Connaissez-vous Aldo Miguel Paolinelli? Moi non plus. Pourtant, on gagnerait à connaître cet ancien prisonnier politique argentin, ouvrier de la construction et président de sa fédération à la CSN. Si les médias pouvaient s'intéresser à d'autre chose qu'aux grosses poches, ce ne serait pas un inconnu. Mais aucune information n'a été publiée sur lui, même si c'est un de ceux qui ont menés la dernière négo dans la construction. Rien, niet, nada. À Babord comble cette lacune avec un portrait impressionniste et intimiste.
Je savais, comme tout ceux qui s'intéressent de près au syndicalisme que le nouveau président de la CSN-Construction avait un nom à consonance italienne. J'avais trouvé ça rigolo que les «monsieur propre» du syndicalisme du bâtiment aient choisi d'élire un Paolinelli à la tête de leur centrale alors que ceux d'en face, qu'on accuse régulièrement de corruption et de pratiques mafieuses, ont des dirigeants aux noms bien pure laine. Un genre de pied de nez.
J'étais loin de me douter de qui ils avaient élu! Oh, ne partez pas en peur, ce n'est pas un anarchiste. Il le dit lui-même: «Je ne suis pas anarchiste, je n'ai pas cette prétention, mais tu ne peux pas savoir comme je les aime.» Il faut dire que là d'où il vient, Buenos Aires, l'image mentale de l'anarchiste n'est pas celle d'un punk pouilleux. L'Argentine est le pays du monde, après l'Espagne évidemment, où les anars ont pesé le plus lourd historiquement. Au début du siècle, et jusque dans les années 1930, ils étaient dominants dans le mouvement ouvrier. Pour quelqu'un qui a grandi dans les années 1970, les anarchistes ce sont en quelque sorte «les anciens», des gens entêtés, comme il dit, généreux et d'un engagement indéfectible contre la tyrannie et l'abrutissement, prêts à risquer leur vie pour défendre la liberté et la dignité.
Le président de la CSN-Construction trouve donc les anarchistes sympathiques. Mais ce n'est pas tout. Dans sa jeunesse, Aldo Miguel Paolinelli s'est engagé sur le chemin de la révolution socialiste. Il a été arrêté en avril 1975, à l'âge de 16 ans, pour «diffusion de propagande». Il ne sera libéré qu'en avril 1983, à 24 ans. C'est en prison qu'il s'est instruit et trempé. Dans l'année suivant sa libération, il émigre au Québec pour refaire sa vie. Ici il continue de militer, entre autre dans le milieu communautaire, à Radio Centre-Ville où il tient la barre d'une émission sur l'immigration et dans le milieu syndical.
Aldo Miguel Paolinelli a une conception plutôt rare de la société, du syndicalisme et de l'industrie de la construction. Voici quelques citations tirées d'À Babord!.
Sur la société : «Il y a de moins en moins de portes de sortie dans la société de consommation. Ça devient une prison. Dans le milieu de la construction, c'est terrible : mon 4X4, ma piscine creusée, les cours de ma fille. Ça rend les ouvriers extrêmement dépendants. Ils s'endettent et sont prêts à accepter n'importe quoi pour travailler, au détriment de leurs droits et de leur qualité de vie. Et c'est une réalité qui ne touche pas juste le milieu de la construction. Le système de consommation est plus envahissant ici qu'en Argentine.»
Sur le syndicalisme : «Le rôle des syndicats est bien sûr de rassembler des gens qui ont des intérêts communs et de les défendre, mais une fois ces objectifs atteints, les autres membres de la société, qui ne sont pas syndiqués, doivent y accéder aussi. Je ne suis pas un intellectuel, des éléments me manquent, mais parfois on a des intuitions... Écouter parler les dirigeants syndicaux aujourd'hui... on ne parle plus des intérêts des travailleurs, on parle de développement économique... Le développement économique... Ça favorise qui, au juste? [...] Les syndicats ont renoncé à toute transformation sociale et travaillent essentiellement à ne pas perdre des droits et des acquis. Bon, il y a une nuance important à apporter. Il y a encore des vrais militants qui se battent pour ça à la CSN, mais ils doivent se battre aussi contre les fonctionnaires syndicaux qui parlent et pensent en langue de bois.»
Sur l'industrie de la construction : «Aujourd'hui dans la construction il y a une hypocrisie énorme, celle du partenariat. T'entends parler les dirigeants syndicaux: « Notre industrie », qu'ils disent! Ça ne m'appartient pas cette industrie-là, je n'ai pas d'intérêts là-dedans... Le travailleurs de la construction vend sa force de travail, sa santé, pour grossir les profits des compagnies. En échange de quoi il obtient des conditions de travail précaire, peut-être un fonds de pension. S'il est chanceux et n'est pas charcuté. [...] Notre industrie? Attends un peu là. Si c'est notre industrie, comment ça se fait qu'on ne peut pas déterminer les règles du jeu? Et partager les profits? [...] Ce n'est pas une religion le partenariat. Quand on nous opprime, ce n'est plus notre industrie. Le jour où les patrons viendront nous voir pour nous demander ce qu'on veut, on sera dans un autre système.»
À la CSN, la tradition veut que les syndicalistes s'appellent «camarade» entre eux. Sauf pour quelques copains et des militants que je connais un peu, j'ai toujours trouvé ça un peu bizarre de penser aux bureaucrates et aux dirigeants comme à des «camarades». En voilà bien un, de dirigeant, qui semble mériter le terme. Dommage qu'ils ne soient pas plus nombreux.
Source des citations: Aldo Miguel Paolinelli - «Fils de pute» et président de la CSN-Construction, dans À Babord! no 36, actuellement en kiosque.
4 commentaires:
merci pour l'info
De rien, ça m'avait frappé quand je l'ai lu. Tsé, genre, comment ça se fait que je sais pas ça moi?
Excellent révolutionnaire, il y a surement dans votre coin aussi d'ex-révolutionnaires ayant immigré, dans le communautaire. Un livre intéressant a paru sur les exilé-e-s chilien-ne-s au Québec (il y en avait beaucoup à Montréal, Québec, Trois-Rivières,...) après le Coup d'État.
Il pourra pas durer longtemps, celui-là. Malheureusement! Bonne chance quand même!
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