Avec les années qui passent, le souvenir du cauchemar totalitaire des «démocraties populaires» d'Europe de l'est s'estompe. Depuis quelques années, de nombreux films présentent plutôt les dictatures «communistes» d'avant la chute du mur de Berlin sous un jour presque positif, avec une certaine nostalgie romantique. La vie des autres ne mange pas de ce pain là. Ni propagande libérale, ni nostalgie sympathique, le film dénonce le travestissement des idéaux de gauche et essaie de dépeindre le cauchemar du «communisme policier» en s'attardant, un peu comme les romans de Koestler ou d'Orwell, sur les activités de surveillance de la Stasi (la police secrète d'Allemagne de l'Est). Un grand film (qui a d'ailleurs gagné un nombre impressionnant de prix un peu partout).
En 1984, à une époque où la chute du mur était inimaginable, une équipe de la Stasi doit commencer la surveillance d'un couple d'artistes pourtant tout ce qu'il y a de plus «communistes» et fidèles au régime. C'est le capitaine Gerd Wiesler, un policier zélé et inconditionnel du régime, qui est en charge. Cette mission de surveillance ouvre petit à petit les yeux du capitaine qui se met à douter du bienfondé de la mission et du régime dont il est sensé incarner «le bouclier et l'épée» et qui est de plus en plus rongé par les ambitions personnelles et la corruption. Voilà un rouage de l'État qui s'humanise tranquillement pas vite. En parallèle, les «surveillés» se mettent aussi à douter et en viennent à flirter avec la dissidence. On assiste ainsi à une fable sur la dissolution de l'intérieur d'un régime totalitaire.
Tout le film se situe dans les hautes sphères de la société est-allemande. On voit bien que cette société est une société de classe, avec ses puissantEs, ses exécutantEs et ses dominéEs. En même temps, c'est une société de classe différente de la notre, la source du pouvoir ne vient pas du capital mais de l'État. Bref, un capitalisme d'État avec sa hiérarchie implacable, capable de broyer n'importe qui, incluant des membres de l'élite. En même temps, pour une fois, on ne nous vante pas les joyeuses démocraties libérales. En effet, l'après chute du mur (brièvement abordé à la fin) est certes présenté comme une libération des esprits mais les structures de classe reste intactes: Les trous de cul d'hier sont encore trous de cul et l'élite est encore l'élite.
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Petite parenthèse, qui ne change rien au film mais qui est d'une superbe ironie: il semble que l'acteur qui incarne le flic de la Stasi était un dissident à l'époque où ce situe le film et qu'il aurait été lui aussi espionné par sa femme... C'est ce qu'il a maintenu jusqu'à la fin de ses jours --il est mort récemment d'un cancer-- même s'il n'a pas pu amener de preuves formelles lors d'un procès qu'elle lui a intenté.
Autre parenthèse, tout est filmé in situ sauf les scènes à la prison de la Stasi. En effet, par rectitude historique, le directeur du musée qu'est devenu cette prison a refusé qu'on film en ses murs puisqu'on n'a jamais pu trouvé ne serait-ce qu'un seul agent de la Stasi ayant reviré sa veste. Si des agents avaient des doutes, cela ne les a jamais empêché de faire leur travail «avec professionnalisme» (sic!) jusqu'à la fin...
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La vie des autres, un film de Florian Henckel von Donnersmarck avec Ulrich Mühe, Sebastian Koch, Martina Gedeck et Ulrich Tukur. Allemagne, 2006, 137 minutes.
N.B.: La copie que j'ai eu au vidéo-club portait le titre anglais (The Life of Others) et était en allemand avec sous-titre en français. Je ne sais pas s'il existe une version française.
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