Depuis janvier 2010, les ouvriers de la construction du Québec sont sans contrat de travail. Pourtant, autant patrons que syndicats avaient annoncé, dès octobre 2009, une négociation exemplaire qui se règlerait pour la date d’échéance des conventions collectives. Pratiquement neuf mois plus tard, les travailleurs en chantiers n’ont toujours pas de conventions de signées et la situation devient de plus en plus tendue.
Ce qu’il ne faut pas perdre de vue ici, c’est que le concept de « rétroactivité » si logique et répandu dans la fonction publique ne s’applique pas. Chaque jour qui passe représente plusieurs milliers de dollars d’économie directement dans les poches des patrons. Bref, depuis pratiquement neuf mois, les moyens de pressions sont à sens unique : envers les travailleurs.
Dernièrement, les centrales syndicales qui constituent un front commun pour les négociations, toutes les 5 représentées dans le domaine de la construction sont impliquées cette fois-ci, ont commencé à faire appliquer un plan de moyens de pression voté en assemblée générale par les membres présents. Bien évidemment, pour toute personne qui provient des autres domaines de travail, c’est plutôt louche de voir des délégués syndicaux débarquer sur les lieux de travail demandant aux membres de quitter les lieux. Toutefois, il ne faut pas oublier que la construction est un secteur qui est excessivement éparpillée sur le territoire et que c’est la seule façon efficace de faire passer le mot.
Dans les médias, on entend toujours deux ou trois « honnêtes travailleurs » qui disent ne pas être au courant du tout de ce qui se passe et de s’être sentis « intimidés » voire « forcés » de quitter les chantiers ciblés. Tout d’abord, l’ignorance de la situation actuelle de ces travailleurs n’est imputable qu’à eux même puisqu’il y a des réunions syndicales régulières où il est possible à tous de s’impliquer, de s’informer. Ensuite, tous les travailleurs de la construction, incluant les contremaîtres, sont syndiqués et ont des délégués syndicaux munis de cellulaires qui sont joignables toute la semaine et qui ne demandent qu’à répondre aux interrogations de leurs membres. Pour ce qui est de l’intimidation, c’est un peu n’importe quoi. Sur les chantiers, les travailleurs présents n’ont pas trop l’habitude de mesurer un mètre trente et peser cinquante kilos. Bref, évidemment que lorsqu’une « équipe syndicale » débarque sur les chantiers, ce sont souvent des grands et gros gaillards, mais ils ne lèvent pas le ton sauf en cas de besoin (par exemple, confrontation avec des patrons ou des ouvriers anti syndicalistes). Bref, il faut prendre connaissance de l’existence de ces cas, mais il ne faut pas en faire tout un plat comme les médias de masse où l’on voit le jupon patronal dépasser.
Demandes patronales
Les demandes patronales suivent une logique implacable excessivement répandue dans le capitalisme du vingt et unième siècle : flexibilité et dérèglementation. On veut plus d’heures ouvrables sur les chantiers avec moins de temps supplémentaire payé en conséquence (temps et demie, temps double, etc.). On demande la disparition de nombreuses primes jugées « non productives ». Ces primes peuvent aller de celles appelées de « chef d’équipe » (un peu comme un petit contremaître) au travail de nuit ou dans des conditions spéciales.
Les patrons en veulent aussi le plus possible pour leur argent, sinon il y en a moins qui rentre dans leurs poches et ça, c’est l’ennemi de la classe bourgeoise. Dans cette optique, on veut couper sur les frais d’opération directement liés à la main d’œuvre. On veut couper dans les compensations offertes à ce qui a trait à l’hébergement sur les chantiers éloignés, étirer la notion de zone territoriale des travailleurs (un travailleur de la région de Québec ne pouvant pas aller, sauf exceptions, travailler en Abitibi) et, dans le secteur industriel, commencer à payer le travailleur uniquement lorsque directement sur son poste de travail. Ainsi, on le laissera poiroter aux différents points de contrôles pendant de longues minutes, voire des heures, sur son temps personnel.
En gros, la logique patronale est simple : on veut accroître la compétitivité via une dérèglementation, un allègement des charges salariales et une flexibilité accrue de la main d’œuvre. Bref, on s’approche tranquillement du modèle d’emploi dans un fast food. Simplement, les règles des conventions collectives s’appliquent à tout le Québec, alors on peut tout de suite se demander ce que les patrons veulent bien vouloir dire par « compétitivité ».
Demandes syndicales
Chez les représentants ouvriers, la situation est toute autre. On demande de resserrer les règles en lien avec les territoires des travailleurs, augmenter les primes que les patrons jugent « non productives », améliorer le concept de dédommagement financier en ce qui à l’hébergement sur les chantiers éloignés. Bref, comme d’habitude, les patrons et les ouvriers tirent tous les deux les couvertures de leurs côtés en espérant améliorer leurs sorts.
C’est un peu simpliste, mais dans l’optique d’alléger le texte et d’éviter les répétitions ennuyantes, prenez les demandes patronales énumérées plus haut et inversez les et vous obtiendrez les positions syndicales, grosso modo.
La logique des syndicats est aussi toute autre. On part du principe que le marché de la construction évolue de manière « fermée », c’est-à-dire que tout le monde doit fonctionner avec les mêmes règles sur le territoire québécois, ce qui élimine la logique de compétitivité aussi chère aux patrons. Bref, quand la logique derrière les demandes est opposée, il ne faut pas s’attendre à avoir des demandes très proches les unes des autres.
Fait intéressant à noter, la question salariale n’est pratiquement pas à l’ordre du jour!
Critiques sur les syndicats
Nous vivons dans un système qui laisse peu de place au radicalisme, encore moins à l’anticapitalisme. Il ne faut donc pas se surprendre de voir les centrales demander d’améliorer les conditions des travailleurs dans le cadre actuel du mode de fonctionnement économique sans plus.
Aussi, le milieu de la construction est un domaine où tout le monde est syndiqué sans avoir d’autre choix que de se caser dans une des cinq centrales présente. Cela entraine l’effet pervers de déconnecter les syndicats des syndiqués. Les assemblées générales ne sont pas courues et les efforts pour y attirer les syndiqués ne sont pas massifs.
Les centrales, avec le temps et excepté lors des négociations de conventions collectives ou des griefs, ressemblent à des centres de services sans plus. Il y a même une centrale qui ressemble plus à un magasin général qu’à un syndicat, mais ce n’est pas le sujet de ce texte ici. Bien évidemment, ce sont les membres qui font leurs syndicats et ce sont eux qui doivent se mobiliser, mais l’absence de l’option de ne pas se syndiquer entraîne l’effet pervers d’avoir une masse amorphe qui rechigne plus quant à payer ses cotisations qu’autre chose.
Finalement, d’un point de vue libertaire, on pourrait aussi se demander pourquoi on ne va pas chercher à modifier le cadre même de fonctionnement et tendre, par exemple, vers une sorte d’anarcho-syndicalisme, mais ce serait vivre dans un bulle que d’ignorer la société qui nous entoure et que de croire que les centrales syndicales actuelles possèdent le moindre élan révolutionnaire.
La grève générale?
C’est effectivement cette option qui est envisagée pour la fin du mois d’août, au moment même où ça fera neuf mois que les travailleurs de la construction seront sans contrat de travail et que les patrons auront sauvé des millions de dollars en salaires versés.
Ce moyen d’action sera dur, mais sera certainement court. Un des grands employeurs et l’état Québécois, surtout en voirie. Il faut comprendre que les quatre différents secteurs actuellement en négociations retourneront au travail au même moment, même si trois sur quatre possèderaient des ententes de principes.
Cette solidarité ouvrière fait du bien à voir, mais elle entraînera aussi certainement le coup de massue étatique qui s’exprimera sans aucun doute d’un décret gouvernemental qui forcera le retour au travail. Par principe, les travailleurs ne s’avoueront pas vaincus sans avoir au moins essayé de faire des pressions, mais, aussi par principe, le gouvernement jouera son rôle dans la lutte des classes et viendra aider son allié naturel, le patronat.
En attendant, les travailleurs continueront à démontrer leur colère en désertant, aléatoirement et pour une journée à la fois, les chantiers de la province. Ainsi, légaux ou non, les moyens de pression exprimant la colère des ouvriers continueront pour quelques semaines et, espérons-le, feront plier le patronat avant la fin du mois.
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L'auteur est un travailleur de la construction qui milite à l'UCL et dans son syndicat.
4 commentaires:
Ya un truc que je comprend po. Le système syndical actuel fait qu'un tas de travailleurs non-politisés sont amalgamés dans le syndicat. Ça crée une force d'inertie. Ça je comprend. Ce que je comprend moins, c'est comment est-ce que ça pourrait aider le mouvement syndical que d'avoir des syndicats rachitiques, à la française? Est-ce que les 'vrais syndicalistes-syndicalisés' ici ne pourraient-ils pas, au contraire, pousser les autres travailleurs à plus de combativité?
J'ai juste de la difficulté à comprendre comment à moins on pourrait accomplir plus.
J'ai trouvé ce billet très instructif, merci.
En France, la construction c'est une job de merde. Rien à voir avec ici en terme de conditions de travail et de salaire. Alors, voilà, sur ce point là, le système québécois montre sa supériorité.
English translation of this article at Molly's Blog (http://mollymew.blogspot.com) under title 'Construction Strike in Quebec ?'
Thanks for the translation.
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