lundi 11 janvier 2010

[histoire] L'Ange rouge

Le mouvement libertaire espagnol, qui fête cette année le centenaire de son organisation phare (la CNT), regorge de personnalités singulières, d'une grande humanité. Récemment, un quartier populaire de Séville rendait hommage à un de ces militants d'exception, Melchor Rodríguez, en posant une plaque de céramique. Voici une notice biographique tiré de l'excellent bulletin «CGT-Info» que l'on trouve sur le site de la Fondation Pierre Besnard. Une histoire pour se rappeler que la figure de l'anarchiste ne peut se réduire à la figure du révolutionnaire tragique...

L'Ange Rouge


Melchor Rodríguez, “El ángel rojo” [l’Ange rouge] Séville, 1893 – Madrid, 1972.

[Photo de Melchor dans sa cellule franquiste après mars 1939]

Ex novillero, ouvrier carrossier, affilié à la CNT et à la FAI, il a eu la plus extraordinaire des attitudes qu’on peut avoir lors d’une guerre: sauver les vies de ses ennemis. […]

Incarcéré une trentaine de fois avec la dictature de Primo de Rivera et la II république, la préoccupation pour les prisonniers a été une constante de son existence. Avec l’éclatement de la guerre civile, il put aussitôt se consacrer à appliquer ses idées d’anarchiste humanitaire, en sortant des centaines de personnes de droite des chekas et leur donnant refuge chez lui. Aidé par des personnalités et des responsables républicains il fut nommé Délégué spécial des prisions de la II république en novembre 1936 par le ministre anarchiste [de la Justice] Juan García Oliver. C’est à ce poste qu’il mit un terme aux arrestations et aux exécutions
arbitraires dans l’arrière-garde madrilène, en sauvant des milliers de personnes parmi ses adversaires idéologiques.

Melchor Rodríguez a été une figure clé pour rendre à la république le contrôle de l’ordre publique et des prisions. Il s’opposa non seulement à une foule devant la prison d’Alcalá voulant se faire justice elle-même après un bombardement des rebelles, mais il assura l’ordre dans les prisons et rendit sa dignité à la Justice. Sous son mandat les conditions des 11.200 reclus de Madrid et de sa province s’améliorèrent, au point que les prisonniers commencèrent à l’appeler “L’Ange rouge”, qualificatif qu’il refusait. […].

Son travail de protection des personnes menacée et poursuivies, continua après son limogeage et sa nomination comme conseiller des cimetières de la municipalité de Madrid. Il permit aux familles des défunts d’enterrer avec dignité leurs morts et de leur rendre visite. Il aida dans la mesure du possible des écrivains et des artistes et autorisa son ami Serafín Álvarez Quintero à être enterré avec une croix au printemps 1938.

Melchor Rodríguez a été de facto le dernier maire de Madrid durant la république et reçut ce poste, le 28 février 1939 du colonel Casado et de Julián Besteiro membres du Conseil national de défense, depuis la remise de la municipalité aux troupes victorieuses jusqu’au passage des pouvoirs pendant deux jours. Il chercha à tout moment à ce que tout se passe pacifiquement et son nom ne figure dans aucun document.

À la fin de la guerre, non seulement l’oeuvre de Melchor ne fut pas reconnue, mais il fut soumis à la même répression que tous les vaincus. Il fut rapidement détenu et jugé à deux occasions par un conseil de guerre. Acquitté pour un des procès; l’avocat général fit appel et une sentence manipulée le condamna à 20 ans et un jour, il en passa 5 en prison. […]

Sorti de prison, ayant décliné les offres de poste dans la hiérarchie franquiste, il continua à être libertaire et à militer clandestinement dans la CNT, activité qui entraîna son arrestation par deux fois. Il reprit son soutien aux prisonniers politiques, en utilisant pour cela les amis personnels qu’il avait dans l’appareil de la dictature, en dépit des critiques de certains de ses camarades ou de la gauche.

Sa mort, le 14 février 1972, fut un témoignage de sa vie. Au cimetière, son cercueil fut un rendez-vous de centaines de personnes parmi lesquelles des personnalités de la dictature et des camarades anarchistes. Ce fut le seul cas en Espagne d’une personne enterrée avec un drapeau anarchiste durant le régime du général Franco.

Aujourd’hui, plus de 35 ans après la mort de Melchor Rodríguez nous voulons revendiquer sa figure et propager on exemple. L’oeuvre de Melchor, tout au long de sa vie, dignifie l’être humain et est -comme pour de nombreux autres femmes et hommes de la gauche - un exemple qui mérite d’être tenu en compte dans cette époque d’intolérances et de sectarismes. Comme il l’a affirmé plusieurs fois, “on peut mourir pour les idées, jamais tuer”.

- Cecilio Gordillo Giraldo, Coordinateur de la Mémoire historique de la CGT d’Andalousie

Aucun commentaire: