lundi 16 juillet 2007

Critiques de livres

Les écrits restent...

Je n’ai jamais eu l’impression, en collaborant à diverses publications anarchistes au fil des ans, d’écrire pour la postérité, de faire l’histoire. Les journaux sont produits plus souvent qu’autrement dans le rush et les textes sont prévus pour une consommation immédiate. Les journaux parlent d’ici et maintenant. J’ai donc trouvé très étrange la démarche de Marc-André Cyr qui s’est tapé la lecture exhaustive de plusieurs caisses de vieux journaux et en a fait l’analyse. J’étais curieux de savoir ce qu’un tiers retiendrait de ce qui est une partie intégrale de ma vie depuis presque 15 ans. Le résultat, une espèce d’histoire du mouvement anarchiste québécois à travers ses journaux, est des plus intéressant. Malheureusement, une telle analyse laisse de côté des pans entiers de notre l’histoire –notamment les événements qui ont été réellement importants pour les participant-es et non ceux dont « il fallait parler » – et ne s’intéresse finalement qu’à une espèce bien particulière d’anars : les militant-e-s propagandistes. Qu’ils et elles soient intellectuel-les patenté-e-s ou bien autodidactes, les artisan-e-s de la presse libertaire sont un genre à part, séparé du reste du mouvement jusqu’à un certain point (et souvent détesté). On leur attribue généralement une influence disproportionnée par rapport à la réalité.

L’analyse exclusive du matériel écrit peut porter à faire quelques erreurs d’appréciation. Ainsi, il apparaît clair pour Marc-André Cyr (et aussi pour Francis Dupuis-Déri, qui se livre à une analyse similaire pour le matériel couvrant la période 2001-2006 dans sa postface) que les journaux ont des genres bien typés. Bien sûr, chaque journal a une personnalité propre qu’on peut facilement opposer à celle de ses « concurrents » mais c’est une erreur de les croire figés. Forcément, un journal qui survit à son premier numéro verra le reste de son existence rythmée par les départs et les arrivées de militant-e-s. Les frontières entre les publications sont loin d’être étanches, surtout lorsqu’elles sont d’une tendance politique similaire. Ainsi, des gens de Démanarchie ont collaboré à Rebelles et à Hé… Basta!, des gens de Rebelles à Hors d’Ordre. Plus récemment, des gens du Trouble sont passés à Cause commune… et vice-versa. Il est comique de constater que nos analystes notent des similitudes entre certaines publications sans savoir que c’est tout simplement parce que le même monde est impliqué. Si Rebelles traitait du MDE et d’antiracisme avec la même analyse que Démanarchie c’est que ce sont des gens de Démanarchie qui écrivaient ces articles-là; si Le Trouble ressemble à Démanarchie, ce n’est pas le fruit du hasard (on compte une demi-douzaine d’anciens de Démanarchie dans Le Trouble); si Cause commune lance des chroniques ayant les mêmes titres que celles du Trouble, c’est que ce sont les mêmes personnes qui les écrivent, etc. Au delà de la montagne de papier, il ne faudrait pas oublier que tout ce monde là participe d’un même petit mouvement, que les gens se connaissent, sont souvent ami-e-s, colocs, amant-e-s ou alors s’haïssent cordialement.

D’après Marc-André Cyr, les journaux de la période étudiée (1976-2001) font de la triple bataille contre le capitalisme, l’État et le patriarcat le cœur de leur lutte. C’est ce qui les distingue comme une presse libertaire et non simplement « de gauche ». À côté de ces grands thèmes, d’autres sujets sont également développés, comme l’antiracisme et l’écologie, lesquels, tout en étant importants, sont moins centraux. L’analyse systématique du contenu des journaux permet de mettre en lumière certains phénomènes intéressants. Ainsi, bien que tous les journaux font de la lutte contre le patriarcat un axe central, « en fait, les seuls à être relativement en accord avec leurs positions féministes sont Démanarchie et Rebelles, qui publient de nombreux articles, des éditoriaux et des dossiers sur la question » (alors que les autres ne publient que de rares textes théoriques, voire n’en traitent pas du tout). Or, du lot, Démanarchie et Rebelles sont les deux journaux les plus classiquement lutte-de-classistes (voir ouvriéristes), les seuls à avoir été jamais accusés de négliger les questions autres que la question sociale, les seuls à avoir été accusés de n’être au fond que des « journaux de gars». Curieusement, Francis Dupuis-Déri constate le même phénomène : à part les anarcha-féministes, seul-e-s les anarchistes sociaux, les socialistes et les communistes libertaires traitent de féminisme de façon régulière (Ruptures se trouvant juste derrière Les Sorcières pour la période 2001-2006). Comme quoi les monomaniaques ne sont pas toujours là où on le pense !


Une note pour Francis Dupuis-Déri (et les autres)

Il y a quelques tournures de phrase dans ta postface au livre de Marc-André Cyr qui me chicotent. Par exemple, pourquoi parles-tu de Cause commune comme d’un « petit journal »? La mauvaise herbe ou Anarkhia sont photocopiés et ont un format physiquement plus petit... Pourquoi dis-tu que « selon la NEFAC » Cause commune est tiré à 3 000 exemplaires alors que tu présente comme un fait le tirage du Trouble (qui, d’ailleurs, est passé de 2000 à 1500 puis à 1000 copies au rythme des démissions)? Finalement, Ruptures n’est pas la « voix officielle de la NEFAC ». C’est, nuance importante, « la revue de la NEFAC ». Le but de Ruptures n’est pas de présenter « le point de vue du parti » en tout et sur tout. Premièrement, nous ne sommes pas un parti ! Deuxièmement, la revue nous sert à confronter des analyses et faire des débats. Ruptures participe à notre processus d’unité tactique et théorique, elle n’en est pas le résultat (le résultat ce sont les prises de position adoptées en congrès). Ton opposition au plateformisme ne doit pas te faire oublier que nous sommes… libertaires !

Nicolas Phébus

LA PRESSE ANARCHISTE AU QUÉBEC (1976-2001), par Marc-André Cyr. Avec une préface de Michel Nestor et une postface de Francis Dupuis-Déri. Édition à compte d’auteurs (et d’amis…), disponible dans les bonnes librairies anars.

Les livres du prof Baillargeon

Depuis la dernière parution de Ruptures, Normand Baillargeon a trouvé le moyen de publier non pas un, ni deux mais bien trois nouveaux livres ! C’est vrai qu’on ne publie pas souvent la revue, mais tout de même…

La plume du prof Baillargeon a l’avantage d’être à la fois claire, précise et très pédagogique (ce qui est rare). Son « Petit cours d’autodéfense intellectuelle », publié chez Lux, est des plus populaires en ce moment (en fait c’est officiellement un best-seller). L’ouvrage permet à tout un chacun d’acquérir les outils intellectuels nécessaires pour ne pas se faire berner par le racolage médiatique et l’idéologie libérale qui bave des mass médias depuis toujours. Il s’agit là d’une véritable œuvre de salubrité publique (œuvre qui, dans un monde idéal, devrait revenir à l’école).

Baillargeon récidive avec « Dans la marge, écrits libertaires » un recueil de ses plus récents essais publié aux éditions Trois Pistoles. Ce n’est d’ailleurs pas le seul livre de Normand Baillargeon qui est en fait un recueil de textes préalablement publiés dans la presse alternative. Déjà, « Les chiens ont soif » était du même acabit. C’est bien de donner une seconde vie à des textes qui, malheureusement, ont une trop faible diffusion mais cela peut devenir un peu frustrant pour ceux et celles qui, comme moi, ont déjà tout lu. N’empêche, le succès de ses autres livres permettra peut-être de rejoindre d’autres lecteurs ou lectrices qui n’ont pas accès à la presse alternative. Qui sait?

L’ouvrage le plus intéressant pour le mouvement anarchiste est toutefois « Éducation et liberté », une anthologie de textes importants de la tradition libertaire portant sur l’éducation. On y retrouvera les visions des « pères fondateurs » (Proudhon, Bakounine, Kropotkine, etc.) ainsi que des essais de militants historiques s’étant frotté à la pratique (Faure, Robin, Pelloutier, Ferrer). Durant les années 1990, l’éducation libertaire, entre autre à cause de l’école Bonaventure, avait passionné les militant-e-s français-e-s et de nombreux livres avaient été publiés. Malheureusement, tout cela n’était disponible que pour une poignée de Québécois-es (ceux et celles qui fréquentent assidûment le milieu). Grâce à Normand Baillargeon, les textes historiques dont tout le monde parle (mais que personne n’avait lu) sont maintenant accessibles au plus grand nombre. À la lecture, on se rend compte que nos prédécesseurs n’étaient pas bête du tout… Et que certain-e-s théoricien-ne-s et technocrates contemporain-e-s du Ministère de l’éducation auraient intérêt à les fréquenter plus souvent.

Camille

(Publié pour la première fois dans le numéro 6 de Ruptures, mai 2006)

Aucun commentaire: