José Antonio Gutiérrez, anarcho-communiste du Chili, examine les effets, les différences et les similitudes des récents tremblements de terre survenus à Haïti et dans sont propre pays.
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I
Le Chili a été une fois de plus secoué par un tremblement de terre de magnitudes apocalyptiques, comme pour les tremblements de terre de 1938, de 1960 y de 1985. Avec la précision d’une montre suisse, le centre-sud du pays a été frappé tous les 25 ans par un mouvement sismique infligeant au pays une forte commotion. Le tremblement de terre qui avons vu le 27 février a été un des plus forts de ceux enregistrés dans toute l’histoire : 8,8 degrés sur l’échelle de Richter, 9 sur celle de Mercalli.
L’angoisse de ne rien savoir des personnes que nous aimons, de ne pas pouvoir communiquer avec elles, a suivi la destruction, l’absence d’informations et la mort ou la disparition de nombreuses personnes. L’impuissance est une ombre qui pèse sur le cœur. Le comptage des morts atteint déjà plus de 700 ; certains disent qu’on peut s’attendre à un chiffre final de 2.000 environ dès qu’on aura un tableau complet des dévastations. On ne sait encore rien des nombreuses provinces touchées dans les régions du Maule et de Bío Bío. Quand on enregistrait le chiffre de 300 morts, on a appris que le tsunami de Constitution avait causé le décès de quelques 350 habitants, ce qui a doublé le chiffre des morts. On sait que d’autres localités ont été également affectées par des tsunamis mais on ignore toujours la magnitude des dégâts causés.
Les séquelles que ce tremblement de terre va laisser sur le peuple chilien sont terribles. On estime qu’il y a, en ce moment, 2.000.0000 de personnes qui ont perdu leurs foyers et qui sont littéralement dans la rue. Nous nous référons à plus de 10% de la population, ce qui donne une idée de la tâche titanesque de reconstruction qu’il va falloir affronter.
II
on a beaucoup parlé des différences entre le Chili et Haïti, parce que le tremblement de terre dans la république sœur de la Caraïbe a atteint une quantité bien supérieure de morts (300.000) et des dégâts, tant en termes absolus que relatifs, bien plus importants. On a parlé de raisons géologiques et sismologiques, comme la plus forte profondeur de l’épicentre et l’aire où il a eu lieu, et elles ont, bien entendu, joué un rôle très claire. Mais surtout il faut chercher dans les raisons politiques, économiques et sociales l’explication du pourquoi un tremblement de terre de plus grande magnitude au Chili a eu un impact bien inférieur.
Il est certain que le Chili est un pays difficilement comparable à Haïti : il a une infrastructure très supérieur, une économie bien moins dépendante et moins atrophiée que la haïtienne (alors que Haïti est un cas extrême dans le contexte latino Amérique, le Chili jouit d’un demi siècle d’expériences de développement national avec des conséquences jusqu’à aujourd’hui) et une capacité de réponse institutionnelle face aux catastrophes naturelles, bien plus forte. La misère au Chili n’atteint pas des niveaux aussi sordides qu’à Haïti où la population des banlieues des villes doit faire usage de galettes de boue pour apaiser sa faim. Évidemment rien de cela n’est dû à une inexistante “supériorité” chilienne, que le chauvinisme créole exhibe à l’aide de comparaisons aussi fallacieuses que odieuses (le chilien est plus travailleur, est plus ingénieux, est plus comme ci et est plus comme ça), mais cela provient principalement des histoires différentes des deux républiques -histoires qui sont divergentes même à l’époque coloniale, outre le fait que le Chili n’a pas été transformé en un pays plantation ou un pays d’assemblage de pièces (maquila), et n’a pas été directement occupé et pillé par les USA. Le Chili, de plus, est un pays ayant une longue histoire de mouvements sismiques, ce qui lui donnait “un avantage” sur Haïti.
III
Ceci étant, on parle peu des similitudes. La plus visible est le fait que ceux qui souffrent le plus ce sont les pauvres. Même si un tremblement de terre touche tout le monde de façon égale, les uns sont mieux préparés que d’autres à recevoir le séisme et à combattre les difficultés qui surviennent ensuite. Le Chili n’a pas été une exception à cette règle et les secteurs les plus affectés sont les quartiers populaires, les maisons en torchis ; d’autre part, nous avons appris par des témoignages fiables, que l’aide est arrivée tard et de manière insuffisante dans les zones populaires qui n’ont fait l’objet d’aucune priorité pour personne, encore que ce sont les secteurs où devrait être concentrée l’aide, étant donné leur précarité.
Nouvel élément, une grande partie de la dévastation est due à une infrastructure inadaptée. Á la suite d’une forte expérience sismique et du fait que la moitié du pays a été démoli en 1985, une certaine conscience s’est fait jour de création d’infrastructure pouvant supporter les secousses d’une zone d’activité tectonique comme celle du Chili. Néanmoins, vers 1985, la Concertation des partis politiques, qui a continué à approfondir le néfaste modèle néo libéral hérité de la dictature, a entamé la privatisation et l’externalisation d’entreprises de travaux publics -nombre d’entre elles transnationales, qui ne répondront jamais pour les ponts, les autoroutes et les routes détruits qui ont immobilisé le pays et ont laissé des milliers de personnes dans le désarroi, alors qu’elles voyageaient. Il faut souligner que beaucoup de chantiers faits par le MOP [ministère des travaux publics] il y a des décennies sont toujours debout, alors que des routes coûteuses construites il y a à peine quelques années, pour lesquelles on a payé des péages excessifs, se sont écroulées comme des châteaux de cartes. Je peux donner un témoignage personnel de la raison de la fragilité de ces travaux de voirie : aux débuts de 2003 j’ai travaillé au « by pass » [bretelle d’autoroute] de Rancagua, dans le secteur Doñihue. Lorsque le géologue recommandait de creuser 1,80 mètres, 2 mètres sur certains tronçons à cause de l’instabilité du terrain, pour amoindrir les coûts, on donnait l’ordre au conducteur de la retro excavatrice (appelée la boucle) de ne pas baisser au-delà de 30 centimètres. Nous savions que ces chemins ne dureraient pas plus de dix ans. Maintenant le tremblement de terre va être une très opportune excuse pour expliquer sa destruction, mais le fait que l’infrastructure publique demeure intacte, alors que l’infrastructure privée s’écroule en morceau, est un fait incontestable.
on peut en dire autant des logements : depuis la fin des années 1990, avec les scandales des maisons COPEVA, qui au bout de quelques mois commençaient à se fissurer, se casser et prendre l’eau, au point que leurs propriétaires devaient les couvrir de plastic pour passer l’hiver (nombre d’entre elles furent purement et simplement démolies peu après), il est évident que la politique du logement (anti) social de ce pays -et de l’habitat en général- est uniquement un business pour les capitalistes de l’immobilier. Une affaire, en outre, facilitée par toute une série de corruptions et de négligences au sein même des gouvernements de la Concertation, dont certains personnages ont directement participé à ces affaires si lucratives. Rappelons que le scandale de COPEVA porte le nom d’un ex ministre de l’Intérieur démocrate-chrétien, Pérez Yoma. Nous voyons aujourd’hui de nombreuses constructions modernes, beaucoup d’ensembles d’habitats pour des gens ayant fait de grands sacrifices pour obtenir le “rêve d’une maison à soi”, en pièces sur le sol, avec de graves cassures structurelles graves qui les rendent inhabitables. Le cas le plus dramatique est celui de l’immeuble de 15 étages à Conception qui s’est abattu avec environ une centaine de personnes à l’intérieur. Un édifice neuf, avec encore des appartements en vente. Il est vrai qu’un tremblement de terre si puissant entraîne toujours des dommages et que ne pourra jamais en faire assez pour éviter des victimes ; mais il est injustifiable que ce soient précisément les travaux les plus modernes qui aient subi les plus de dégâts.
Comme à Haïti, il est probable qu’aucun capitaliste n’ait jamais à répondre de ces actes criminels. C’est pourquoi il est nécessaire que le peuple se mobilise et exige la justice, car la politique de privatisation des travaux publics, immobiliers et de voirie est une politique ouvertement criminelle, comme le démontre ce tremblement de terre. Il y a ici des responsables et si le peuple n’exige pas une réponse pour ces dommages, il ne l’aura jamais.
IV
Une autre similitude avec Haïti c’est la réponse par la répression et la militarisation de la réponse humanitaire. Encore que dans les deux cas elles soient évidemment différentes (à Haïti la militarisation humanitaire a approfondi l’occupation du pays et a livré une importante enclave géo stratégique aux États-Unis, ce qui acquiert tout son sens dans son plan de militarisation de la région des Caraïbes et de la recomposition hégémonique en Amérique Latine), dans les deux cas on a joué avec l’hystérie face aux “pillards” pour justifier une présence de forces protégeant les intérêts de la clase de l’élite.
À Conception, durant un jour et demi, de nombreuses personnes n’ont eu aucune sorte d’aide. Cela est surtout valable dans les quartiers populaires où jusqu’à la date de ce message peu ou rien n’est arrivé. Face au désespoir, le peuple applique simplement l’impulsion la plus élémentaire de l’être humain, celui de la conservation. Le peuple est entré dans les super marchés, les stations service, les pharmacies, pour se pourvoir des éléments et des articles les plus basiques pour nourrir leurs familles. Ou bien aurions-nous dû attendre que le peuple demeure les bras croisés, endurant la fatigue, la faim et la soif, alors que les super marchés regorgeaient de produits ? C’est vraiment le peuple à l’état pur, les gens ordinaires, les mères, pères, jeunes qui arrachaient des paquets de lait, de riz, avec ce qu’ils pouvaient récupérer.
“Pillage” ont crié les autorités pour diaboliser la juste demande du droit à vivre, à manger, à calmer la soif, à soigner ses enfants. Elles ont déformé l’histoire au point que, selon elles, les “pillards” n’avaient aucun besoin, car ils volaient exclusivement des articles somptuaires, électroniques ou des CD et des DVD, alors que la vérité est tout autre. Il a suffi, enfin, qu’on touche à une ou deux banques pour que l’hystérie soit complète. “Lumpen” ont crié à nouveau les autorités, pour déshumaniser le peuple affamé et dans le besoin, car ce mot vague justifie depuis toujours l’assassinat policier. À l’époque de Pinochet on les appelait “humanoïdes” -le terme change, la logique politique répressive se maintient.
Le même “lumpen” de La Nouvelle Orléans, de Port-au-Prince apparaît maintenant dans les rues de Conception, et dès le premier moment le président élu Sebastián Piñera, avec ses partisans dans les gouvernements locaux, comme la docteur Van Rysselberghe à Conception, se sont scandalisés du peu de respect de la part des pouilleux de la propriété des grandes chaînes de super marchés. Et alors que l’aide tardait à arriver, il n’y eut aucun problème pour mobiliser quelques milliers de trouffions pour assurer la loi martiale à Conception. Lors que l’eau n’arrivait pas aux bouches assoiffées, on n’a pas fait de demi-mesure pour remplir les réservoirs des camions à eau pour réprimer le “lumpen” qui “pillait” les “honnêtes” commerçants comme Lider (Wal Mart) et Santa Isabel. Le gouvernement a décrété l’état de siège et le couvre feu, en se faisant écho de la droite politique et des grands entrepreneurs et des commerçants qui, tout en ouvrant bien grande la bouche en parlant de “solidarité”, ne sont pas capables de mettre quelques paquets de riz dans leurs super marchés à la disposition du peuple. Ce recours à l’armée n’a pas été fait depuis 1987 -pour ceux qui auraient une mauvaise mémoire, depuis l’époque de la dictature. Cela démontre que des habitudes autoritaires n’ont pas disparu après des décennies de “démocratie surveillée”.
Les citoyens bien sous tous rapports doivent faire la queue, souffrir de la faim et de la soif et endurer les pleurs de leurs enfants. L’ordre a été réinstauré grâces aux bottes militaires La grande propriété privée est redevenue intouchable.
C’est dans ces moments de crise que le système montre réellement son visage. Et à Conception, comme à Port-au-Prince, il l’a montré dans toute sa cruauté : la propriété des capitalistes est plus importante que la vie et le bien-être de centaines de milliers de personnes dans le besoin. Ce n’est pas un hasard qu’on ajoute si souvent au capitalisme le terme de “sauvage”.
V
Mais Haïti et le Chili se ressemblent aussi, car face à la nécessité on a vu surgir cet instinct essentiel d’entraide qui permet au peuple de survivre, d’avancer et de devenir acteur de plein droit devant l’Histoire. C’est aux secteurs populaires de développer ces tendances à l’organisation du peuple, à la solidarité, pour qu’elles s’approfondissent et dépassent la simple survie. Afin qu’elles puissent constituer une société différente, une société solidaire, una société libertaire, qui abandonne le poids pesant de l’individualisme imposé par le modèle néo libéral féroce appliqué par la dictature et approfondit par la “démocratie surveillée”.
Parmi les multiples messages de solidarité d’amis et de camarades dans ces moments si angoissants, je veux mettre en avant les nombreux messages solidaires que j’ai reçus de frères haïtiens. Au milieu de la douleur qu’eux-mêmes transcendent, ils gardent un moment pour être solidaires de la douleur du peuple chilien. Nous avons fait nôtre leur douleur, et aujourd’hui ils font leur notre douleur.
Un camarade de Grandans m’écrivait ce même samedi [jour du séisme] : “Cher José Antonio, Je te remercie de tes efforts de solidarité envers le peuple haïtien. Aujourd’hui je me sens plus touché par le violent et terrible tremblement de terre au Chili. Je souhaite que ta famille soit saine après un tel séisme et que ton pays se relève vite. Le peu de choses que Nous avons est prêt à être partagé avec vous, si besoin est. À bientôt, Maxime Roumer”.
De tels messages me rappellent que la solidarité est la tendresse des peuples.
José Antonio Gutiérrez D. 1 mars 2010
Source:
Anarkismo