dimanche 15 juillet 2007

POST-MORTEM DE LA GRÈVE À LA SAQ

Les syndiquéEs de la SAQ ont finalement mis fin, le 8 février dernier, à une grève générale qui durait depuis près de 3 mois et qui aura été marquée par bien des péripéties. Les syndiquéEs ont perdu la bataille sur un des principaux points qui les opposaient à leur patrons, soit l'assignation des employéEs à temps partiel. La SAQ reviendra donc, dans à peu près toutes les succursales des grands centres, à une main d'oeuvre «stable», qui ne travaille que dans un magasin, à raison de 15 à 20h semaines. En «échange», le dossier de la conciliation travail-famille progresse --on ne créera plus de postes à temps plein couvrant tout le week-end-- et le plancher d'emploi est réhaussé, créant ainsi entre 80 et 220 nouveaux postes réguliers. Cause commune ne connaît pas tous les détails de la nouvelle convention collective mais ça ressemble beaucoup à 3 mois de grève pour rentrer au travail essentiellement sur la base de l'offre patronale qui avait été rejetée en décembre. En plus, le syndicat semble plus divisé que jamais, le mandat de grève ayant été voté à plus forte majorité que le retour au travail (un quart des membres ont votés contre la recommandation de l'exécutif, ce qui n'arrive à peu près jamais, sauf en cas de défaite). Qu'est-ce qui s'est passé?

AUTOPSIE D'UNE STRATÉGIE

Comment expliquer ce médiocre résultat malgré une stratégie qui pouvait sembler gagnante --frapper pendant la période la plus achalandée-- et un certain capital de sympathie en début de conflit? Il est évident que l'exécutif syndical tablait essentiellement sur son rapport de force d'avant les fêtes. Or, il a sous-estimé la détermination de l'employeur et sur-estimé ses propres moyens (c'est facile à dire aujourd'hui, avec le recul, mais c'est quand même ça qui s'est passé).

Pour ce qui est du capital de sympathie des grévistes, disons qu'il s'est épuisé assez vite lui aussi. À priori, les revendications contre la précarité et pour la conciliation travail-famille ont la cote. Et effectivement, en début de conflit, quand les journalistes en étaient encore à expliquer pourquoi les gens de la SAQ étaient en grève, la stratégie de gagner l'opinion publique avait l'air de marcher. Sauf qu'un moment donné, quand les dit journalistes ont écris trois papiers sur les revendications et deux portraits de syndicalistes sympathiques, ils passent à d'autre chose. Ça prend du nouveau et le nouveau c'est ce qui se passe sur les lignes. Rapidement on est passé d'une couverture médiatique concentrée sur la «cause sociale» à une couverture de faits divers faite d'altercations, de bousculades, d'engueulades. En quelques jours, les sympathiques jeunes grévistes sont devenus dans l'opinion médiatique des brutes épaisses qui s'attaquent aux clients. Après sont venu les éditoriaux sur les «enfants gâtés» et les «gras durs». C'est comme ça que, sans même s'en rendre compte, les grévistes ont perdu la bataille de l'opinion publique, alimentant eux-mêmes leur défaite en rejetant la durée de plus en plus longue de leur grève sur la non-solidarité des clientEs.

LA SOLIDARITÉ AURAIT EU BIEN MEILLEUR GOÛT

Peut-être qu'en recherchant prioritairement la solidarité des clientEs, les grévistes se sont trompés de cible? En y réfléchissant bien, le rapport de consommation est un rapport strictement individualiste. Exiger la solidarité des clientEs et en faire un axe central était peut-être utopique (une utopie que nous avons partagée, soit dit en passant). La solidarité étant une action essentiellement collective, les grévistes auraient peut-être dû faire appel à d'autres travailleurs et travailleuses organiséEs, d'autres syndiquéEs, plutôt qu'au grand public. Car si la solidarité du public a manqué, il faut bien reconnaître que la solidarité syndicale a été encore plus pathétique --à part quelques blocages de magasin par des groupes de la FTQ et de la CSN--et s'est terminée en foire d'empoigne inter-centrales peu glorieuse. Il y avait deux façon de faire mal à la SAQ: attaquer la vente ou attaquer l'approvisionnement. Plutôt que de dresser des lignes de piquetage devant les magasins, pourquoi les grévistes n'en ont pas dressé devant les entrepôts? Plusieurs syndicats refusent catégoriquement de traverser une ligne de piquetage, peut-être que les employéEs des entrepôts de la SAQ auraient fait de même si on avait fait appel à leur solidarité de classe? C'est sans doute illégal, comme de briser les injonctions sur le nombre de piqueteurs, mais ça aurait peut-être valu la peine d'essayer.

On a beau jeu de produire une analyse du conflit maintenant qu'il est terminé. Nous même n'avons rien trouvé de mieux à proposer pendant cette grève que d'organiser de petites actions de perturbations dans les magasins et de passer des tracts en appelant à la solidarité des clientEs. Nous écrivions même que «seule la solidarité des clientEs pourrait abréger le conflit», nous n'avons donc pas de leçon à donner aux grévistes. Nous avons fait de notre mieux pour répondre à l'appel à la solidarité lancé par les grévistes. Nous sommes aller sur les lignes de piquetages dans quatres villes et chaque fois nous avons organisés des actions directes dans les magasins ouverts. À Montréal, les camarades de la NEFAC ont même organisés des visites hebdomadaires attirant jusqu'à une trentaine de libertaires sur la fin. Nous avons produit un tract, une affiche, nous avons fait des entrevues avec des grévistes pour les radios et journaux communautaires. Rien de glorieux, ni de déterminant dans le rapport de force, mais c'était là tout ce qu'une petite organisation révolutionnaire pouvait faire --ni plus, ni moins.

Le capitalisme est déshumanisant, il réduit les salariéEs à des marchandises ou à de simples rouages d'un système de distribution de la marchandise. La consommation elle-même est déshumanisante, en isolant les gens les uns des autres. Les clientEs sont malheureusement prêtEs à accepter cette déshumanisation en autant qu'on les laisse consommer en paix et profiter de tous les rabais possibles et imaginables. Ce que cette grève démontre, en dernière analyse, c'est que si l'opinion publique joue un rôle dans les conflits, les grèves sont d'abord et avant tout des questions de rapport de force. Dans le commerce et certaines autres industries, surtout quand l'entreprise continue d'opérer, le rapport de force est en défaveur des syndiquéEs. Pour le rééquilibrer, il faudra retrouver les moyens de vraiment perturber les entreprises quand nous tombons en grève. Souvent, cela voudra dire retourner à des actions directes touchant soit à la circulation de la marchandise, soit à l'approvisionnement en pièce et en matière première. C'est surtout dans le cadre de ces actions que la solidarité de classe sera requise. L'action directe, celle qui atteint son but avec ou sans couverture médiatique, reste notre arme de prédilection.

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Publié pour la première fois dans Cause Commune no5 (début 2005)

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