Dans l’idéologie productiviste, la « croissance économique » est le premier facteur de progrès. Il faudrait produire plus, toujours plus. En fait, le but essentiel de la production n’y est pas de satisfaire les besoins humains, mais d’étendre indéfiniment les moyens d’enrichir la petite classe qui possède les moyens de production. En cela, le productivisme est intrinsèquement lié au système capitaliste. Il met tout en oeuvre pour nous transformer en consommatrices et en consommateurs compulsifs : « La perpétuité de la production n’est assurée que si les produits perdent leur caractère d’objets à employer pour devenir de plus en plus des choses à consommer » soulignait Hannah Arendt en 1958 dans Condition de l’homme moderne.
L’exemple de l’agriculture illustre le cynisme inouï des partisans du productivisme. Certes, au cours des quarante dernières années, les rendements à l’hectare ont été en moyenne multipliés par 2 pour le blé et par 1,5 pour le riz. La consommation d’engrais et de pesticides, elle, a été multipliée par 5 ; le développement des OGM s’inscrit dans la même logique. Pourtant, la production moyenne de céréales par habitant a diminué, sur la même période, de près de 20 %. Le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) estime qu’un milliard d’êtres humains sont aujourd’hui malnutris… le même chiffre qu’il y a quinze ans ! Chaque année, des millions d’êtres humains meurent de faim, tandis que les profits des multinationales de l’agrochimie explosent.
La contradiction est indépassable : la planète Terre est limitée ; la « croissance » ne peut être illimitée. Aujourd’hui, elle se poursuit alors que le seuil critique de régénération de la planète est déjà dépassé, en détruisant la biodiversité, en pillant les ressources en eau, en accélérant le réchauffement climatique, en saturant la terre de pesticides, de déchets et de pollutions diverses.
Quand le théoricien anarchiste Pierre Kropotkine développait sa thèse communiste de la « prise au tas pour ce qui se trouve en abondance », quand Karl Marx parlait avec emphase du développement des « forces productives », ils s’inscrivaient dans le consensus scientiste dominant au XIXe siècle : c’est-à-dire la croyance en la toute puissance de la science capable, supposait-on, de nous affranchir de toutes les contraintes de la nature.
La finalité du communisme libertaire, c’est la satisfaction des besoins de chacune et de chacun. La socialisation des moyens de production, leur gestion par les travailleurs et les travailleuses, leur planification démocratique se traduira par une redéfinition des besoins. Non pas une espèce de frugalité volontaire, mais l’abandon du « consommer toujours plus » au profit d’un développement de la vie sociale, culturelle et collective, autant d’activités susceptibles d’apporter de grandes satisfactions aux humains sans détruire la planète.
Un texte de Jacques Dubart (tiré du numéro 185 d'Alternative libertaire)
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