vendredi 7 mars 2008

La révolution n'est pas possible sans la paix

Nous avons reçu un texte des camarades du Comité de relations anarchistes (CRA) du Vénézuela qui analyse la situation actuelle. Les camarades s'étaient donné la peine de le traduire en anglais pour une audience internationale, en voici une version française.

Castro l’a dit: «Le vacarme de la guerre résonne fort en Amérique du Sud». L'escalade verbale entre Uribe et Chavez semble être plus que de la rhétorique. Des chars d’assaut envoyés à la frontière, des ambassadeurs chassés, des discours enflammés et des apparitions publiques qui nous mènent à l'antichambre de l'affrontement. Peut-être que ce ne sera pas cette fois, mais la situation est alarmante. Peut-être que les torrents rentreront dans leurs lits, en attendant la prochaine occasion de déclencher le conflit. Je souhaite de tout cœur cela n'arrivera jamais, parce que, quelles que soient les circonstances, la perspective de voir nos peuples s'entre-tuer pour des intérêts d'Etat me dégoute. Mais pour l'instant tout semble sombre.

La vérité, c'est que la rhétorique belliqueuse favorise autant Uribe que Chavez, celui-ci peut-être plus. La vérité, c'est que le discours révolutionnaire du Comandante a connu des jours meilleurs. Après la défaite 2 Décembre, la première volée électorale qu'il a reçue, les vannes de mécontentement au sein du chavismo se sont ouvertes. Pas le mécontentement à haute déclarations vu à la télévision, mais celui des gens qui se sont abstenus et ont entrainé la défaite de la réforme constitutionnelle, les mêmes qui sont fatigués des étagères vides des supermarchés et des Missions abandonnées pendant que la Boli-bourgeoisie roule en voitures de luxe. Les mêmes qui dénoncent la corruption et confrontent le ministère du Travail et de la bureaucratie et qui se font tirer dessus par la Garde nationale en retour. Les mêmes que les chavistes proches de la présidence traitent de déviationnistes de gauche, d'ultra-gauche ou d'anarchistes, dont on dit qu'il ne sont pas prêt pour le socialisme après neuf ans d'attente pour des gestes réels, qui désespèrent de voir Chavez flirter avec la droite depuis quelques mois. Les mêmes à qui s'adressent les appels à la discipline interne du pouvoir constitué qui se multiplient, exigeant l'unité pour la prochaine bataille électorale. Ceux et celles qui se plaignent dans le PSUV (le parti socialiste du Vénézuela) sont sommairement expulsés, même quand ils ne font que dénoncer la corruption, même si le dit parti n'est pas encore officiellement constitué, n'a pas de statuts, mais a déjà un comité disciplinaire.

Ce n'est pas la première fois que, lorsque la rhétorique révolutionnaire d'un mouvement populiste est épuisée, il recourt à un nationalisme agressif à la véhémence rancie. C'est le meilleur remède contre la dissidence, car quand vous avez un ennemi extérieur, vous pouvez le confondre avec n'importe quelle menace intérieure à la stabilité du régime, résolvant ainsi le problème des dissidents, qui sont sûrement sur la liste de paie de l'ennemi. Nous avons vu beaucoup de cela au Venezuela: Bill Gates implante des puces sur les personnes, un tel travaille pour la CIA, toujours le même vieux disque. En réalité, un conflit ouvert avec la Colombie ne sera qu'un pas de plus dans ce jeu, une bouée de sauvetage pour le régime chaviste qui perd ses repères et sa base. Il n'est donc pas étrange que, bien que le problème principal soit la violation de la frontière équatorienne par les troupes colombiennes, le gouvernement vénézuélien ne perde pas de temps pour entrer dans la mêlée et augmente la tension en envoyant des troupes, au lieu de jouer un rôle pacificateur qui pourrait vraiment avoir un bénéfice diplomatique.

Bien sûr, Uribe aussi se nourrit de la confrontation. Il a fait tout son possible pour saboter tout dialogue avec la guérilla, pour entraver la libération des otages, afin de faire avancer une solution armée au conflit (ou de son maintien d'ailleurs) puisqu'il est arrivé au pouvoir avec ce discours et qu'il explore déjà les possibilités de réforme constitutionnelle lui permettant de se faire réélire. Il y a des coïncidences effrayantes. Sinon, expliquez-moi pourquoi tuer le médiateur chargé de la libération de Betancour, quelques jours avant l'annonce de sa libération. Il a montré clairement qu'il préfère la guerre à un accord pacifique. Il a toujours eu une politique agressive et para-militaire prétendant que l'organisation d'une société civile vivante et active, une nécessité urgente en Colombie après soixante années de conflit, équivaut à soutenir la guérilla. Un autre exemple de la façon dont un ennemi connu peut être utilisé pour persécuter ce qui est perçu comme une menace. Bien sûr, les États-Unis appuient tout cela puisqu'ils seraient le plus grand bénéficiaire d'un conflit qui plongerait le Venezuela dans une longue guerre. Rien ne plait plus aux pouvoirs établis que les consensus, et Uribe l'exploite autant qu'il peut, au point d'accuser tout critique du gouvernement d'être dans la guérilla, sans parler des syndicalistes, des défenseurs des droits humains, etc. Uribe a parié sur le pouvoir personnel au détriment de tous les Colombiens, qui sont aujourd'hui menacés de la possibilité d'une guerre, en raison de la reprise de la part des FARC d'une campagne d'attaques aveugles. Il y a peu de peuples dans le monde qui souffrent autant de leur gouvernement que le peuple colombien.

Après tout, une guerre ne servirait qu'à maintenir les deux dirigeants au pouvoir, chacun agitant les haillons de couleur qui émeuvent tant les nationalistes, des drapeaux qui dans ce cas sont douloureusement similaires. En attendant, les gens saignent dans une guerre qui n'est pas leur guerre, qui n'est pas la guerre de classes, pleurant pour leurs enfants, sans la justice, le pain ou la paix. Ni la bourgeoisie, ni les politiciens, ni les bureaucrates n'y prendront part.

Mais dans le cas du Venezuela, il y a un mal ajouté. Qu'il n'y ait aucun doute que, en cas de guerre, la révolution est finie. Une fois de plus, les politiciens de tout acabit échangeront l'espoir des gens pour des miroirs et des breloques, dans ce cas, des balles et des coups de machette. En cas de confrontation armée, rien n'est plus facile que d'intensifier les appels à la discipline, de disqualifier ceux qui osent prendre des initiatives en dehors du gouvernement, rien de plus facile que de changer les priorités et passer de la construction du socialisme pour le XXIe siècle à la victoire dans la guerre. Le socialisme pour plus tard, quand il sera à nouveau possible, voire pas du tout. Nous avons vu ça en Espagne, à la fin nous n'avons pas de révolution, nous perdons la guerre et nous sommes vraiment floués.

Comme d'habitude, la seule solution à la folie gouvernementale est le peuple, une vague révolutionnaire qui emportera les démagogues, les populistes et ceux qui vendent leurs mères des deux côtés de la frontière, qui se consacre à l'édification d'une société civile d'en bas forte, indépendante de ce pouvoir qui essaie toujours de se perpétuer, une société auto-gérée, révolutionnaire par vocation et par nature, sans dirigeants aveuglants, internationaliste et solidaire, qui reconnait que les peuples de Colombie, du Venezuela et de l'Équateur sont des frères pour de nombreuses raisons, frères dans la souffrance, frères dans leur désir de paix et de justice. Pour commencer, rien ne vaut mieux que de ne pas être trompés par les déclarations de guerre en rejetant totalement la guerre entre les États, toute guerre, sauf la guerre de classes. La mobilisation en faveur de la paix doit commencer dès que les tambours de la guerre commencent à résonner. Plus tard, il sera trop tard.

Miguel Martin

[Plus d'info sur le site du journal El Libertario]

(Nous avons traduit une version anglaise, elle même traduite d'une version espagnole.)

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