Dans sa Contribution à la critique de l’économie politique (1859), Marx écrivait : « ce n’est pas la conscience des hommes qui déterminent leur être, c’est inversement leur être social qui détermine leur conscience ». La phrase est fameuse, et incontestable. Mais on gagne à la compléter avec Bakounine quand il rappelle que « la disposition révolutionnaire dans les masses ouvrières […] ne dépend pas seulement d’un plus ou moins grand degré de misère et de mécontentement mais encore de la foi ou de la confiance que les masses ouvrières ont de la justice et de la nécessité du triomphe de leur cause » (cité par François Muñoz dans Bakounine, la liberté, 1965).
Autrement dit, la conscience de classe ne peut exister sans un objectif commun et libérateur, sans s’incarner dans des luttes collectives, sans outils collectifs pour mener ce combat. Il est indéniable que depuis l’écroulement du mur de Berlin, l’espoir lié au projet – pourtant dévoyé – porté par les partis staliniens est bien mort. Le plus dommageable est que cela a entraîné un recul général de la conscience de classe. Reconstruire celle-ci ne pourra se faire sans un nouveau projet révolutionnaire, en évitant de répéter les erreurs du passé inscrites dans cette conception commune à tous les marxistes, et que Kautsky formula en 1908 dans Les Trois sources du marxisme : « La conscience socialiste d’aujourd’hui ne peut surgir que sur la base d’une profonde connaissance scientifique… Or le porteur de la science n’est pas le prolétariat, mais les intellectuels bourgeois… ainsi donc la conscience socialiste est un élément importé du dehors dans la lutte de classe du prolétariat et non quelque chose qui en surgit spontanément. » Lénine jugea cette idée « profondément juste » dans Que faire ?.
Cette conception a, par glissements successifs, conduit les partis marxistes à confondre la conscience de classe et l’obéissance au Parti. Un désaccord avec le Parti – qu’il soit Parti-État comme en URSS ou parti d’opposition comme en France – conduisait à se placer « en-dehors de la classe ouvrière ». Simple alibi pour étayer le pouvoir et les privilèges d’une minorité dirigeante.
Les anarchistes ont une approche différente : la montée de la conscience de classe chez les travailleuses et les travailleurs naît de la prise de conscience des rapports sociaux de domination et d’exploitation. Elle se développe au cours d’un processus historique où interagissent les expériences de luttes collectives et les débats politiques souvent impulsés par les minorités révolutionnaires. En France, la CGT syndicaliste révolutionnaire du début du XXe siècle, organisation de classe et de masse, autonome par rapport aux classes dominantes et aux institutions du capitalisme, a été le moteur de cette transformation. C’est ce moteur qui est en panne aujourd’hui !
Texte de Jacques Dubart
Publié dans Alternative libertaire no 175 (juillet 2008)
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