vendredi 9 novembre 2007

Retour sur la conférence-débat de Québec solidaire

Hier, l'association de Taschereau de Québec solidaire organisait un débat-conférence sur le thème de l'impact pour la gauche qu'aura l'élection de Pauline Marois à la tête du PQ. J'y étais invité comme paneliste, avec Serge Roy et Lorainne Guay (finalement personne de SPQ-Libre ne s'est pointé). Une quarantaine de personnes étaient présentes.

Les trois panelistes étaient des gauchistes fini issus des mouvements sociaux et partageants plus ou moins la même ligne. Je suis un anarchiste assez pragmatique pour être impliqué à fond dans le FRAPRU, Serge Roy est un ancien (?) anarchiste assez pragmatique pour s'être impliqué à fond dans son syndicat (jusqu'à assumer la présidence nationale du SFPQ avant sa retraite) et Lorainne Guay est une ancienne ML qui continue de s'impliquer dans le mouvement communautaire et D'abord Solidaire (un groupe de réflexion de gauche "non-partisan").

Honnetement, le débat n'a pas vraiment levé. Aucun des panelistes n'a fait assaut d'électoralisme, tous ont reconnu et défendu l'autonomie absolue des mouvements sociaux de même que leur caractère profondément politique, tous ont reconnu que les luttes sociales sont essentielles pour faire bouger les choses et que ce n'est pas d'en haut, par le Parlement, qu'on va réellement pouvoir faire changer les choses. Tous s'entendait même pour dire qu'en l'état, la plate-forme actuelle de Québec solidaire n'était pas vraiment intéressante et que le risque était réel que le groupe ne devienne qu'un parti «comme les autres» s'il ne fait que se présenter aux élections! Les désaccords portaient essentiellement sur la nécessité ou non de militer activement dans un parti de gauche aujourd'hui (Serge Roy étant pour, les deux autres n'étant intéressé ni par QS ni même par la forme parti) et sur l'appréciation du PQ (Lorraine le plaçant dans la catégorie sociale-démocrate (avec QS!), les deux autres le plaçant à droite). Tout le reste n'était que nuance.

Voici quand même un résumé de ce que j'ai répondu aux questions posées par QS (je rappelle que j'intervenais d'abord à titre de militant du mouvement communautaire):

QS: Madame Marois tirait la conclusion suivante du résultat de son élection dans Charlevoix: « Il faudra écouter, comprendre, entendre. Nous pouvons devenir l'alternative ? ».
Ce serait quoi, selon vous, une politique alternative sous un gouvernement péquiste dirigé par Pauline Marois ? Peut-on lui faire confiance lorsqu’elle parle de social-démocratie renouvelée » ?


Moi ça me chicotte quand j’entends : « il faudra écouter, comprendre, entendre ». D’un côté, je me demande bien qui on veut écouter, qui on veut comprendre, qui on veut entendre. Tsé, il y a toute sorte de monde dehors, toute sorte d’opinions. D’un autre côté, je trouve que c’est anti-politique. La politique ce n’est pas seulement écouter, comprendre, entendre; c’est surtout parler, argumenter, convaincre. La société est traversée d’intérêts contradictoires. Le gouvernement prétend faire des arbitrages mais c’est impossible. Il faut choisir son camp. Et en général, ceux et celles qui nous parlent d’intérêt général, d’intérêt de la nation, c’est parce qu’ils ont choisi le camp des nantis. Même s’ils ne le disent pas, même si, des fois, ils n’osent même pas se l’avouer.

Qu’elle parle de « sociale-démocratie renouvelée » ce n’est pas bon signe. Ça m’allume une lumière rouge. En soit, ça ne veut strictement rien dire, ça fait très marketing, très « nouveau et amélioré ». Déjà, la sociale-démocratie est un concept extrêmement flou. Qu’est-ce qu’elle veut changer au juste, qu’est-ce qui ne fait pas son affaire? Est-ce que c’est la redistribution de la richesse? Est-ce que c’est l’universalité? Est-ce que c’est le côté social, le côté démocrate?

On m’a dit qu’au caucus, il n’y avait que deux députées qui défendaient la lutte à la pauvreté en général et le logement social en particulier. J’ai aussi cru comprendre que le PQ n’était plus pour le gel des frais de scolarité. Alors, non, je ne pense pas qu’on peut lui faire confiance.

QS: Peut-on parler d’une alternative aux politiques néolibérales du PLQ et de l’ADQ ?

Moi j’ai bien l’impression que la politique alternative du PQ ne sera qu’une question de style et de rythme. Le gouvernement va se gargariser de beaux principes, il y aura peut-être quelques mesures phares, mais ça va s’arrêter là. (je ne crache pas nécessairement sur les «mesures phares», les CPE, par exemple, sont un progrès certain, je dis juste que ce n'est pas suffisant pour parler d'alternative, ça ressemble plus à dorer la pilule)

Les députées « de gauche » vont nous recevoir, vont être très compréhensives mais vont nous expliquer gentiement qu’elles sont membres d’une coalition arc-en-ciel, que les ministres de droite sont pesants parce qu’ils ont les ministères économiques, que leur marge de manœuvre est réduite et patati et patata. À la limite, elles vont peut-être même nous demander de faire pression sur leurs collègues du conseil des ministres. Elles vont être pour la gratuité scolaire, mais après la souveraineté. Pour les HLM, mais après la souveraineté. Riez-pas. On m’a dit exactement ça durant la dernière campagne électorale!!!

Pour l’instant, ce n’est pas de politique alternative dont on peut parler mais de surenchère avec l’ADQ. Que ce soit sur l’identité, le nationalisme, l’économie. Il ne faudrait pas oublier non plus que le PQ a intégré la plupart des dogmes néolibéraux que partagent les autres partis. Que ce soit le déficit zéro, les baisses d’impôts, la tarification des services, les PPP, l’assouplissement des rigidités syndicales. Ils sont toute pour ça. Ils sont peut-être juste un peu moins zêlés que l’ADQ.

QS: L’arrivée de Pauline Marois change-t-elle la pertinence de l’existence de Québec Solidaire ? De son projet politique ? Son arrivée devrait-elle impliquer des changements en terme de stratégie ou de tactique électorale ?

Non. Dans une perspective de gauche politique (i.e. électorale), le PQ n’étant pas un parti de gauche, la pertinence d’un «vrai» parti de gauche comme QS demeure. Maintenant, quand à savoir si le projet de QS est pertinent, ça c’est une autre histoire!

Quand je regarde les documents et les interventions officielles de QS je ne peux pas m’empêcher de penser « tout ça pour ça? ». Ça me semble d'un réformisme absolument plat et pas radical du tout. Tant qu’à se faire détester et ridiculiser à ce point là par à peu près tout le monde, ça n'aurait pas pu être pour de quoi d’un peu plus… transcendant?

Pour ce qui est de la stratégie et de la tactique électorale, tout ce que je peux dire c’est qu’elle me semble plutôt … électoraliste. Et assez traditionnelle en plus. Il me semble qu’à ce jeu là, vous partez déjà perdants. Vous ne serez jamais capable d’accoter les moyens humains et financiers des grands partis. Il faudrait peut-être repenser tout ça un peu.

Il faut savoir choisir ses terrains. On a pas la même force sur tous les terrains. Quand on y pense, 3, 4, 5% des voix aux élections, c'est insignifiant. On ne fait trembler personne avec ça. Par contre, réussir à faire descendre dans la rue 3, 4, 5% des gens, ça c'est significatif. Avec ça on peut mettre n'importe quel gouvernement à genoux. C'est un pensez y bien.

Il faudrait peut-être aussi dire pourquoi ça prendrait des députés de QS à l’Assemblée nationale. Pour faire quoi au juste?

À mon humble avis, la gauche laisse trop de lousse aux vieux partis. En refusant de mordre et d’être franchement critique, en voulant à tout prix être respectable et clean, on joue le jeu des populistes. On pousse les déçus et les frustrés du statu quo dans les bras de l’ADQ.

QS: Un PQ avec Pauline Marois à sa tête modifiera-t-il le rapport de force en faveur de la gauche et des couches populaires ? Cela implique-t-il un changement d’attitude de la part des mouvements sociaux à son égard ?

Non. De toute façon, les mouvements sociaux ne devraient jamais d'attitude, peux importe qui est à la tête des partis. En fait la situation avec le PQ n’a jamais été aussi pire. La dernière fois qu’ils étaient dans l’opposition, avec Parizeau, ils avaient un peu été les portes-paroles de la gauche sociale au Parlement. Il avait été possible d’influer sur le programme du parti avant même qu’il ne soit écrit. Ils étaient prêts à nous recevoir et voulaient sincèrement notre avis.

Maitenant, c’est pire que pire. À part quelques députées, ils faut faire des pieds et des mains pour être reçu. Et ils se foutent de notre gueule. Certains nous voient même comme des ennemis personnels (Nicolas Girard, par exemple, n'a toujours pas digéré l'occupation de sa permanence par le FRAPRU... il est persuadé que c'était télécommandé par QS!). D’autres sont sûr qu’on va leur donner le « baiser de la mort » s’ils nous écoutent et qu’ils reprennent certaines de nos revendications. C’est pas mêlant, au moment où l’on se parle il y a plus d’écoute et d’ouverture du côté de l’ADQ! (Il faut dire que l'ADQ, contrairement au PQ, a tout à gagner à montrer un peu de sensibilité «sociale» et que eux ne se feront sans doute jamais traiter de gô-gôche s'ils reprennent certaines revendications du mouvement communautaire)

En fait, dans le cas précis du FRAPRU, ce n'est pas tant l'arrivée de Pauline Marois au PQ qui change la donne que le passage de certaines figures de proue du mouvement (tant au niveau local que national) dans le camp de Québec solidaire. L'une des forces du FRAPRU était son autonomie totale. Étant dirigé par des anciens ML, personne n'avait jamais songé à l'associer au PQ. Les libéraux savaient pertinement que quand on manifestait contre eux, ce n'était pas téléguidé et qu'on manifestait contre tout le monde anyway. Sauf que là le doute s'est installé et plusieurs ministres utilisent la militance personnelle de certains de nos militantEs pour essayer de politiser le mouvement et de nous peinturer dans un coin. Le moins que l'on puisse dire c'est que l'écoute et la crédibilité a pris une débarque (c'est loin, très loin, d'être le seul facteur, ni même le plus important mais ça a joué). L’autonomie, donc, n'est pas qu'une vertue théorique.

À mon humble avis, il n'y a pas de «valeur ajoutée» au fait de présenter des militantEs connus des mouvements sociaux aux élections. Je demeure persuadé qu'ils sont plus utile pour la gauche en général et les classes populaires dans les mouvements que comme candidatEs ou militantEs d'un parti. Les périodes électorales sont très importantes pour des groupes comme le FRAPRU. C'est l'occasion de multiplier les pressions dans le but d'obtenir des engagements des partis, engagements avec lesquels on va pouvoir les écoeurer par la suite. Or, on peut pas faire les deux, c'est pas crédible et trop exigeant. Personnellement, mon choix est fait, c'est l’action pas les élections.

Juste un dernier détail sur Pauline Marois au PQ. Il y a un tout petit avantage. En remettant aux calendes grecques le référendum, il sera plus difficile pour les nationalistes d'utiliser la question nationale pour refuser de s'occuper de la question sociale... On va peut-être arrêter de se faire dire «après l'élection», «après le référendum», «après l'indépendance»...

QS: À l’heure de la tenue de la Commission Bouchard-Taylor et du débat sur l’identité nationale québécoise, l’arrivée de Pauline Marois apporte-t-elle un éclairage nouveau au projet indépentiste ?

Oui, avec ces propositions ça devient un projet strictement nationaliste. C'est un grand retour en arrière. Il n’y a pas de perspective de « libération ». Ça fait longtemps qu'il n'y a plus de perspective de libération, ça fait longtemps que les péquistes veulent faire la souveraineté pour «être normal». Mais là, c'est clair: c'est juste du nationalisme. Et du nationalisme ethnique en plus.

La commission nous montre surtout la quantité phénoménale de nationalistes réactionnaires. J’aurais jamais cru, mais les gens sont beaucoup plus perméables au nationalisme ethnique de droite que prévu. Et ça c'est inquiétant.

Y’a un ostie de trouble au Québec avec la conscience de classe. On est mêlé pas à peu près. Les gens franchissent des lignes sans s'en rendre compte. Le PQ l'a bien démontré avec son projet de citoyenneté québécoise. Un paquet de «spécialistes», d'élus et d'ex-ministre ont planchés là dessus. Et ils n'avaient même pas vu que ce serait inadmissible, à cause de son contenu de classe, pour certains des appuis les plus solides du PQ. Heille, quand les présidentEs de la CSN et de la FTQ (qui sont pourtant tout deux nationalistes) sont obligé de dire dans les médias «ça passe pas», c'est que tu as franchi une ligne pas à peu près. Et ce n’est pas en parlant de « citoyens » à tout bout de champ qu’on va régler ça!!!

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Cynique, mais lucide!

Nicolas a dit…

Comment ça cynique?

Anonyme a dit…

Je me suis trompé de mot. Je voulais plutôt dire pessimiste.

Anonyme a dit…

Entièrement d'accord avec toute ton analyse. Le parti Québec Solidaire me semble déjà prêt à toute les concessions, à toutes les stratégies électoralistes. Faut pas compter sur eux et c'est très dommage qu'une partie de la gauche (la vraie gauche) soit détournée par cette organisation.

Alex