Dans le cadre de ses recherches sur l’anarchisme militant, qui ont donné lieu à un petit livre sur les Black Blocs1, Francis Dupuis-Déri a eu l’occasion de rencontrer un certain nombre de libertaires ici et en Europe. Un jour, après la batterie de questions politico-analytiques, il a eu la drôle d’idée de demander aux personnes qu’il interrogeait si elles avaient déjà pleuré pour des raisons politiques. C’est le collage d’une partie des récits récoltés qui forme la trame de Lacrymos, son plus récent bouquin.
Le livre compte une trentaine de récits, racontés par une quinzaine de personnes, cinq femmes et dix hommes, venant d’au moins quatre pays différents (Québec, France, Suisse, Grèce). La plupart des gens semblent être à peu près de la même génération –la génération Seattle!— et partager une expérience militante similaire, faite de contre-culture et de radicalisme politique, ce qui est normal puisque l’auteur cherchait à l’origine à documenter le phénomène de la militance anarchiste dans le mouvement altermondialiste.
Et qu’est-ce qui fait pleurer les anarchistes? Il y a bien sûr la mort d’un camarade et ami. Le livre s’ouvre d’ailleurs sur l’un de ces récits extrêmes où un anarchiste d’origine grecque raconte la perte d’un copain dans un affrontement avec la police à Athènes en 1985. Bien que présente, la mort est toutefois plutôt rare. Beaucoup plus fréquente est la pression de la répression policière ou tout simplement de la lutte très intense qui fait parfois craquer les anars, que ce soit dans l’action ou après coup quand l’adrénaline retombe. Les relations amoureuses et le sexisme sont également de la partie. Quand on rêve d’égalité, l’injustice que l’on subit dans son couple, la prise de conscience de ses propres comportements sexistes passés ou la tolérance implicite face à des comportements inacceptables est difficile à tolérer. Les anars pleurent également, évidemment, d’impuissance face à l’injustice et devant les coups durs (déportations, destruction de projets), mais aussi devant la beauté de la résistance et la solidarité en acte.
Je ne suis peut-être pas la meilleure personne pour en juger, étant moi-même partie prenante du mouvement étudié, mais le résultat m’a semblé des plus intéressants. L’angle d’approche, pour un mouvement politique, est en tout cas inédit et sans doute plus parlant qu’une analyse de discours stricte. On en ressort, malgré la diversité des expériences et des contextes, avec une vision finalement assez unifiée de ce qui constitue le tronc commun des valeurs et des pratiques alternatives de l’anarchisme en ce début de XXIe siècle.
Lire Lacrymos, c’est un peu comme ouvrir une fenêtre sur le mouvement libertaire et pouvoir toucher du regard ce qui en fait battre le cœur. La pratique de l’entrevue et du récit, sans analyse à postériori, crée une série d’instantanés intimistes, sorte d’arrêt sur l’image d’un mouvement somme toute méconnu en dehors de la représentation médiatique spectaculaire du casseur. Il me semble qu’il y a là une bonne introduction pour qui veut en savoir plus sur ce qui anime une bonne partie de la
« jeune » génération de militants et de militantes de la gauche radicale.
Lacrymos.
Qu’est-ce qui fait pleurer les anarchistes ?
Par Francis Dupuis-Déri
Montréal, Écosociété, 2010, 116 p.
Note:
1) Dupuis-Déri, Francis (2003). Les Black Blocs, La liberté et l’égalité se manifestent. Montréal, Lux, 252 pages.
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Extrait du numéro de juin 2010 de l'Infobourg
2 commentaires:
Ça m'a l'air un peu cucul comme livre.
Sans compter que ce mini-bouquin (116p.)se détaille près d'une vingtaine de piastres avec taxes.
Puis, faut garder en tête que nos intellos patentés se doivent de pondre un certain nombre de "papiers" pour garder leur standing et le lustre de leur vernis académique.
Sur un plan anecdotique, ça peut quand même la peine de lire ça, si on est vrai fana...
Moi j'ai trouvé ça intéressant et pas cul-cul. Je me méfiais aussi pour les mêmes raisons mais je crois que ça peut être utile auprès d'un certain public. Ceci dit, j'avoue que je n'aurais pas mis ça en haut de mes priorités mais puisque ça existe... Pourquoi pas?
P.S.: Les livres c'est toujours cher. Faut l'emprunter à la bibli.
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