dimanche 4 mai 2008

Un contre-exemple


Les derniers chiffres de Statistique Canada, sur l'évolution des revenus entre 1980 et 2005, ne sont guère réjouissants. Pendant que le revenu du cinquième le plus pauvre de la population chutait de 16%, celui du cinquième le plus riche augmentait de 16% alors que les revenus de la classe moyenne stagnait (+ 0,1%). La mondialisation, qui décime les «bons emplois» manufacturiers, et les défaites syndicales à répétition dans le secteur public y sont pour quelque chose (j'en parlais ici il y a quelques jours). Dans ce contexte, il est réjouissant de constater que, même dans l'industrie des services, certains groupes réussissent à tirer leur épingle du jeu à force d'imagination et de détermination. À Québec, les 400 syndiquéEs de l'hôtel Hilton, qui sont actuellement en négociation, sont un véritable contre-exemple.

Du «Tiers-Monde» à la classe moyenne

Il y a 25 ans, le journal communautaire Droit de parole publiait un photo-reportage de Carrefour Tiers-Monde sur les conditions de travail exécrable et la dure exploitation des employéEs, dont plusieurs réfugiéEs, à l'hôtel Hilton de Québec. On parlais alors d'un véritable tiers-monde en ville. À l'époque, les femmes de chambres et les serveurs y gagnaient à peine quelques sous de plus que le salaire minimum. Aujourd'hui, le salaire a rejoint la moyenne québécoise et les employéEs du Hilton peuvent demander (et obtenir!) une hypothèque ou prendre des vacances dans le sud. Concrètement, en 25 ans, ces gens là sont passés du fond de cale de la société capitaliste à la classe moyenne. Qu'est-ce qui s'est passé?

La multinationale qui les emploie n'a pas soudain vu la lumière. L'amélioration des conditions de travail des employéEs du Hilton s'est faite au prix de grandes luttes. Il y eu d'abord une longue bataille, à la fin des années 1970, pour se débarrasser, avec l'aide de la CSN, d'un syndicat de boutique américain qui était de mèche avec l'employeur (le syndicat était reconnu avant même la construction de l'hôtel, c'est vous dire!). À Montréal aussi des groupes ont mené les mêmes batailles. Au début des années 1980, les premières conventions collectives négociées par les syndicats CSN, dans la Capitale et la métropole, démontrent qu’il est possible de gagner dignement sa vie dans ce domaine et d’avoir des conditions de travail comparables aux autres secteurs de l'économie.

Négociations coordonnées

Ensuite, au fur et à mesure que d'autres hôtels joignaient les rangs de la CSN, une stratégie a vu le jour : la négociation coordonnée. C'est-à-dire que tous les hôtels syndiqués à la CSN se mettent ensemble, adoptent une plate-forme commune de revendications et négocient en même temps avec leurs patrons respectifs. L'idée est d'harmoniser les conditions de travail dans un maximum d'hôtels pour éviter que la compétition se fasse sur le dos des employéEs. Ça n'a pas été simple à faire accepter aux patrons, ainsi les employéEs du Hilton ont dû faire une longue grève de 10 mois en 1994. Mais ça marche : c'est grâce à cette façon de faire, étendue à toute la province en 1990, que les syndiquéEs de l'hôtellerie ont pu faire des gains significatifs (gagner 2 fois plus que le salaire minimum, obtenir un fonds de pension, des congés de maladie, des assurances collectives, etc.).

Aujourd'hui, les employéEs du Hilton abordent sereinement leur ronde de négociation. Ils et elles ne sont pas seuls. C'est la sixième négociation coordonnée dans l'hôtellerie. Dans la région, il y a huit hôtels qui coordonnent leur négociation. À la grandeur du Québec c'est 44 syndicats regroupant 5 500 employéEs. La plate-forme de négociation compte une dizaine de revendications dont des augmentations de salaire de 5% par année pendant 3 ans, une augmentation de 1% de la part de l'employeur au régime de retraite, une diminution de la charge de travail pour les femmes de chambres, etc. Pour en savoir plus: http://www.fc.csn.qc.ca/nego2008

Est-ce que la négociation coordonnée est exportable ailleurs dans l'industrie des service? Peut-être. La CSN veut utiliser le modèle cette année pour les épiceries qu'elle représente et essaie des choses du côté des Caisses populaires. D'autres syndicats mènent aussi des négociations du même type depuis belle lurette (la CSD dans les concessionnaires automobiles de la région, par exemple). Réussir à faire des gains en 2008 dans l'industrie des services... Serait-ce le signe que les syndicats n'ont pas encore dit leur dernier mot?

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