Un lecteur a porté à notre attention cette déclaration du Groupe surréaliste de Londres, traduite par le Groupe surréaliste de Paris. Si les surréalistes n'ont plus l'envergure et le souffle subversif d'antan, loin de là, il n'en demeure pas moins que cette déclaration est intéressante. Comme notre correspondant nous l'indique, «même si dans ce texte apparaîssent à quelques reprises les mots "surréalistes" ou "surréalisme", le contenu concerne uniquement l'aspect politique». Et, effectivement, si nous remplaçons surréaliste et surréalisme par anarchiste et anarchisme, il n'y a pas grand chose dans cette déclaration que nous n'aurions pu écrire (à part peut-être la référence finale à la poésie... quoi, que?). N'hésitez jamais à nous faire parvenir vos infos et contributions pertinentes.
COMME UNE TRAÎNÉE DE POUDRE
L'effondrement du système bancaire international n'aura pas été une surprise pour tous ceux qui ont compris le fonctionnement du capitalisme. Mais c'en est une pour les banquiers, dont la connaissance du monde est limitée aux chiffres qui s'inscrivent sur leurs écrans, et qui mesurent leur succès au nombre des billets à ordre dont ils peuvent bourrer leurs poches. Chacune des lettres de crédit illimité qu'ils ont utilisées pour s'enrichir n'est jamais qu'une traite tirée sur leur valeur à venir. Ce capital fictif dont ils se boursouflaient la baudruche, il leur faut aujourd'hui le convertir en argent véritable, en le pompant dans nos poches, tandis que les gouvernements s'activent pour renflouer le système économique. Ils ne peuvent imaginer d'autre solution, alors qu'à l'évidence que le système ne fonctionne pas.
Des surréalistes ne peuvent que saluer la perspective d'un soulèvement révolutionnaire. Mais nous devons aussi nous y préparer en évaluant soigneusement nos possibilités d'action. Qu'arrivera-t-il demain, et comment les surréalistes pourront réagir avec la plus grande efficacité ? Il y a bien sûr des précédents, comme la Grande Dépression des années trente. Quel enseignement pouvons-nous tirer du passé ? Quelles sont les similitudes entre les années trente et aujourd'hui, et quelles sont les différences ?
Quand le krach de 1929 s'est produit, les empires européens étaient sur le déclin et les États-Unis émergeaient comme la plus grande économie du monde. La violence de la réaction qui s'est ensuivie est bien connue : l'irruption du fascisme à travers l'Europe, la montée du nationalisme et finalement le désastre de la Seconde guerre mondiale. Mais la même décennie vit apparaître le Front populaire en France et en Espagne, qui après avoir apporté la promesse d'une unité de la gauche n'aboutit qu'à la déception et à la trahison. Plutôt que se hâter de renverser le capitalisme, le Front populaire ne chercha qu'à en adoucir ses pires aspects en détournant les énergies révolutionnaires de la gauche dans une union avec non seulement des forces non-révolutionnaires, mais même des fractions entières de la classe dominante.
La situation actuelle est à la fois semblable et différente de celle de 1929. Cette crise se déploie avec pour arrière-plan le déclin de l'impérialisme américain et l'émergence de la Chine et de l'Inde comme nouveaux puissances impériales. Le capitalisme était déjà global dans les années trente, mais de nos jours il a atteint un niveau inégalé d'intégration internationale. Les créances pourries ont été accumulées, vendues et dissimulées dans tous les coins du marché financier mondial. Aussi l'effondrement économique actuel va-t-il entraîner le monde dans la même direction réactionnaire que dans les années trente, tout en faisant planer une menace encore plus grande sur l'humanité. Les guerres d'Afghanistan et d'Irak, où se déroule le combat désespéré de l'impérialisme américain pour sa survie, ne sont qu'un début. Entre-temps, face à la menace pesant sur le capitalisme, les « rebelles » de l'ancien parti travailliste anglais et les démocrates américains se sont empressés de s'aligner au nom de l'unité. Exactement comme en 1930, nous pouvons nous attendre à assister à des efforts croissants pour « unir » tendances de classe opposées et des courants politiques différents dans un mouvement de front populaire afin de étouffer toute accélération révolutionnaire de l'effondrement du capitalisme. Les échecs du Front populaire dans les années trente devraient valoir comme avertissement pour tous ceux qui à gauche tenteraient de le faire revivre aujourd'hui. Il est vraiment inquiétant de voir combien de mouvements soi-disant radicaux – tels que le Socialist Workers Party en Grande-Bretagne, la LCR en France, le Links Partei en Allemagne, Rifondazione Communista en Italie – sont déjà en train d'orchestrer ce retour en Europe. Nombre d'entre eux s'inspirent de Chavez et de ses alliés en Amérique latine et les soutiennent activement, alors que ces régimes ont déjà largement détourné le désir populaire de révolution au profit d'un soutien au nationalisme latino-américain et au réformisme capitaliste.
Or comment, en tant que surréalistes, pouvons-nous rendre compte de la situation ? Nous avons une confiance inébranlable dans la capacité du surréalisme à susciter un enthousiasme révolutionnaire authentique. Par conséquent il est aujourd'hui plus que jamais pour nous essentiel d'être clair sur nos choix politiques. En particulier nous ne devons jamais oublier les implications politiques de l'internationalisme surréaliste, et rester opposés implacablement à toutes les formes de nationalisme, incluant celles qui font de fausses promesses pour combattre la récession, protéger le marché du travail, voire s'opposer à la globalisation. Nos ennemis sont chez nous, et nous devons veiller à ne pas être embrigadés dans l'une de leurs offensives idéologiques, que ce soit dans l'acquiescement au renflouement des banques, le soutien à Obama ou l'invocation de la chimère islamo-fasciste.
Nous pouvons être sûrs d'une seule chose : dans le capitalisme bien d'autres chocs et bien d'autres crises sont encore à venir. Nous devons les anticiper, et nous préparer aux situations d'explosion révolutionnaires que ces crises peuvent déclencher. Si nous prenons le surréalisme et la révolution au sérieux – et nous le faisons – nous nous saisirons du potentiel historique de chaque moment, nous chercherons à peser sur chaque possibilité de changer le monde, par tous les moyens à notre disposition. Notre politique ne brûle pas d'un feu moins impérieux et passionné que notre poésie.
15 octobre 2008
Traduit par Joël Gayraud
An emission of SLAG ~ Surrealist London Action Group
http://robberbridegroom.blogspot.com
la_belle_tenebreuse@hotmail.co.uk
10 commentaires:
''à part peut-être la référence finale à la poésie, quoi que?''
Ces dernier mots (quoi que?) de votre préambule montre que vous comprenez que le mot ''poésie'', pour les surréalistes, ne signifie pas ''poème''. On peut être poète sans avoir jamais écrit de poème... Il s'agit plutôt d'un état d'esprit porté à l'expérimentation et qui cherche à se libérer d'un ''réalisme'' borné, d'un faux rationalisme. La raison véritable est celle qui tient compte de l'irrationnel. Nous vivons dans un système qui, d'un côté, réprime les désirs, par les lois de l'État et les tabous hérités des religions, et qui détourne les désirs dans la consommation de marchandise très souvent inutile. Je pense que dans une société libertaire, ces désir qui DOIVENT s'exprimer, pourront être, soit sublimés, soit se réaliser carrément par des passages à l'acte que seul les tabous et des lois stupides retiennent même si ces actes ne sont aucunement dangereux pour le fonctionnement d'une société.
Le surréalisme est l'anarchisme qui s'étend jusque dans l'esprit.
Merci beaucoup d'avoir publié le texte!
Alex
"L'effondrement du système bancaire international"
Il est idiot de parler d'effondrement. C'est une crise que nous vivons, ce qui est loin d'un effondrement. Bien des gauchistes se sont précipités à annoncer la fin du règne des États-Unis, comme ils le font à chaque occasion qui se présente. On dirait qu'ils applaudissent secrètement le fait que tant de gens subissent des pertes financières, uniquement pour dire qu'ils avaient finalement raison. Eh bien, ils ont tort. Il n'y a pas eu d'effondrement et le monde continue.
Une simple recherche sur news.google me donne 75 résultats pour "effondrement du système bancaire", la plupart émanant de la presse économique (Journal des Finances, Les Échos, Daily Bourse, La Tribune, Boursier.com, etc.). Donc ce ne sont pas que les gauchistes qui parlent de ça. Comment qualifier autrement le fait que les États doivent intervenir massivement pour éviter la faillite de grandes banques et de compagnies d'assurances? C'est quoi si c'est pas un effondrement?
«Il n'y a pas eu d'effondrement et le MONDE continue»
Un peu comme si le "monde" c'était le capitalisme et que les autres possibilités d'organisation de la société n'étaient que du fantasme de gauchiste un peu trop rêveurs...
Alex
DANIEL :Si tu crois à la «vérité absolue des enseignements de Jésus et de l'Évangile» comme j'ai pu le lire en cliquant sur ta photo, crois-tu aussi aveuglément au système capitaliste?
@Anonyme: Votre question est plutôt dirigée, en laissant entendre que je crois "aveuglément" à l'évangile. Sur le plan économique, je suis plutôt centriste, peut-être avec un penchant à gauche, particulièrement en ce qui concerne la lutte contre la pauvreté. Je déplore que les chrétiens conservateurs soient universellement assimilés à la droite économique.
Mais je suis loin d'être gauchiste, car être "gauchiste" comprend beaucoup plus qu'une philosophie économique interventionniste. C'est une idéologie fondée sur l'athéisme et le mépris pour ses adversaires.
Daniel, c'est toi-même qui dis, dans ta notice, que tu crois à la "vérité absolue de..." C'est être très aveugle en effet.
Je ne sais pas si je vais te l'apprendre, mais on ne peut pas être conservateur et à gauche...
Je vais probablement aussi t'apprendre qu'il existe des chrétien de gauche. Les anarchistes sont pour la plupart athées. C'est logique: comment accepter un Dieu si on refuse d'avoir des maîtres.
Ce que la gauche (enfin une certaine gauche) méprise, c'est l'exploitation de l'homme par l'homme. Et cette exploitation, c'est en plein ce que tu prônes en étant à droite, au centre ou mollement à gauche. Et ton Jésus n'aimait pas, que je sache, l'exploitation des humains par les classes possédantes.
Renseignes-toi un peu plus et dis moins de niaiseries s'ilte plaît.
Alex
Allez, pour Daniel, ma citation catho préférée..!
Jean, chapitre 2 :
« 13 La Pâque des Juifs était proche, et Jésus monta à Jérusalem.
14 Il trouva dans le temple les vendeurs de boeufs, de brebis et de pigeons, et les changeurs assis.
15 Ayant fait un fouet avec des cordes, il les chassa tous du temple, ainsi que les brebis et les boeufs; il dispersa la monnaie des changeurs, et renversa les tables; »
À part qu'il était un peu mégalomane sur les bords, ça d'vait être un chic type ce Djeezus.
Et comme Mao a dit : « Ta colère est légitime, Jésus. »
(Comme quoi les anars aussi peuvent être humoristiques et/ou fatiguéEs..)
"Les anarchistes sont pour la plupart athées. C'est logique : comment accepter un Dieu si on refuse d'avoir des maîtres."
En fait, même en étant athée, je crois que certains anarchistes qui font de l'athéisme un cheval de bataille perdent un peu leur temps. Je crois que quelqu'un peut être anar et croire à dieu, être agnostique ou athée sans problème.
Faire un lien trop solide en athéisme et anarchisme ne fait qu'exclure de potentiels « anar »
J-P
"Ni Dieu Ni Maître"
"Si Dieu existait il faudrait le supprimer"
Ce sont des slogans anarchistes aussi vieux que le mouvement, je ne l'ai pas inventé.
Je dis que la PLUPART des anarchistes sont athés. Ce n'est qu'un fait. Pourquoi le contester? Et c'est une position logique mais qui n'exclut pas que certains anars soient croyants et qu'ils soient respectés là dedans. J'en connais un qui est très sympatique.
Reste que si l'on refuse d'avoir des maîtres sur terre, je trouve un peu illogique de s'en creer un qui soit suprême et indéclassable.
Plus personnellement je pense que les religions ont toujours détouné, pour des fins politiques, le sens du sacré, qui n'est autre qu'un certain sentiment de la nature, de faire partie d'un tout.
Il faut "rendre à l'homme toute la puissance qu'il a été capable de mettre sur le mot Dieu". Je pense que c'est une citation du philosophe Nietzsche... je cite de mémoire...
Alex
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