jeudi 12 juillet 2007

Des ruines du développement, naît la révolte

À Montréal, Québec, Sherbrooke, Trois-Rivières, Granby, des groupes s’organisent afin de résister au système capitaliste et à l’État. À Toronto et dans plusieurs autres villes ontariennes, l’OCAP, l’Ontario Coalition Against Poverty, continue la lutte au gouvernement conservateur de Mike Harris, à la croisade dirigée par la bourgeoisie contre les autochtones, les pauvres, les travailleurs et travailleuses. Pour en finir pour de bon avec ce système injuste, destructeur et inhumain, il importe de créer un mouvement révolutionnaire, de s’organiser entre nous, de reprendre le contrôle sur nos vies. Il faut non simplement s’organiser dans une perspective de lutte, de négation même de l’autorité, mais également pour arriver à l’autogestion, à la mise en commun des modes de production et des fruits du travail, tant dans les villes que dans les campagnes. Or, on parle guère à savoir comment, dans les milieux ruraux, les gens s’organisent pour résister aux assauts de l’agro-business, à la destruction des campagnes et des forêts au nom du profit.

Pourtant, la lutte révolutionnaire ne devrait pas se concentrer qu’aux seuls milieux urbains et industrialisés. L’idéal libertaire doit aussi gagner la campagne afin que la révolution ne soit pas que le fait des ouvriers et ouvrières mais aussi des paysans et paysannes. La révolution sociale ne saurait perdurer sans l’apport des communautés rurales, sans la reprise de la terre par ceux et celles qui la travaillent. Historiquement, nombreuses ont été les révolutions qui ont pris naissance en ville pour ensuite gagner la campagne. Les grands changements sociaux de l’histoire ont toujours été accompagnés de réformes agraires, conditionnant nos rapports avec la nature et nos modes de vie. Dans les périodes tumultueuses, il y a eu au sein de la paysannerie, des gens prêts à s’organiser entre eux pour supprimer les privilèges des seigneurs et abattre les structures sociales hiérachisées, sources de leur misère. On peut citer en exemple les révolutions russe et espagnole, dont les idées ont su parcourir les campagnes entraînant le soulèvement des paysans et paysannes exploitéEs.

Toutefois, d’autres mouvements révolutionnaires ont pris naissance dans les campagnes, pour ensuite gagner les centres urbains. Bon nombre des révolutions d'Amérique latine et d’Asie du Sud-Est ont été le fait de paysanNEs et de quelques intellectuels guerilleros. Le 1er janvier 1994, au Chiapas, un mouvement insurrectionnel, principalement composé de paysanNEs indigènes, sortit du maquis et s'empara de plusieurs villes de cet État du sud du Mexique. L'armée zapatiste, l'EZLN, pris les armes contre les classes dirigeantes qui, depuis la colonisation européenne de l'Amérique, mènent une guerre sans merci contre les communautés mayas, zapotèques et autres. Les zapatistes et d’autres organisations paysannes indigènes revendiquent le droit à l’autodétermination, à l’autogestion de la terre et de leurs communautés. La reconnaissance même de ces droits fait obstacle aux projets de développement du président Fox, aux intérêts des propriétaires fonciers et des multinationales américaines (complexes pétrolier, minier et agro-industriel).

Les Accords de San Andrés, entre l’EZLN et le Gouvernement mexicain, ont depuis été abandonnés. Le 18 juillet 2001, le Congrès mexicain a ratifié la Loi indigène, qui « assujettit désormais l’exercice des coutumes autochtones à l’approbation des législatures d’État et abolit les protections du régime de propriété communale indigène ». De plus, le Président Fox vient de signer avec ses voisins le Plan Puebla-Panama, le PPP, qui selon lui sera « la pièce maîtresse du Mexique dans la ZLÉA ». Celui-ci prévoit la construction du corridor Trans-Isthmus : une autoroute privée à quatre voies, doublée d’une voie ferroviaire, reliées aux ports de Salina Cruz et de Coatzacoalcos, ainsi qu’à un vaste réseau de voies secondaires, permettant ainsi la liaison commerciale entre l’Océan pacifique et le Golfe du Mexique. Le PPP va surtout permettre l’exploitation de ressources naturelles, en plein cœur des territoires autochtones par la création de cinq corridors « écologiques ». On veut également y installer 92 maquilladoras.

La stratégie des gouvernements mexicain et américain repose avant tout sur la remilitarisation dans la région. L’armée mexicaine est déployée à travers les États du sud et 12 000 soldats américains sont en réserve au Guatemala, près de la frontière mexicaine. Au Chiapas, les paysanNEs sont constamment victimes de harcèlement de la part des militaires mexicains et des forces paramilitaires de droite. Des paysanNEs sont tués, battus, d’autres sont menacés de mort et ont vu leur maisons et fermes détruites. Selon plusieurs militantEs locaux, l’État mexicain veut ainsi provoquer la migration des paysanNEs dépossédés vers les villes, pour qu’ils aillent travailler dans les maquilladoras, pour ceux-là même qui dirigent la présente guerre. Avec les récentes attaques de l’État, des paramilitaires et des multinationales, le mouvement insurrectionnel pourrait s’étendre dans les États voisins du Chiapas. La guerre entre les classes sociales, entre les paysanNEs indigènes et l’État capitaliste, n’est pas terminée.

La résistance paysanne ne prend pas toujours la forme de mouvements populaires armés et organisés, comme au Chiapas. Elle se fait également par des actions quotidiennes, comme le sabotage, le vol et le refus de collaborer avec la classe bourgeoise agraire. En Malaysia, lorsque les capitalistes ont introduit les moissonneuses-batteuses dans les rizières dans les années 1980, certains paysanNEs s’en sont pris à celles-ci et à leurs propriétaires, car cela détruisait leur travail.

Il serait important de voir comment les gens s’organisent ici, dans les campagnes du Québec, de connaître leur réalité.

La lutte au complexe agro-industriel, à la destruction de l’environnement

Au Québec, la concentration du capital foncier se poursuit. Le capitalisme impose le productivisme et la concentration des opérations dans les campagnes. De nombreuses fermes sont en fait de véritables entreprises, si bien qu’on ne peut même plus appeler cela de l’agriculture. Dans ce système, les petits paysans sont marginalisés. L’aménagement capitaliste a complètement transformé le paysage rural. La monoculture et la standardisation des semences servent avant tout les intérêts des multinationales qui déclarent ne répondre qu’aux besoins des agriculteurs, en somme les gros producteurs laitiers, de volailles et les industries porcine et bovine. À certains endroits, les fermes de petite et moyenne tailles sont désormais la propriété d’entreprises agricoles, qui ont racheté leurs terres et leurs quotas afin d’augmenter leurs propres capacités de production. Engrais chimiques et pesticides sont utilisés intensivement, entraînant de graves problèmes pour l’environnement. À l’instar des villes, c’est la course à la productivité.

Sur ces vastes domaines, la classe bourgeoise agraire exploite de nombreux et nombreuses salariéEs. En Montérégie, de nombreux producteurs maraîchers font venir des centaines d’ouvriers et d’ouvrières du Mexique pour la préparation, l’entretien et la récolte, à un moindre coût. Ces personnes travaillent dans les champs, dix heures par jour, au salaire minimum. Exploités ici, comme là-bas, ces gens trouvent le courage de continuer, et ce afin d’envoyer un peu d’argent à leur famille. C’est le cas de bon nombre de ces travailleurs et travailleuses nomades, qui fuient le terrorisme économique, dont ils sont la cible.

Un vaste complexe agro-industriel règne sur les campagnes au Québec. Agropur (Natrel), la Coopérative fédérée, propriétaire d’Olymel-Flamingo, Lactantia, Ménard et fils, etc. ne sont que de vastes entreprises qui s’approprient la terre et les équipements à la sueur des salariéEs, des agriculteurs et agricultrices. Tout aspect coopératif a définitivement disparu au profit d’une gestion centralisée et autoritaire. Elles contrôlent tout, de la production jusqu’à la commercialisation. Aujourd’hui, la majorité de la production céréalière provient d’OGM, développés par l’industrie agro-chimique et les centres de recherche universitaires. Les firmes multinationales comme Dekalb Canada (Monsanto), Novartis, Cargill, Pioneer, Sur-Gain, etc. exercent un contrôle de plus en plus total sur l’agriculture, ne serait-ce que par leur monopole sur le marché des semences et des grains. L’agro-business, grâce à son puissant lobby, a non seulement l’appui du gouvernement québécois, mais également le soutien tacite de l’organisation qui est censée représenter les agriculteurs, l’Union des Producteurs Agricoles du Québec, l’UPA.

Toutefois, de petits paysans s’organisent et résistent à leur façon. Certains ont fait la transition vers l’agriculture biologique, à petite échelle. En pratiquant une agriculture qui respecte les limites de l'environnement, ils refusent de participer à la destruction des campagnes. Des réseaux d’agriculture soutenus par la communauté, relativement autonomes, ont aussi été créés. C’est notamment le cas du réseau Équiterre. Il s'agit encore d'un rapport marchand entre producteur et consommateur, mais on peut néanmoins y acheter des légumes biologiques directement de la ferme, sans intermédiaire, sans Métro, Provigo, Loblaw, etc.

De nombreuses personnes se sont engagées dans la lutte militante et ont créé des réseaux d’action contre l’agro-business, plus spécialement contre l’industrie porcine. Le groupe STOPPP, de Pintendre, est un exemple de villageois qui se sont rapproprié l’espace public pour dire non à l’installation de mégaporcheries dans leur communauté. Le Mouvement Vert Mauricie, un groupe écologiste, a fait de même si bien que des projets d'installation ont été arrêtés dans leur région. Dans les régions, spécialement en Montérégie, en Beauce et en Mauricie, le développement des mégaporcheries est un véritable problème pour l’environnement. Alors que 80% de la production porcine est exportée à l’étranger, principalement en Asie et aux États-Unis, 100% du purin reste ici, étendu dans les champs de céréales, pour se répandre ensuite dans les cours d’eau, contaminant sérieusement les sols et les rivières. Sans compter la pollution de l’air et les problèmes d’émanations de méthane, causées par le purin. La lutte aux mégaporcheries n’est qu’un exemple, parmi tant d’autres, de gens qui se sont regroupés afin de s’opposer à la destruction de leur milieu de vie.

À l’échelle provinciale, des gens ont créé l’Union paysanne du Québec, en opposition à l’UPA et à la relation incestueuse qu’elle entretient avec l’agro-business. Monsanto, Novartis, etc., par l’entremise de leurs filiales canadiennes, siègent à l’UPA, au sein de l’association des marchands de semences du Québec. L’Union paysanne a été créée sur le modèle de la Confédération paysanne, en France, dont la lutte est incarnée par le très médiatisé José Bové. En lien avec l’Union paysanne, le réseau Sauvez nos Campagnes fait la promotion de l’agriculture biologique, non-industrielle. Aux audiences publiques sur l’environnement (BAPE), ils ont exposé les problèmes de pollution causés par l’agro-industrie. Il ne s’agit pas de groupes révolutionnaires, mais avant tout d’organisations qui mènent des luttes spécifiques ou qui ont pour objectif la rappropriation des campagnes par la paysannerie. Elles ont le mérite d’avoir su créer un débat là où il n’y en avait point.

Précédant la tenue du Sommet des Amériques, de nombreuses organisations paysannes et des militantEs engagéEs dans différents groupes ont mené une campagne d’information sur les conséquences de la production agro-industrielle pour la paysannerie et l’environnement, à travers toutes les Amériques. Le mouvement des Sans Terre (Brésil), le Forum Americana Indigenismo, le Northeast Resistance Against Genetic Engineering, etc. sont tous venus à Québec. Durant le Sommet, ils ont organisé une bouffe populaire, ils ont pris la rue, manifestant leur opposition au capital et à l’État policier. Dans l’agitation populaire, des drapeaux noir et vert ont flotté sur la ville de Québec, les militantEs écoanarchistes passant à l’action directe contre le pouvoir et ses symboles.

Quelle peut être l’une des stratégies, pour nous, militantEs anti-autoritaires, et ce, dans l’objectif de voir un mouvement révolutionnaire émerger, non seulement dans les villes, mais aussi dans les campagnes? Comment aller au-delà du symbolisme, et tenter de réaliser, à tout de moins, un esprit de communauté et de solidarité, entre la ville et la campagne? Je n’ai pas de réponses absolues, mais nous pourrions au moins participer aux luttes paysannes, dans une perspective de radicalisation du conflit qui les oppose à l’agro-business et à l'État. Car dans la guerre contre la paysannerie, l'industrie agroalimentaire bénéficie d'un support total de l'État, et au Chiapas comme dans d'autres coins du monde, elle dipose même de ses moyens les plus coercitifs: la police, l'armée et les forces paramilitaires.

En Bolivie, les militantEs anarchistes des Jeunesses libertaires ont participé à la lutte des paysanNEs et des petits producteurs de coca contre le gouvernement du Président Banzer, les Banques, et le Fonds monétaire international (FMI). En coordonnant leurs actions, les paysanNEs et les militantEs ont réussi à paralyser le pays tout entier. Des routes ont été bloquées, des occupations ont eu lieu dans plusieurs endroits, si bien que la Bolivie est présentement au bord de l’insurrection. Par cela, les gens ont réussi à empêcher la privatisation de l’eau, ainsi que l’application d’autres politiques néolibérales. La Bolivie n’est qu’un exemple, parmi d’autres, où des gens mènent la lutte de classe contre les élites, refusant les diktats de l’économie capitaliste imposés par le FMI et la Banque mondiale. Il ne faut pas se surprendre que lorsqu’on attaque la population, une partie de celle-ci cherchera toujours à se défendre. La sujétion à ce système injuste ne serait être totale.

Vers la création de communes libres

Suite à la révolution d’Octobre, un jeune anarchiste, fils de paysans pauvres, du nom de Nestor Makhno, participa à l’organisation sociale de la paysannerie dans le sud de l’Ukraine. Contre le régime de droite instauré par les armées autrichienne et allemande, les paysanNEs s’organisèrent socialement et militairement, si bien que les forces impérialistes et réactionnaires durent s’avouer vaincues. En même temps qu’ils firent la guerre aux Blancs, les paysanNEs mirent la terre en commun. Chaque guérillero était paysanNE, chaque paysanNE était guérillero. Malheureusement, la makhnovstchina fut par la suite écrasée par les communistes autoritaires, les bolchéviques. Néanmoins, elle restera toujours un symbole de lutte et d’espoir, de la possibilité de s’organiser librement, sans patrons ni partis.

Aujourd'hui au Canada, principalement sur la côte Ouest, il existe de nombreuses communes libertaires. Dans bien des cas, il s'agit de militantEs écoanarchistes, qui tout en étant directement engagés dans la lutte de classe, ont décidés d'organiser de petites communes. La terre et les fruits du travail de chacun y sont mis en commun. Les gens s’organisent, créent cet esprit de communauté, tout en continuant la lutte au capital et à l’État. Ils ont créé leur propres réseaux d'information et d’action directe. Bien qu’ils ne s’agissent pour l’instant, que de microsociétés, qu'ont soit encore loin de la révolution sociale, ces projets autonomes nous démontrent toutefois qu’il est possible d’organiser la société sur des bases libertaires et égalitaires.

Références

Daniel Guérin. Ni Dieu, Ni Maître. Anthologie de l’anarchisme. Tome I et II. Paris, La découverte
Denise Proulx. Au Mexique, l'autoroute mène à la guerre. Recto-Verso, no. 292, sept.-oct. 2001.
James Scott. Weapons of the Weak: Everyday forms of Peasant Resistance. New Haven, Yale University Press, 1985.
Site web de l'UPA: www.upa.qc.ca

Pour en connaître davantage sur la situation dans nos campagnes, dans le reste du monde, voici quelques documentaires intéressants : L’or vert, Main basse sur les gênes (sur l’emprise des firmes biotechnologiques), Bacon, le film et L’Effet Bœuf (sur les conséquences de l’agro-industrialisation), et A place called Chiapas.

(Publié pour la première fois dans le numéro 1 de Ruptures (automne 2001

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