que c'est plus long que la seule révolution politique mais ça nettoie en profondeur!
De ce que j'en comprend, l'idée de double pouvoir a une filiation léniniste. Voir Wikipedia (en anglais).
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